Splitscreen-review Image du coffret Mizoguchi édité par Capricci

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Coffret Mizoguchi - Capricci

Publié par - 23 décembre 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Après la rétrospective qui fut consacrée à Kenji Mizoguchi pendant l'été 2019, Capricci édite un coffret Blu-ray/dvd qui regroupe 8 films majeurs de l'auteur dans des copies restaurées. Revoir Miss Oyu, Les contes de la lune vague après la pluie, Les musiciens de Gion, L’intendant Sansho, Une femme dont on parle, Les amants crucifiés, L’Impératrice Yang Kwei-fei et La rue de la honte dans des conditions a priori optimisées attire inévitablement l'attention de la cinéphilie. C'est que Mizoguchi bénéficie toujours, à raison, d'un crédit qualitatif qui ne s'est jamais démenti depuis la découverte des Contes de la lune vague après la pluie à la Mostra de Venise en 1953. Ensuite, tout s'est enchaîné. En Occident, les critiques avides de nouveauté et curieux de films qui pouvaient nous arriver de régions peu considérées sur nos écrans jusque là, scrutaient avec avidité les films japonais depuis la révélation de Rashomon d'Akira Kurosawa qui reçut à la surprise générale un Lion d'Or à la Mostra de Venise en 1951. Mizoguchi, lui, dans les années 1950, s'engage dans la réalisation d'une série de films remarquables. La critique occidentale et le cinéaste avaient rendez-vous à chaque sortie de film. Même après la disparition prématurée de Mizoguchi en 1956, ses œuvres ont continué d'être auscultées, revisitées, analysées pour le bonheur de plusieurs générations de cinéphiles.

Mizoguchi décontenançait autant qu'il fascinait. Il y a quelque chose dans son cinéma qui résiste à une analyse cognitive. Il faut creuser, se questionner, ne pas hésiter à remettre en cause ses certitudes pour que l’œuvre se dévoile. Les problématiques qui balisent le travail du cinéaste sont nombreuses. Il en est une qui frappe pour sa singularité. Il s'agit du rapport entre le cinéma et le théâtre. Ce lien, inévitable lorsque l'on évoque un cinéaste japonais qui a commencé sa carrière à l'époque du muet, se vérifie de plusieurs manières. D'abord, le cinéma de Mizoguchi reprend à son compte des thématiques ou des récits qui ont irrigué l'univers du théâtre japonais. On distingue par ailleurs dans cette approche du théâtre la volonté d'enrichir le support filmique de certaines caractéristiques esthétiques très précises (présence du masque, usage du maquillage, code vestimentaire, etc.). Celles-ci tendent à créer des conditions particulières afin de nourrir l’œuvre de notions qui touchent à la profondeur des êtres.

Mais c'est autour de trois questions essentielles, qui s'interpolent les unes les autres, que l'on peut le mieux mesurer la portée de l’œuvre de Mizoguchi : le féminin, les relations entre le réel et l'imaginaire et tout ce qui relève de la cosmogonie. L'essence du cinéma de Mizoguchi se trouve dans l'observation des effets du surgissement de l'imaginaire des personnages masculins dans la réalité quotidienne de ceux-ci. Il n'est pas hasardeux d'employer l'expression de contamination subjective pour décrire ce phénomène puisque les insatisfactions, frustrations ou tout simplement les désirs de toute puissance qui habitent les hommes peints par Mizoguchi impactent la destiné des personnages féminins. La mise en scène tend à rendre palpables aussi bien les causes que les conséquences de l'irruption visuelle des fantasmagories qui peuplent l'esprit des hommes dans la dramaturgie. Comme pour mieux souligner les néfastes répercussions de ces manifestations égocentriques de la psyché masculine sur les femmes, la mise en scène use de procédés véristes (plan séquence, travellings fluides, positions de caméra, etc.) qui tendent à rendre plausible et imperceptible l'émergence de ces phénomènes oniriques dans le discours. Les territoires du tangible et de l'abstrait, ainsi convoqués et amalgamés, nécessitent un travail particulier puisque le spectateur se doit d'être impliqué dans le processus pour que ce dernier fonctionne pleinement. En dehors des travellings qui remplissent le rôle d'agents de liaison, Mizoguchi fait usage de codes propres aux arts représentatifs japonais de manière à rendre concrètes les illusions puisqu'elles existent dans une culture qui s'étend du théâtre à la littérature.

Faire l'usage du plan séquence et de mouvements d'appareil de manière aussi récurrente est une manière en soi d'imprégner le film de réalisme et de tendre vers une forme de véracité. Le mouvement de caméra est roi chez Mizoguchi. Son cinéma répond à une logique simple : puisque ça bouge, ça vit, c'est réel. L'espace filmique est donc la transposition de questionnements qui tendent à prêter vie à tout ce qui se voit dans le cadre et tout ce qui permet de constituer le cadre y compris lors des déplacements de la caméra. Le monde ainsi filmé se transforme, à coup de travellings, en espace organique qui permet de mesurer le rapport de l'homme au monde. Nous rejoignons ainsi quelques questions animistes qui ne se discutent pas au Japon puisqu'elles font partie intégrante d'un quotidien rythmé par la cohabitation de l'animé et de l'inanimé. La résonance des gestes, des actes et des propos de chacun se répercute sur l'espace décrit par la caméra de Mizoguchi. Les espaces deviennent ainsi le reflet de questionnements profonds qui trahissent la présence de conflits intérieurs aux personnages. Là est la quête ultime d'un personnage chez Mizoguchi : trouver sa place physiquement et psychiquement dans un monde que l'on souhaiterait accorder à ses propres désirs.

Le constat est souvent amer car la satisfaction convoitée par les uns s’acquiert au détriment des unes. La femme sera toujours la proie d'un fonctionnement politique qui puise son énergie dans la déshumanisation du féminin. La dynamique sociale qui anime le Japon s'effectue toujours aux dépens des femmes considérées comme des objets de désir soumis aux caprices du masculin. Peu importe l'époque pendant laquelle se déroulent les films, les femmes sont des victimes. La société japonaise a vécu pourtant de grands bouleversements. L'ère Meiji, par exemple, marque la fin de la politique d'isolement et le début d'une politique de modernisation du Japon. Cette période aurait pu être assortie d'une vision progressiste de la société et amorcer le nivellement des disparités qui séparent les hommes et les femmes. Hélas, si l'ère Meiji cristallise un champ des possibles qui s'ouvre sur une forme de modernité, le modèle de système industriel occidental adopté par le Japon ne gomme pas toutes les formes de féodalité qui continuent de hanter durablement certains comportements. L'ère Meiji est associée à un bouleversement social, politique et culturel. Mizoguchi nous dit que ces mutations sociétales touchent les domaines de l’industrie, de l’économie, de l’agriculture et du commerce mais que cela ne s'accompagne en rien d'une considération nouvelle quant à la condition de la femme. Il est évident qu'aucune différence de considération n'apparaît entre les femmes observées dans La rue de la honte et celles qui peuplent Les contes de la lune vague après la pluie. Au contraire, le traitement du féminin de La rue de la honte s'inscrit dans la continuité de celui que l'on distingue dans Les contes de la lune vague après la pluie, L’intendant Sansho ou dans Les amants crucifiés. La femme chez Mizoguchi, de tout temps, est systématiquement désavouée, niée. Elle est livrée en pâture à un système qui ne la considère jamais comme un être humain tout en sachant combien elle est indispensable à son équilibre et à son fonctionnement. Au-delà d'une mise en scène où la forme est essentielle à la diffusion des pensées de l’auteur, le traitement de certaines problématiques fait de Mizoguchi, cinéaste progressiste et féministe d'un autre temps, un modèle de modernité en parfaite adéquation avec certains questionnements de notre époque.

Les images des Blu-rays sont particulièrement impressionnantes sur les trois copies restaurées en 4K (Les contes de la lune vague après la pluie, L'intendant Sansho et Les amants crucifiés). Pour le reste, sans être transcendant, l'apport de la HD est significatif au regard des copies dont nous disposions jusqu'à présent.

Les suppléments sont inexistants en vidéo et il faudra se contenter d'un livret de 128 pages dans lequel figurent un texte de Kenji Mizoguchi (publié dans Les cahiers du cinéma en 1961), des entretiens avec des collaborateurs de Mizoguchi réalisés par Ariane Mnouchkine (publiés dans Les cahiers du cinéma en 1964) et une approche critique des 8 films du coffret formulée par Gabriella Trujillo.

 

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Suppléments :
UN LIVRE INÉDIT DE 128 PAGES RÉALISÉ EXCLUSIVEMENT POUR LE COFFRET :
– Bilan de la cinquantième année, par Kenji Mizoguchi
– Le dernier Mizoguchi : chronique de la beauté mouvante dans le soleil levant. Un parcours dans les films et la vie de Mizoguchi par la critique Gabriela Trujillo
– Un cinéaste au travail. Entretiens menés en 1964 par Ariane Mnouchkine avec les collaborateurs de Mizoguchi
– Fiches détaillées sur les films
– Filmographie
– Nombreuses photographies

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