Après une longue période hollywoodienne, Guy Ritchie semble faire avec The Gentlemen une sorte de retour aux sources dans son Angleterre natale. On s’écarte de tout Excalibur et lampe magique et on revient aux dialogues au fort accent cockney et au trafic de cannabis. L’histoire est celle de Mickey Pearson (Matthew McConaughey), un grand baron de la drogue à Londres. Ce dernier envisage l’idée d’une retraite anticipée dont le parachute doré serait la revente de son commerce. Avec cette nouvelle, la pègre de Londres s’embrase, les trahisons se multiplient et le sang coule.
The Gentlemen reste, dans son schéma narratif, très similaire aux premiers films de Ritchie. Nous avons tout d’abord une présentation des personnages principaux dont l’activité est mise à l’image par un montage très concis où chaque nouvelle information dialoguée entraîne un nouveau plan ; un aspect désormais caractéristique du cinéaste et de son style. Néanmoins, c’est la focalisation du récit qui change.
Des films comme Arnaques, Crimes et Botanique ou Snatch se présentaient sous la forme d'un récit choral et convergent autour de personnages que l’on pourrait qualifier de « petites frappes ». Par leurs actes, ces derniers s’immiscent dans les rouages d’un système bien plus complexe et dangereux qu’ils n’avaient imaginés et se retrouvent rapidement nez à nez avec les grands pontes de la pègre londonienne. À cela s’ajoute la période hollywoodienne de Ritchie, au cours de laquelle le cinéaste s’est familiarisé avec de plus nobles figures telles que Holmes, Watson et Arthur Pendragon ; des « gentlemen » au sens littéral. Il n’est ainsi pas si surprenant que dans The Gentlemen, nous n’assistions plus à une batterie de petits joueurs dans la cour des grands, mais à une véritable guerre des deux roses modernes entre tous les rois de la City.
Par ailleurs, c’est aussi ce clivage entre le haut et le bas de la société qui donne sa saveur au film. En haut, il y a ces adversaires qui discutent d’affaires représentant des millions de Livres Sterling en costumes haut de gamme lors de parties de campagne entre têtes couronnées, millionnaires et directeurs des grands médias. Parmi eux, le refus d’une poignée de main peut signifier une guerre. En bas, il y a les jeunes paumés, les petites racailles, ceux qui louent leurs services aux grands ou alors reprennent leur vie en main et suivent le Coach (Colin Farrell), un instructeur de sport de combat. Le million qu’ils visent n’est pas celui des Livres, mais celui des vues sur YouTube. Ce clivage permet notamment d’apprécier l’art du dialogue cher au cinéaste, lorsque les « gentlemen » confrontent leur anglais châtié et leurs bonnes manières à l’accent parfois cryptique des rustres « plébéiens ».
L’autre nouveauté dans The Gentlemen est sa construction narrative. Après le, désormais trop rare, générique de début, nous assistons à une conversation entre le bras droit de Mickey, Raymond (Charlie Hunnam) et le détective privé Fletcher (Hugh Grant). Ce dernier fait chanter le jeune loup en lui demandant une somme astronomique en échange d’informations sur des événements qui impliquent Mickey, rassemblés en un scénario. Ainsi, Fletcher récapitule tous les tenants et aboutissants de l’intrigue avec la passion d’un réalisateur en herbe : il donne le format de la pellicule, souligne l’esthétique du montage, décrit avec précisions les personnages, etc. Cette mise en abyme sur la genèse d’une production filmique devient d’autant plus pertinente pour un cinéaste qui renoue avec ses premiers travaux. En même temps que l’histoire se déroule, on observe une forme d’introspection d’un metteur en scène sur les procédés esthétiques et narratifs qui ont participé à sa renommée. Loin d’un regard nostalgique, The Gentlemen semble davantage être un « Ritchie par Ritchie » avec une forte dose d’autodérision sur ses bons et mauvais aspects.
©Christopher Raphael