Les Siffleurs, le nouveau film du réalisateur roumain Corneliu Porumboiu, nous arrive enfin après avoir été présenté en compétition cannoise 2019. On se souvient du réalisateur notamment par ses films précédents tels que 12h08 à l’est de Bucarest (Caméra d’or 2006) et Policier, adjectif (Prix FIPRESCI 2009).
Le film commence in medias res par une vue sur l’île de la Gomera (dans les Canaries) sur laquelle Cristi, un policier roumain arrive. Il est accueilli par Paco, un gangster à l’air patibulaire qui lui demande dès son arrivée de couper son téléphone portable avant de l’emmener dans les hauteurs de l’île. Cette scène d’ouverture est accompagnée par The Passenger d’Iggy Pop, dont le titre évoque le déplacement constant d’un individu dans différents lieux à l’instar de Cristi qui vogue entre le milieu criminel et le milieu de la police.
Quand Cristi arrive dans la propriété, un premier intertitre apparait : Gilda. Le carton est suivi d’un plan sur le personnage éponyme, une femme ravissante, qui semble connaître le policier. Les deux personnages commencent alors à discuter d’un plan d’évasion pour un dénommé Zsolt, incarcéré à Bucarest, et seul connaisseur d’une planque où se trouve un butin considérable. Cristi apprend dès lors la raison de son voyage sur cette île et ses retrouvailles avec Gilda. La Gomera est historiquement réputée pour un langage ancestral particulier : El Sibo. Ce langage est une manière de communiquer à longue distance par des articulations de sifflement et permet, en l’occurrence, d’avoir un moyen de transmettre des informations sans se faire repérer par les autorités.
Dès les premières séquences du film sont regroupés les éléments de mise en scène qui seront récurrents, voire essentiels, pour le reste de la trame. Cette dernière, dans son intrigue, reste fidèle au film d’évasion : réunion d’équipe, élaboration du plan puis exécution du plan. On constate tout d’abord un grand nombre de références et d’emprunts au film criminel américain et notamment à son âge d’or : le film noir. Tout d’abord le personnage de Cristi incarne parfaitement l’archétype de l’anti-héro : dur à cuire, loin des canons de la beauté, quarantaine bien avancée, qui le plus souvent, subit plus une situation qu’il ne s'y confronte (on pourra prendre pour exemple Philip Marlowe, l’anti-héro des romans de Raymond Chandler). L’autre référence au genre est évidemment le personnage de Gilda (Catrinel Marlon) qui répond à de nombreuses caractéristiques de la femme fatale et à l’impact qu’elle peut avoir sur le reste de l’histoire. Sa plastique qui dégage un érotisme périlleux fait très vite comprendre que le la passion risque de se mélanger aux affaires et avoir de graves conséquences. Il est d’ailleurs difficile de ne pas faire le lien entre ce personnage qui porte le même nom que celui incarné par Rita Hayworth dans le film de Charles Vidor (1946).
Un autre aspect important du film est sa construction narrative. Au lieu de suivre le schéma linéaire de la progression de l’enquête/opération, Porumboiu privilégie la fragmentation du récit par des intertitres reliés à un thème (un personnage ou une activité) ainsi que différents flashbacks qui répondent à quelque événement évoqué par les personnages. Par exemple, lorsque Gilda parle à Cristi de ce qu’ils ont vécu ensemble à Bucarest, ce passé évoqué se matérialise à l’écran. Cette fragmentation préserve plus longtemps l’opacité de l’intrigue et en même temps offre des indices qui deviendront essentiels à son dénouement. Il y a aussi de manière récurrente des séquences de policiers qui espionnent et se font espionner. Elles soulignent non seulement cette atmosphère oppressante d’être constamment observé (ce qui motive l’usage du Sibo), mais sous-entendent également un certain penchant pour une forme de voyeurisme duquel le spectateur n’est pas épargné. D’autant plus que l’histoire roumaine fut très marquée par cette perversion du regard par la diffusion télévisuelle de l’exécution des époux Ceausescu en 1989.
Comme dit plus haut, dans ces éléments essentiels il y a également la musique qui porte la narration et plus particulièrement la Barcarolla extraite des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach, dont les paroles d’amour passionné font un contrepoint aux différentes scènes de violences à venir et présagent du destin funeste de certains personnages.
En plus de ces nombreux codes du film criminel, Les Siffleurs est également le produit d’un cinéphile qui n’hésite pas à citer de grands maîtres du cinéma, de manière explicite comme John Ford, mais aussi de manière implicite comme Hitchcock. En plus d’être amusantes dans le contexte du film, elles révèlent partiellement les principales inspirations du cinéaste : le parcours rédempteur de l’anti-héros et le voyeurisme du spectateur.
Crédit photographique : © Vlad Cioplea