Splitscreen-review Image de Autopsie d'un meurtre d'Otto Preminger

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Autopsie d'un meurtre - Carlotta Films

Publié par - 3 décembre 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Otto Preminger a construit une œuvre qui ne cesse de jouer avec la notion de théâtralité, on le lui a suffisamment reproché sans que, curieusement, le cinéaste ne s'offusque de la critique. Mais encore serait-il bon de tenter de comprendre en quoi ce procédé servait le dessein du metteur en scène. De plus, on peut ne pas goûter à ce travail sur l’artifice mais il est dommageable de constater que la réprobation, parfois, trop souvent même, porte aujourd'hui encore ombrage à l’œuvre globale du cinéaste. Car l’artificialité qu’il convient de considérer ici n’a rien à voir avec le factice. Autopsie d’un meurtre ne déroge pas au schéma habituel de Preminger. L’essentiel du film se déroule dans l’espace théâtral d’une cour de justice. Le film devient, du fait de l’espace où se développe la majeure partie de la dramaturgie, archétypique de la manière dont Preminger utilise l’espace scénique à des fins ostentatoires.

Premier constat, les joutes verbales et physiques entre avocats (un langage corporel est utilisé par les orateurs pour communiquer avec le jury) sont très rarement découpées par des plans surinterprétatifs (gros plans, plans rapprochés ou mouvements de caméra explicites). Le corps des comédiens est le véritable moteur de la mise en scène et de la narration. La forme se construit donc de l’intérieur et non l’inverse.

La logique se prolonge jusque dans la considération des possibilités offertes en post-production par le montage. Nulle tentation de coupes elliptiques ou suggestives, les procédés d’assemblage ne sont employés que pour s’estomper et faciliter le passage d’un plan à l’autre sans interrompre le propos. Le montage chez Preminger est une ponctuation simple. Cependant, il ne faut  surtout pas en déduire qu’il s’agirait d’une utilisation simpliste de l’outil. Il n’y a rien de plus complexe que de rendre invisible la technique mise au service d’un discours. Car l’évidence des raccords sert la précision et la justesse des intentions en s’attardant sur quelques points cruciaux de la dramaturgie. C’est donc un postulat qui en vaut bien d’autres après tout : chez Preminger la mise en scène sert la narration avant tout. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas comme l’ont prétendu certains mais chez Preminger, la forme n’est pas la finalité intentionnelle d’un film. Simplement, la mise en scène est un outil au même titre que le montage, la machinerie, la direction d’acteur, la musique, etc. et elle se fond dans le propos global du récit.

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Dans Autopsie d’un meurtre, le processus revêt un intérêt capital. Nous sommes dans ce que nous nommerons, à la manière d’un genre autonome, un film de procès (tous s’inscrivent dans un genre à part entière, le Film criminel). La particularité de ce type de films, c’est de réviser une enquête le plus souvent malmenée par l’évidence ou par des policiers peu scrupuleux, grâce à la perspicacité, l’intelligence et aux capacités de déduction d’un personnage qui œuvre dans les domaines de la justice. Cela permet donc en général aux spectateurs de se livrer à une enquête calquée sur les déductions du personnage principal. Point de cela chez Preminger. Rien n'est évident car tout repose sur la complexité de l’âme humaine. Donc, la mise en scène et ses ressources techniques se doivent d’être au diapason. Aucun outil ne prime sur un autre, aussi les moyens offerts aux spectateurs pour participer, raisonner et, pourquoi pas, échafauder des théories sur le développement de l’enquête sont multiples. Les sens de chacun sont sollicités et Autopsie d’un meurtre peut s’appréhender aussi bien par l’ouïe, par la vue ou par notre connaissance des rapports humains déclinés par les comédiens. La trame se ramifie et offre plusieurs niveaux de lecture et/ou d’interprétation qui seront validés ou non par le démiurge qui conduit le récit, Preminger donc. Car Preminger était considéré comme un cinéaste exigeant et précis (voir en complément le documentaire de André S. Labarthe présent dans les bonus pour s’en convaincre définitivement).

Au-delà de ces principes de mise en scène, Autopsie d’un meurtre est un film emblématique de certaines tendances qui traversent toute l’œuvre de Preminger et qui convergent toutes vers la possibilité offerte à l’individu de mesurer quel être humain il est. Cette figure de la révélation passe par le rapport qui s’instaure dans l’artificialité du décor propice à confronter le singulier au collectif. Dans le cas d’Autopsie d’un meurtre, il s’agit de permettre au spectateur d’éprouver et d’expérimenter le fonctionnement d’une institution représentative de la démocratie américaine, la justice. Nous pourrions même avancer que Preminger se livre à l’observation de l’institution (représentative à ses yeux d’un état de la société américaine) par l’intermédiaire d’une théâtralisation du sujet. Il faut entendre ici ce terme de théâtralisation au sens de la caricature, c’est-à-dire que le cinéaste procède à une essentialisation du trait. La salle d’audience est une scène, tout semble figé et nous pourrions nous contenter des débats mais Preminger transcende les limites de l’espace scénique par la nature ontologique de l’outil cinématographique (découpage, cadrages et mouvements d’appareil).

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Dans Autopsie d’un meurtre, il y a une interprétation ponctuelle des échanges verbaux lorsque les déplacements de la caméra intensifient une phrase ou une pensée. La grande qualité du film se situe justement dans cette aptitude de Preminger à créer des tensions dramaturgiques (changement d’échelle de plan d’un raccord à un autre) pour déplacer avec naturel le débat de la sphère fictive et publique (le procès filmé) sur le terrain de l’intime à travers les liens que nouent les spectateurs avec les personnages du film. Nous évoquions la manière dont Preminger considère le montage, c’est-à-dire comme un ensemble de signes qui notifient le rapport syntaxique entre divers éléments qui composent le film (image, mouvements d’appareil, lumière, jeu des comédiens, etc.) pour souligner le sens qui se dégage de l’adjonction de tous ces composants. Ainsi Preminger joue avec les perceptions physiques et affectives du spectateur. Le plan moyen, maître étalon de la représentation théâtrale du procès, délimite le champ d’action des protagonistes quand, soudain, alors que la dramaturgie se nourrit d’une nouvelle péripétie, Preminger modifie le rythme instauré jusqu’à cet instant pour propulser le film sur de nouveaux territoires définis par un gros plan sur le visage d’un personnage. Il est alors question d'insister sur l'impact de la dramaturgie sur un personnage en particulier et, surtout, de mesurer les conséquences psychologiques et affectives du récit sur le paysage humain.

Une réflexion formelle est présente, sans qu'il n'y paraisse. La théâtralité de la cour de justice, celle où se joue le destin d'une humanité, est transcendée par la logique syntaxique du cinéma. L'outil filmique sert à cerner les enjeux dramatiques afin de souligner quelques problématiques estimées essentielles par Preminger. Dans Autopsie d'un meurtre, cela tourne autour du féminin et de l'absence de considération de celui-ci dans une société américaine où le patriarcat a la vie dure et se trouve être le nœud causal de toutes les crispations. Il convient alors de considérer le public présent dans la salle d'audience comme un échantillonnage de la société américaine. Une étude de cas formulée à partir des déplacements de la caméra et/ou du découpage qui accompagnent la dynamique insufflée par la trajectoire des corps dans l'espace forclos du tribunal. L'effet produit est saisissant puisqu'il permet à la fois d'observer l'attitude singulière des personnages et de mesurer la portée de ce qui se transmet sur la collectivité venue assister aux audiences. Il en va ainsi du personnage de Mary Pilant qui, au-delà de son importance dramaturgique, permet d'évaluer les incidences des débats sur l'assistance donc sur la société.

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Ce qui est particulièrement intéressant dans le cas d'Autopsie d'un meurtre, c'est la détermination affichée par Preminger pour aborder frontalement, à la fin des années 1950, des sujets de société contemporains sans passer par la dimension métaphorique d'une décontextualisation historique. Preminger est un homme de son temps qui a les mêmes questionnements que ses concitoyens et cela se vérifiera dans nombre de ses réalisations : la création d'Israël (Exodus), la corruption du monde politique (Tempête sur Washington), les enjeux éthiques du positionnement du Vatican confronté au fascisme (Le Cardinal), la drogue (L'homme au bras d'or) ou encore l'inceste et la maltraitance des femmes (Bonjour Tristesse, Bunny Lake a disparu et Autopsie d'un meurtre). Ce rapport au contemporain comme source d'inspiration se voit magnifier dans Autopsie d'un meurtre. Puisque ce théâtre qu'est la cour de justice est une figuration de la société américaine, il était nécessaire d'effectuer un casting de comédiens qui sont, au regard des rôles qu'ils ont endossé avant ce film, archétypiques de caractères identifiables dès leur apparition sur l'écran. James Stewart incarne un avocat qui, sous ses airs d'Américain moyen, cultive un goût pour l'excellence, Lee Remick en femme fatale attise les convoitises pour mieux questionner la nature des regards qui se posent sur elle, Ben Gazzara attire autant qu'il inquiète, etc. Pour l'interprétation du juge, c'est encore plus passionnant. Preminger n'hésite pas à afficher ses orientations politiques et sa foi dans la constitution américaine puisqu'il a fait le choix de Joseph N. Welch, le magistrat qui s'était opposé au sénateur Mc Carthy.

Chez Preminger, les personnages ne sont jamais l'objet de forces ou de puissances qui les dépassent. Au contraire, ce qui les pousse à agir (peu importe la nature de l'acte), se trouve dans une réalité quotidienne qui draine son lot de frustrations et d'amertumes d'ordre social ou, le plus souvent, d'ordre sexuel. Deux phénomènes qui constituent des points de cristallisation de ce qui déséquilibre les hommes. Ce tiraillement continuel entre passion et raison transforme l’œuvre de Preminger en une sorte d’enquête menée sur l’humain pour tenter de comprendre comment se développent les élans irrationnels qui nous gouvernent. Si cela n'est pas précieux, c'est à n'y rien comprendre.

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L'image de ce Blu-ray Carlotta Films est de manière générale de très bonne qualité. Pour ce qui est des suppléments, on notera essentiellement la présence de l'un des formidables documents réalisés par André S. Labarthe et consacrés au cinéma. Otto Preminger and the dangerous woman est composé d’archives et d’entretiens. Il s'agit d'un retour sur l'homme qu'était Otto Preminger approché sous l'angle de sa carrière de metteur en scène. À défaut de nous révéler les mystères de l’œuvre, le document de Labarthe a le grand mérite de confronter l'homme à l'artiste non sans réticence et humour.

Crédit photographique : ©Carlotta Films

LES SUPPLÉMENTS (EN HD)*

. "OTTO PREMINGER AND THE DANGEROUS WOMAN"
un documentaire de André S. Labarthe (2012 – Noir & Blanc – 58 mn)
. ACTUALITÉS (5 mn)
. BANDE-ANNONCE
INCLUS DE NOMBREUX MEMORABILIA
FAC-SIMILÉ EN ANGLAIS DU LIVRE ANATOMY OF A MOTION PICTURE DE RICHARD GRIFFITH (132 PAGES)
. JEU DE 5 PHOTOS
. AFFICHE

* Suppléments disponibles en Blu-ray et DVD.
(En HD uniquement sur la version Blu-ray)

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