Pour la dernière semaine de décembre, Les films du Camélia distribuent en France le nouveau film de Vincenzo Marra, L’Equilibrio, présenté à la Giornate degli Autori lors du 74e Festival de Venise. L’Equilibrio s’intéresse à l’histoire du père Giuseppe, ancien missionnaire en Afrique, qui est transféré dans le diocèse de Naples dans une de ces banlieues italiennes communément appelées « terra di fuochi » (terre des feux) dont l’équivalent français serait les zones de non-droits.
La séquence d’ouverture du film nous permet très vite de caractériser le personnage principal. Les plans d’ouverture et de fermeture sont identiques, larges et fixes sur un couloir de ce qui semble être un centre pour réfugiés. Don Giuseppe entre et sort de ce couloir dans la même échelle de plan. Mais différence il y aura. Le comportement de Giuseppe se modifie entre le moment où il entre et le moment où il sort, comme le souligne la bande sonore. Tout d’abord, quand Giuseppe entre dans la première chambre, on n’entend que l’échange joyeux entre le prêtre et les demandeurs d’asile, tandis qu’une fois arrivé dans la salle de bain, un son strident commence à s’entendre au même moment où Giuseppe découvre un autre réfugié qui s’est volontairement tranché l’artère. Cette séquence donne le ton du film : on s’interroge avant tout sur la relation entre l’individu (ici Giuseppe) et le lieu dans lequel il se trouve.
À sa demande, Giuseppe est transféré dans une petite ville dans la région de Naples où il remplace Don Antonio : un prêtre apprécié de ses ouailles qui combat principalement le rejet illégal des déchets toxiques. Très vite, Giuseppe prend le relais de son prédécesseur et tente de venir en aide à la communauté par son devoir sacerdotal ainsi que pastoral. Il fait notamment des allers-retours dans des zones dangereuses afin de convaincre le jeune Saverio de venir à l’hôpital auprès de sa mère qui souffre d'un cancer. Malgré le danger que représente le lieu, Giuseppe avance avec une détermination qui honore sa vocation. L’usage de la caméra à l'épaule contribue à une esthétique très proche du reportage et elle reste focalisée sur Giuseppe qui avance avec espoir au milieu de cet urbain délabré, comme une lumière dans les ténèbres.
Néanmoins, c’est lorsqu’il se confronte à des situations injustes qu’il commence à comprendre le véritable défi qui se présente à lui. On prendra pour exemple le moment où il voit des jeunes jouer au football sur la route, tandis que le terrain qui appartient à l’église sert d’enclos à la chèvre du caïd local. Selon la loi civile, le terrain revient de droit à Giuseppe, mais selon la loi de la rue il revient au plus fort. La problématique s’aggrave lorsque le mafieux est soupçonné de viols sur mineurs. Le prêtre comprend alors que son prédécesseur préférait taire des actes immoraux afin de préserver la paix sociale et se concentrer sur une autre bataille, celle contre les déchets toxiques. Cette vision de la justice n’est pas celle de Giuseppe qui, malgré les menaces et la fréquentation en baisse des offices, tente de faire entendre son cri d’alarme aux différentes formes d'autorité. Ces dernières restent de marbre, atténuent la réalité, et appellent le prêtre à se contenter de maintenir l’équilibre, rien de plus.
Comme l’a noté Marra lui-même, cet éponyme « équilibre » est le grand dilemme moral du film. Il questionne sur le choix à faire dans un pays qui a été abandonné. L'enjeu moral est de taille : trouver un juste positionnement entre le laissez-faire de Don Antonio au bénéfice d’une plus grande cause et l’esprit missionnaire de Don Giuseppe qui voit en la plus petite action une manière de contribuer au bonheur de chacun.
Cet « équilibre » incarne aussi la casuistique qui touche l’humain confronté à un monde pauvre, sale, enfoui sous les ordures, dans lequel la seule loi qui vaille est celle de ceux qui contrôlent le trafic et les armes. Doit-on, comme Antonio, compromettre notre conscience en fonction de la réalité dans laquelle nous sommes ? Ou doit-on suivre notre conscience et la morale qui nous habite quel que soit le prix à payer ? Sans donner de réponse, Vincenzo Marra transpose cette question séculaire dans une réalité bien actuelle.
Crédit photographique : © Les Films du Camélia