Spellbound. « Regard à Gauche. Face caméra. Inquiétude, regard à gauche. On revient droit…OK. Ingrid, en place, même jeu …». La scène est en studio, un ventilateur fait le vent au visage de Peck, un nom, puis au visage d’Ingrid, un prénom. La neige se fait croire et ne va pas dans les yeux, les acteurs jouent de cheveux et de regards et se lisent. Chacun son tour à la caméra. Ensuite, montage montagne, on vous rassemble. Ensuite, je suis dans la salle (devant la télévision) et je ne joue pas. La montagne, la pente. Et la trace des skis rayant l’écran semble être une voie primaire et fragile, la glisse, le blanc soulevé dans l’écran large et la glissade fatale en souvenir et révélation. Dans le ravin qu’on a deviné, qui va balancer l’autre ? La neige rapide pour que revienne un drame. Une mort antérieure. Je veux avoir peur, je veux l’incertitude, je veux avoir froid ! Ils tombent, sont sauvés. Se réchauffent. C’était un accident.
Nous aurions tous en tête des bronzés qui font du ski de façon moins pensée, au moins quelques images et des répliques, des recettes, le culte et nous pourrions aussi ne pas aimer cet artifice. Cette consommation. Glissons.
Mais la neige au cinéma peut être bien autre chose. C'est la sublimation de la lumière, c'est l'absence de couleur, c'est le manque de végétal et d'animal, donc la faim et la solitude, c'est le froid, l'étendu vide et une forme de désert, c'est la mort possible. Avec ou sans pente. C’est sur l’écran la disparition des écritures.
Quand John Wayne et le gamin cherchent Natalie Wood, on pense au désert, ça passe par la neige, ça devrait s'éteindre là, dans l'usure et l'impossibilité mais ils vont plus loin, c'est à dire plus loin dans les saisons, jusqu'à la disparition du cowboy quittant le foyer, la cabane qui est le refus de la neige et du soleil.
Dersou Ousala est dans la neige, oublié alors qu'il est un héros du quotidien, qu'il avait justement lutté contre la neige en fabriquant une cabane de paille avec le trépied de l’explorateur ; un petit cochon le remercierait. Il sait survivre aux éléments, il était de la nature et la nature le reprend. Certes, assassiné par des hommes dont il ne sait pas se protéger. Les loups ne sont pas loin et la neige n’est pas méchante.
Un Pawnee reprend la scène pour sauver Di Caprio, branchages et feu sous la tempête, le foyer, Di s'en sort encore, il mourait dans ses premiers films et revenant de tout, il sait la neige, il sait la survie, il souffle sur l'objectif, buée, il regarde la caméra, The End, il aura d'autres vies. Les chevaux s’enfoncent, le Pawnee subit un sort similaire à Dersu, il est pendu à un arbre, il reste un fruit de la nature, il est un sauvage, en français dans l’image.
Mais que fait ce cheval de son cavalier s'enfonçant dans l'enquête et ce besoin de vérité ? Dès le générique, un cheval avance et son soldat subit, la neige est encore blanche, elle rosira peu à peu si on la voit en pellicule 35mm ; la copie DVD est bien pâle. C'est un roi sans divertissement, un juge sans illusion, un capitaine curieux qui croit sublimer sa recherche dans la neige et sa vérité absente. Des loups, les hommes. La neige recouvre les crimes et passions, elle offre les traces, il faut encercler le paysage, il faut la nasse. Le blanc appelle le sang et l’absorbe tandis que les hommes s’ennuient.
Le Narcisse noir est dans l'attente de neige, montagnes au loin, c'est la cornette glaciale qui la remplace, calme et persévérante ; ne viendra que la pluie : il faut partir. La neige reste et celui qui sait voir la neige.
La neige est au bois yéyé dans le clip de Claude François, 2mn15, neige belle, etc... Derrière l’objectif, des techniciens très couverts, des couvertures et du thé en attente ou du grog. Un Saint-Bernard ne traverse pas l’écran, Lelouch n’est plus sur la plage. Rouge et blanc.
Un train dans la neige. Perdu ? Un transperce-neige transporte l'humanité, fait trois petits tours infinis. Ce train agit comme un vaisseau sans port et se lit comme une lutte des classes ; peut-on procéder à une révolution sur une ligne ? L’infini déplacement devient une immobilité. S'en échappent d'éventuels Adam et Eve. Nus ? Le monde est recouvert, il faut (peut-être) le fabriquer à nouveau, inciter une chaleur. C’est le dégel des amants.
La Reine des neiges fait chanter les enfants, 1,2,3, glissons, la suite approche. Bambi glisse et tombe et Panpan lui apprend la glace et le froid et l'amusement, premières neiges. La forêt disparaît au profit des personnages, de leurs premiers apprentissages. Ensuite, le feu, la mort, d'autres histoires, je grandis, je planque mes glands. La neige conserve tout. « Chaque an reverdira le feuillage des chênes » - Robert Desnos
Non, du sang sur la neige, Wind River, Fargo, révélation du rouge, on le voit chez Tarkovski, oups, chez Paradjanov dans les Chevaux de feu, la neige éclabousse, la neige voit les rivalités de l'impossible Roméo & Juliette.
Il y a de la neige dans Tarkovski, dans son interrogation jusqu'à la révélation, c'est-à-dire la couleur, je m'emporte, glissons là. Ah, Nicholson sort de son hôtel, se perd dans le labyrinthe, reste de glace quand nous nous en allons, tout est recouvert, tout croit mourir et le cauchemar et ses fantômes sont enfouis. All work and no play makes jack a dull boy (bis repetita placent), recouvrement de la feuille blanche par une trace hypnotique.
La neige au cinéma est un recouvrement. Elle permet d'y écrire son passage, d'y suivre des pistes. Comme à la guerre, comme à la chasse, comme dans la littérature, des pistes partout où sont les neiges d’antan. Un western peu connu la sublime simplement. Il serait aisé d'évoquer la neige comme personnage. Formule inutile, le décor est depuis longtemps le personnage du cinématographe. La neige est ici vivante et oblige les actions, pas seulement décor, elle fait les mouvements, les écrasements, les enlisements, les chutes, elle distribue les rôles et les glissades, les morts et les fuites. André de Toth, La chevauchée des bannis.
Il neige dans Zéro de conduite, il neige une révolte amusée, édredons explosés, neige anarchiste de studio-plume, comme il neige au début de Napoléon, encore nommé Bonaparte. Les enfants ont les boules ; retraite de Russie.
Russie de l’URSS, Iouri Norstein aime la pluie, le brouillard, les saisons marquées, n’aime pas le soleil, n’en a pas besoin, il projette du sombre qu’il estompe en animation. D’après Gogol, son Manteau est révélé par la neige, pour peu qu’on puisse voir un extrait de cette inachevée conquête. La neige révèle les manteaux qui cachent les personnages marchant, fuyant, sortant du cadre, y entrant et dans l’histoire. Ici, la neige accompagne la forme et lui donne son relief. Ioury n’arrive pas à se connecter. Ah, enfin. Skype dans le brouillard, il chante du Schubert. Pas d’image du Manteau sur Internet, attendons.
Winter sleep, la neige permet de justifier l’immobilité : je rentre, je n’ai pas pu aller. Mais « tombe la neige, impassible manège » et deux corps sont enfermés qui n’en formaient qu’un, qui se divisent, cœurs gelés.
Toute une vie placée sous la recherche d’un souvenir indispensable. Kane perd la boule, chalet sous la neige et le nom désiré de la luge, première et ultime glissades, les couvertures se servent plus au corps, la neige perd la main, tombe, se casse.
Allons à l’essentiel, vidons l’image de toute végétation, de tout objet, de tout chemin, la bataille se fait sur le lit de l’abstraction, Nevski, les hommes, leurs mouvements, les mourants. Poussières de neige, noir & gris & blanc. En silence. Le cinématographe. Le reflet de Nanouk. La neige est là pour un oubli passager, pour nettoyer des plaies et des guerres et pour que le sol n'ait plus de substance que ce déséquilibre entre le froid et la fonte, entre la glace et l'eau, entre le blanc et l'Eastman Color. Ailleurs, le vide.
Russie encore ? Le Dr Jivago revient de tout, il veut sa paix, la datcha est prise dans les neiges, celle du pays, celle de l’Histoire. Le projecteur s’éteint, l’écran redevient blanc, attend. Nous saurons le printemps, les naissances, les séances.