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Quel que soit le domaine artistique, le spectateur a tendance à associer les genres et les sujets à certaines idées préconçues formées par le bagage culturel qui est le sien. Ce qui semble renforcé par une certaine uniformisation des œuvres, les artistes s'inspirant les uns des autres depuis toujours. Après tout, si un style semble adapté au traitement d'un sujet, réutiliser ses codes semble la chose à faire. Il semble contre-intuitif de remettre en question quelque chose qui fonctionne. Il arrive cependant que certains artistes fassent fi des règles établies et réussissent à faire cohabiter des idées qui semblent étrangères les unes aux autres, voire opposées. En 2018, Matt Thorson et son équipe nous ont proposé une œuvre qui a tenté d’accomplir cela à différents niveau : Celeste.
Le joueur suit le périple de Madeline, une jeune femme qui cherche à atteindre le sommet de l’étrange montagne Celeste. Malgré son air jovial, elle semble habitée par une certaine mélancolie. Pour des raisons d’abord mystérieuses, réussir à gravir cette montagne semble important pour elle. Mais le voyage n’a rien d’une promenade de santé. Tout son parcours est jonché d’obstacles, d’énigmes ardues et de paniques soudaines. Le chemin se jalonne de rencontres avec des personnages hauts en couleur. Comme Théo le photographe qui cherche lui aussi à atteindre le sommet pour se dépasser lui-même. Ou bien une version obscure d’elle-même, sortie tout droit d’un miroir magique brisé. Ce reflet sombre, qui s’identifie comme “Une partie d’elle”, tente tout au long du voyage de l’arrêter. La Montagne Celeste est ainsi le terrain d’une confrontation entre ces deux Madeline.
En terme de narration, Celeste a tout du conte. Dès les premières minutes, tout est symbole et prétexte à matérialiser l’exploration et l’évolution de la psyché du protagoniste. Comme les héros classiques du genre, le personnage se lance dans la découverte d'un lieu fait de mystères et de dangers, telles les forêts des légendes. Madeline tombera également à plusieurs reprise sur une vieille dame qui la prévient du danger et lui prodigue des conseils pour l’éclairer. Un archétype encore une fois qui confirme la reprise du fameux parcours initiatique du héros. Mais ici, l’héroïne tente de surmonter un obstacle particulier : la dépression. L’adage dit que sous son poids, on se sent “au fond du gouffre”. L’opposé d’un gouffre ne serait-il pas une montagne ? Ainsi, en atteindre le sommet semble être la clé symbolique pour retrouver une certaine joie de vivre.
C’est là que Celeste révèle son originalité et prend les attentes des joueurs à contre-pied. Un sujet aussi grave que la dépression laisse à penser que l’on va découvrir un monde sombre et torturé. C’est tout l’inverse. La direction artistique de Celeste est marquée par les couleurs vives, des décors parfois enchanteurs et des personnages qui semblent tout droit sortis d’un dessin animé. Et malgré tout, grâce à l’usage correct de la structure du conte et de ses symboles, le poids de la dépression sur la vie de Madeline est palpable. Celle-ci s’incarne parfois dans son double sombre qui tente régulièrement de la décourager.
Il s’agit d’un Die & retry. Un genre où le joueur doit réussir des tâches très ardues quasi impossibles du premier coup. Tout le but est d’échouer pour s’améliorer à force d’insistance. Ce qui crée un parallèle avec l’expérience de la dépression. Ceux qui en sont victimes en parlent souvent comme une épreuve constante où l’on tombe sans arrêt, mais que l’on ne doit pas abandonner si l’on veut s’en sortir. Le jeu transmet ainsi bien l’expérience de la psyché de son protagoniste à travers des actions. Ce genre de jeu est également connu pour être une source importante de stress. Ce n’est pourtant pas particulièrement le cas dans Celeste. Entre les plumes qui libèrent de la contrainte de la gravité, les blocs remplis d’étoiles et les petites fraises volantes, les objets du jeu font plutôt appel à un sentiment de légèreté et de bien-être. Ce qui est encore un parallèle avec la dépression, la légèreté s’opposant au poids de celle-ci que décrivent ceux qui en sont victimes.
Cette association des contraires à un effet bénéfique sur le jeu. Jusque dans le récit lui-même. La part sombre de Madeline n’est pas présentée comme mauvaise. Les idées de bien et de mal sont elles aussi foulées au pieds. La vision manichéenne que Madeline a de ce double qui cherche à la décourager, ainsi que son rejet sans discussion de celle-ci, renforcent les ténèbres qui l’attaque régulièrement et l’empêche d’atteindre son objectif. Tout ce que cette part inquiétante cherche à faire en réalité, c’est l’empêcher de risquer sa vie. Ce n’est que dans la compréhension et l’acceptation de cette “part d’elle même” qu’elle parvient à débloquer son dernier pouvoir qui lui permet de s’élever encore plus qu’auparavant.
Au final, l’équipe de Matt Makes Games est parvenu à produire une œuvre qui brise les idées reçues sur deux choses particulières. Celeste est un Die & retry relaxant. Tout se combine pour former une expérience cohérente avec son sujet qui est traité d’une manière originale. Ceci formant à la fois un conte moderne et une nouvelle référence du genre Die & retry.
Crédit image : ©Matt Makes Games