Splitscreen-review Image de Punk Rock Jesus

Accueil > Bande dessinée > Punk Rock Jesus

Punk Rock Jesus

Publié par - 3 janvier 2020

Catégorie(s): Bande dessinée

Une œuvre retranscrit toujours la vision du monde de son créateur, ses opinions, ses pensées autant que ses craintes. Souvent, un auteur ressent le besoin implacable de faire le récit d'une certaine histoire. C’est le cas de Sean Murphy, jeune auteur de comics américain. Celui-ci se voit proposé de travailler sur la célèbre licence Assassin’s creed mais il a refusé pour se consacrer à un récit de science-fiction plus personnel, ancré dans son propre parcours philosophique : Punk Rock Jesus.

Dans ce comics, dont l’intrigue démarre en 2019, une société du nom d’Ophis, à l’initiative du producteur Mr.Slate, lance le projet Jesus#2. L’objectif est de créer un clone de Jésus-Christ à partir du Saint-Suaire et de faire de sa vie une émission de téléréalité. Une jeune femme vierge, Gwen Fairling, est choisie comme mère porteuse et met au monde ce messie artificiel, vénéré par la moitié de la planète et détesté par l’autre. L’enfant, baptisé Chris, est ensuite éduqué dans l’idée qu’il est Jésus réincarné, porteur d’amour et de miracles pour la plus grande joie des spectateurs et constamment menacé par les fanatiques qui campent aux portes de la demeure dont Ophis ne le laisse jamais sortir. Le comics nous raconte alors la vie de ce personnage prisonnier de son rôle et biberonné au catéchisme. Postulat ironique quand la société qui dirige sa vie se nomme Ophis, serpent en latin, symbole explicite du Mal.

En dépit des ambitions de Mr. Slate, tout ne se passe pas comme prévu. Jésus est entouré de personnages hauts en couleur tout aussi prisonniers que lui : un ancien de l’IRA, Thomas McKael, sa mère en pleine dépression et la scientifique à l’origine du projet, Sarah Epstein. Ce huis-clos, comme le veulent les codes de ce style narratif, contraint les différents personnages enfermés à cohabiter et à s’ouvrir les uns aux autres. McKael est en quête de rédemption à cause de son passé terroriste. La mère de Jésus culpabilise d’avoir fait de son enfant une bête de foire après être devenue mère porteuse pour effacer les dettes de ses parents. Et Epstein remet de plus en plus en question son sens éthique. Ce projet avait pour but de financer ses recherches visant à lutter contre le réchauffement climatique. Mais avait-elle le droit de modifier les gènes de l'enfant pour lui donner une allure plus en accord avec les exigences marketing de Mr. Slate ? La culpabilité est ainsi au centre de cette histoire. Chacun est rongé par ce sentiment et espère que le nouveau messie les aidera à les en libérer.

Mais cela non plus ne se passe pas comme prévu. À mesure que Jésus grandit, enfermé dans les locaux d’Ophis et entouré de drames personnels et de violence, il prend conscience de sa condition et rêve de liberté. Nulle surprise à ce qu’il s’intéresse à la musique Punk, mouvement musical fondé sur l’idée d'une remise en question politique de la société. Le lecteur comprend les choix du personnage après avoir vu les effets oppressants du monde, dominé par les médias de masse et le fanatisme, qui a dirigé chaque aspect de sa vie. Le parcours du protagoniste, semblable à celui de n’importe quel enfant, de l’enfance naïve jusqu’à la crise d’adolescence, rend ce Jésus parfaitement humain et ridiculise ou dramatise, selon les personnages concernés, les attentes que les autres portent sur lui. Ce qui l’amène, la gloire aidant, à devenir ce qu’il pensait éviter d'être : un messie, mais un messie Punk.

Le récit floute les repères moraux d’un monde dépeint comme fou. Les religieux, montrés comme des gardiens autoproclamés de la morale, passent pour des hypocrites. La plupart d'entre eux sont en admiration devant ce messie produit par la société des Mass Media, le capitalisme et une science peu attachée à respecter toute forme d’éthique. Les autres font preuve d’une telle violence que l’on doute de leur sincérité à incarner leur fameuse religion d’amour et de paix. Nous sommes ici en présence d'une dualité qui témoigne à la fois du parcours personnel de l’auteur, né catholique et devenu athée, et des contradictions propres aux États-Unis, pays des télé-évangélistes, du scientisme, de la violence banalisée et de la liberté. Le récit est cependant parsemé de moments de tendresse qui montrent malgré tout une forme d'aspiration à l’amour, au pardon et l’acceptation des autres ; des valeurs paradoxalement considérées comme chrétiennes. Une grande confusion définit ce monde contradictoire, à la violence omniprésente, où l’amour ne se manifeste pas forcément chez ceux qui le prêche.

Le principe fondamental de la science-fiction est d’apporter une réflexion sur les progrès de la science et les changements sociétaux apportés par ceux-ci, en particulier pour ce qui est de l’Anticipation. Le comics de Sean Murphy correspond ainsi à cette définition du genre. On pensera à de multiples reprises au livre d’Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, paru en 1932, qui imagine une société dystopique dans un avenir éloigné difficile à dater. On peut aussi penser au 1984 de George Orwell, paru en 1948, ou à Un bonheur insoutenable d’Ira Levin, sorti en 1970, qui nous parle d’un monde uniforme après l’an 2000. Plusieurs décennies séparent en général les auteurs de ces œuvres du monde contre lequel ils nous mettent en garde. Ce n’est pas le cas de Punk Rock Jesus. Sortit en 2012, son récit se passe en 2019. À peine sept années séparent l’œuvre de Murphy de l’avenir qu’il entrevoit. Les technologies exposées dans cette fiction n’ont jamais semblé aussi proches de notre quotidien. Le clonage ne semble plus être un fantasme. Au-delà de sa réflexion religieuse et sociétale, Sean Murphy semble nous montrer que ce qui était de l’ordre de la Science-Fiction est devenu notre réalité.

Crédit photographique : ©UrbanComics

Partager