Splitscreen-review Image du coffret Ozu édité par Carlotta Films

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Coffret Ozu - Carlotta Films

Publié par - 13 décembre 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Carlotta Films a l'excellente idée de réunir 20 films du cinéaste japonais Ozu Yasujiro dans un coffret. 20 films tous présentés dans des copies restaurées (certaines en 4K ou 2K !) qui sont les meilleures disponibles actuellement. Le coffret est une somme conséquente qui permet d'approcher une œuvre qui, sans aucun doute possible, s’est imposée comme l’une des plus précieuses de toute l’histoire du cinéma. 20 Films, c’est déjà plus qu’une simple introduction au cinéma d’Ozu qui se compose de 54 films au total. Ces 20 films décrivent un monde qui se résume à la culture japonaise explorée en profondeur. Un monde aux contours dessinés par une immersion dans les zones les plus intimes d’une communauté rurale ou urbaine, celles de la cellule familiale où les enjeux sociétaux résonnent et envahissent l’espace.

Sans prétendre à l’exhaustivité, voyons ce que le coffret nous permet de découvrir, d’apprendre, de comprendre ou de revisiter. Déjà, d’un point de vue factuel, la période couverte par les films qui composent ce coffret Ozu s’étend presque sur toute la vie artistique de l’auteur et constitue un échantillonnage représentatif des tendances stylistiques et thématiques de l’œuvre du cinéaste (Ozu réalise sa première œuvre en 1927 et sa dernière en 1962 et le coffret nous propose des films qui ont été réalisés entre 1929 et 1962). Ozu, dans l’esprit de la cinéphilie, est un cinéaste considéré comme sérieux voire austère. Il serait vain de tenter de dire le contraire pour ses films les plus connus mais il est à noter que, au tout début au moins, Ozu a réalisé autant de comédies que de drames et que le modèle narratif et formel de son cinéma lorgnait largement sur l’Occident. J’ai été diplômé mais… (1929), Où sont les rêves de jeunesse ? (1932), Gosses de Tokyo (1932), présents dans le coffret Carlotta Films, en témoignent.

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Bonjour

Au fil du temps et des œuvres, un style fondé sur une rythmique et un découpage particuliers se dégage plus nettement. Ozu épure et libère ses films de quelques manières qui ne convenaient plus à ses préoccupations. Plus le temps avance, plus Ozu procède par élimination et concentre son propos sur la révélation de ce qui est caché plutôt que par l’exposition de sentiments dévoilés par la parole ou par une caméra surinterprétative. Il s’agit ainsi de stimuler le spectateur invité à guetter le moindre signe visible ou audible pour expérimenter une réalité ou une problématique qui peuvent se transformer en souffrance affective ou morale. Ozu adopte un modèle antinaturaliste emprunté aux formes théâtrales traditionnelles où le minimalisme sert à souligner l'importance de l’apparition du moindre élément contraire au déroulement d’une routine bien huilée. Ozu travaille à ne pas montrer, à ne pas expliciter mais plutôt à éveiller l’esprit du spectateur par la force suggestive des cadrages ou du montage. Une discussion familiale qui se tisse au gré d’un repas dans une logique quotidienne se verra transformée par la durée d’un plan légèrement plus long que de raison. Le temps laissé alors en suspension permet l'éclosion d'un vide qui traduit des sentiments profonds que la pudeur réprime.

Il en va de même avec cet usage récurrent et parfois surprenant de vues extérieures à l'action qui s'insèrent dans le récit sans lien apparent avec les plans qui précèdent ou qui suivent. Ces plans presque autonomes interviennent comme des ponctuations ou des respirations mais ils incitent également le spectateur à envisager des significations extérieures au contexte filmique. Nous rejoignons le principe d'une étude de cas puisque les affects sont alors, par le montage, propulsés dans la sphère publique de manière à rendre compte d'une réalité (émotionnelle ou matérielle) qui excède les limites du cercle familial. Ce rapport entre le montré et le caché qui s'active par l'intermédiaire des pouvoirs suggestifs des inserts rejoint la position des caméras qui enregistrent les discussions familiales.

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Printemps précoce

À ce titre, les repas sont souvent l'occasion de la révélation des tourments de chacun. Ozu les filme généralement depuis le ras du sol. Il est donc question de positionner le spectateur à hauteur des personnages mais à distance. Nous sommes témoins mais nous ne sommes pas conviés à entrer dans l'espace de l'intimité. Ozu filme ces scènes en plan moyen avec une légère contre-plongée. Cette dernière introduit de l'inattendu. Il s'agit de permettre aux personnages de ne plus se contenter d'assumer un rôle social et/ou familial et de sortir de leur condition simple. Comme avec les plans d'inserts évoqués en amont, il est question avec ce principe de franchir le seuil d'une normalité apparente pour singulariser l'attitude des personnages et les transformer en figures transgressives puisque ces plans soulignent une volonté de rompre avec la logique que les obligations sociales et familiales imposent à l'individu.

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Le goût du riz au thé vert

La famille chez Ozu revêt plusieurs caractéristiques qui, parfois, sont contradictoires. Tout ce qui tourne autour de la réunion familiale est représenté de manière théâtrale comme une suite de rituels codifiés où chaque personnage occupe une position qui équilibre ou déséquilibre les cadrages en fonction de ce qui se joue. Au-delà de la position physique de chacun dans le cadre et de la fonction de pur élément constitutif de l'image, les individus sont confinés dans un rôle qui, lorsqu'il est respecté, permet de dissimuler les drames latents. Le drame familial n'a pas lieu d'être. Dans une famille japonaise "normale", le drame ne peut survenir puisque les origines de celui-ci n'habitent aucune conscience en présence. Il faut un événement, même anodin, pour que le trivial disparaisse et qu'une situation inhabituelle surgisse. Chez Ozu, les crises familiales qui sont au cœur de son cinéma traduisent le drame qui habite la population japonaise et les tensions qui en résultent construisent une réflexion sur la condition humaine.

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Le goût du saké

L'effort demandé au public peut paraître conséquent car les espaces topographiques sont généralement vidés de toute manifestation sentimentale. La sensation de vide qui s'en dégage est troublante car il est complexe, pour le spectateur, de se projeter dans le film pour des raisons affectives. Il est également relativement difficile d'habiter le film et encore plus, sans doute, de s'identifier à ce qui est montré. Le vide, "Mu" en japonais, est un concept multiple qui hante le quotidien japonais sous des formes aussi tangibles qu'abstraites. Donner vie au vide est à l'origine de la pensée, c'est ce qui l'active. La présence du vide et son importance dans l'édification d'un monde qui retranscrit une pensée animée se vérifie jusque dans les architectures intérieures puisque les espaces se reconfigurent au gré des dispositions des panneaux coulissants qui délimitent les espaces d'habitation. La considération et l'importance accordées au vide par Ozu rejoignent également quelque principe de la peinture traditionnelle. En peinture, le vide permet à l’œuvre de se libérer de ses propres limites formelles, le vide est une respiration qui accorde à la peinture l'occasion de trouver sa position spirituelle dans le monde. Si on adapte ces principes au cinéma, nul doute que le vide convoqué par Ozu permet à ses films de toucher l'esprit du spectateur en instituant une sorte d'harmonie intellectuelle née à partir de ce que le spectateur projette dans les espaces laissés vides (temps, topographie, etc.). Si l'espace est laissé vaquant, c'est donc pour que le spectateur le garnisse de ses pensées.

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Fleurs d'équinoxe

Le partage instauré traduit le plus souvent les conditions d'un malaise psychique lié à la prise de conscience du temps qui passe et que certaines réalités affectives se désagrègent. Ce qui occasionne des craintes qui taraudent les individus. Ils sont en alerte permanente afin de saisir tout instant de félicité, conscients que le bonheur n'existe que dans l'instant. La crainte ultime d'un personnage d'Ozu c'est de rater le moment où le temps est suspendu à une joie aussi intense que fuyante. La douleur la plus prononcée réside dans la matérialisation de l'irréversibilité des actes, des choses et du temps. Ce que confirme le traitement des morts de personnages puisque celles-ci démontrent brutalement que tout est éphémère. Sauf finalement l’œuvre laissée par Ozu lorsqu'il disparaît, en 1963, le jour de son anniversaire. Sur la tombe du cinéaste, on peut lire le caractère (mu), un terme qui rejoint l'idée de fusionner avec l'univers et de se fondre dans tout ce qui compose notre monde. Nul doute que l’œuvre d''Ozu y est parvenue.

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Crépuscule à Tokyo

L'image des films restaurés en 4K et 2K est, le plus souvent, remarquable. Revoir par exemple Voyage à Tokyo dans de telles conditions est en soi un ravissement qu'il serait bien dommage de ne pas connaître.

Pour ce qui est des suppléments, bon nombre étaient déjà présents dans les différentes éditions des films de l'auteur chez Carlotta Films. On notera la pertinence de certains bonus : entretien avec Catherine Cadou, l'analyse du regretté Jean Douchet d'Il était un père, Conversations sur Ozu (80 min). L'apport conséquent de J'ai vécu mais... un documentaire de 2h qui revient sur la vie et l’œuvre d'Ozu participe grandement à l'attrait considérable de ce coffret qui constitue un véritable modèle de réjouissances cinéphiliques.

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Été Précoce

Crédit photographique : ©  Shochiku Co., Ltd.

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LES SUPPLÉMENTS :

DOCUMENTAIRES
"J’AI VÉCU, MAIS…" (123 mn)
"CONVERSATIONS SUR OZU" (80 mn)
"CHISHU RYU, L’ACTEUR FÉTICHE" (45 mn)
COURTS-MÉTRAGES
"AMIS DE COMBAT" (14 mn)
"UN GARÇON HONNÊTE" (14 mn)
"KAGAMIJISHI" (24 mn)
ANALYSES
ENTRETIENS
BANDES-ANNONCES

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