Adoration, le nouveau film de Fabrice Du Welz, nous conte, le verbe n'est pas anodin, l'histoire d'un jeune garçon solitaire, Paul (Thomas Gioria déjà remarqué dans Jusqu'à la garde), qui croise le chemin de Gloria (Fantine Harduin vue dans Happy End), une jeune fille qui est internée contre son gré dans l’hôpital psychiatrique où travaille la maman de Paul. Malgré les attitudes déroutantes de Gloria, Paul tombe éperdument amoureux d'elle et va fuir avec la jeune fille.
La fuite est une proposition de trajectoire qui convient aux deux pré-adolescents qui semblent subir un quotidien des plus perturbants. Les raisons diffèrent. Paul, lui, rêve d'échapper à une mère ultra possessive, jalouse et en permanence intrusive qui affiche des comportements troublants. En tout cas, ils sont perçus comme cela par Paul puisque le film, comme dans La nuit du chasseur, film auquel on ne peut pas ne pas songer, la caméra s'indexe sur le point de vue de Paul en toutes circonstances. Le monde qu'Adoration décrit nous parvient par le jeune garçon et se calque sur son ressenti. Il faut donc accepter que les situations observées, parfois, se mâtinent d'éléments oniriques qui coïncident avec les projection fantasmatiques d'un enfant de 12 ans. Ce que ces deux adolescents pré-pubères fuient, c'est un quotidien régi par des impératifs fixés par les adultes. La fuite est une promesse qui n'est pas que factuelle puisque, dans la logique visuelle qu'elle instaure sitôt entreprise, le monde s'accorde alors avec l'imaginaire de Paul. Gloria, elle, fuit l’hôpital, bien sûr, mais également la présence d'adultes dont elle qualifie les comportements de pervers.
Fuir le monde tel que pensé et contrôlé par les adultes est la proposition de film à laquelle nous convie Du Welz. La fugue n'est pas que physique. Elle s'enrichit d'un champ des possibles nourri par la potentialité de retarder l'irrémédiable entrée dans l'âge adulte qu'inaugure l'adolescence. Le film retranscrit à travers des images troublantes de beauté (tournées sur pellicule) les efforts consentis par deux enfants qui décident de refuser ce que la vie leur impose. Il y a quelque chose qui relève d'un paradis perdu qui s'apparente à une forme d'innocence. L'aventure filmique est folle : elle consiste à nous faire éprouver pleinement les péripéties que propose ce voyage utérin que constitue le trajet sur le fleuve. Ne pas quitter le lit du fleuve et attendre d'arriver vers un ailleurs qui, inéluctablement, sera associé à une sorte de renaissance ou, en tout cas, à un autre état identitaire.
L'amour va leur permettre de tout surmonter. Surmonter les incontrôlables folies positives ou négatives de Gloria qui, tamisées par le regard enfantin de Paul, s'inscrivent dans une extravagance finalement supportable. Ce qui élimine de facto toute interprétation associée à un jugement de quelque nature que ce soit. Le regard porté par le cinéaste sur le comportement schizophrénique de l'un ou la marginalité de l'autre est toujours bienveillant donc émouvant. Du Welz ne tombe jamais dans la facilité et flirte avec un développement pathétique sans jamais s'y abîmer.
Adoration, balisé par nos souvenirs du film de Laughton, séduit. Le film arrête le cours du temps pour verser dans un schéma contemplatif et poétique qui, finalement, devient insolite à force de surprises et d'étonnements. Un état de stupéfaction qui nous rappelle qu'il fut un temps où, tous autant que nous sommes, aspirions à la création d'un monde différent de celui laissé par nos prédécesseurs et qu'il serait parfois opportun de se rappeler de ce qui pouvait motiver ces rêves.
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