Splitscreen-review Image de Viendra le feu d'Oliver Laxe

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Viendra le feu - Pyramide Vidéo

Publié par - 17 février 2020

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Viendra le feu fut présenté en mai 2019 à Cannes au Certain Regard, en sélection officielle donc, et a obtenu un succès d'estime mérité. Le film surprend et reconnaissons qu'il était parfaitement adapté au Certain Regard. Viendra le feu s'ouvre et se referme sur des images d'une beauté à couper le souffle. Dans ces deux séquences, Oliver Laxe, le cinéaste, regarde la nature et constate les effets produits par l'action de l'humain sur son environnement. Et réciproquement.

L'ouverture du film tance nos impressions, nos projections et les hypothèses formulées par un spectateur attentif aux moindres renseignements sur la nature des images qui lui parviennent. Des arbres sont brutalement secoués par des forces encore invisibles. Ils s'effondrent un à un sans que l'on devine pourquoi. Puis, quelques plans plus tard nous comprenons. Des machines abattent en masse, tels des monstres surgis d'un autre monde, les arbres d'une forêt pour effectuer un débroussaillement. De nuit, les bulldozers agissent comme des robots habités d'une conscience salvatrice ou destructrice. Difficile à dire. Au regard des effets des projecteurs sur la cime des arbres, l'ouverture du film se transforme en spectacle nocturne qui fascine autant qu'il surprend. Dans une logique narrative singulière, la fin du film répondra trait pour trait à ces sensations : surprise, étonnement, fascination même si les images seront d'une autre teneur.

Splitscreen-review Image de Viendra le feu d'Oliver Laxe

La particularité de Viendra le feu se matérialise dans ce qui se déroule entre l'ouverture et la clôture du film. Oliver Laxe ne concède que ces deux séquences à l'artifice fictionnel. Le reste échappe à toute interprétation psychologisante ou à tout effet de séduction développé par les images ou la narration. Le film se structure autour de l'adjonction d'une somme de matériaux techniques et humains pour composer une œuvre qui trouve son sens dans la création d'une harmonique entre le vivant et ce qui l'entoure. L'interaction entre l'homme et son milieu, la Galice, est donc au cœur du propos. Paradoxalement, alors que le film fuit toute approche intime du sujet, Viendra le feu se développe selon des principes qui n'auraient pas déplu aux romantiques anglais : l'œuvre peint la recherche d'une harmonie éventuelle entre l'homme et la nature. Le film repose sur les connaissances du cinéaste, sur ses capacités à lire et décrypter le milieu dans lequel il fait évoluer son œuvre fictionnelle ou encore dans son aptitude à capter des instants où s'accordent à des actes humains des phénomènes naturels (lumière, espace).

Il va de soi que ce principe intentionnel tend à révéler et partager l'instant où l'homme éprouve le sentiment intime d’intégration au monde qui l’entoure. Il fallait cependant éviter quelques pièges pour que le film fonctionne. Il fallait, par exemple, ne jamais se laisser gagner par la beauté artificielle des images. Cette tentation, si Oliver Laxe lui avait succombé, aurait pu convertir la nature galicienne en un miroir végétal des tourments de l’être. Ce qui n'est pas l'objet du film. Dans Viendra le feu, l'homme est un "matériau" qui contribue à révéler les singularités du milieu naturel. Mais, on le constate très vite, le phénomène est bilatéral. La nature forge les caractères, les corps, les visages. Il faut comprendre la nature pour vivre avec, il faut décoder ses humeurs et il faut redouter ses excès. Comprendre c'est voir, c'est écouter, c'est sentir, c'est ressentir et c'est éprouver les forces naturelles qui nous entourent. Mais il faut aussi prendre en compte les éléments qui façonnent l'espace. Le vent, l'eau, l'air et, bien sûr, le feu du titre rythment le quotidien des hommes et des femmes qui vivent en Galice.

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Ce rapport entre l’humain et son environnement peut se lire et se comprendre selon une série de réactions humaines qui découlent de la considération des éléments qui, en substance, composent les matériaux qui édifient notre univers. De ce postulat, pour peu que l'esprit se laisse gagner par des visions poétiques, sont convoqués quelques principes énoncés par Gaston Bachelard. Déjà, lorsque nous soulignons en début d'article la réciprocité des échanges entre les hommes et leur monde, pointe l'idée d'une interaction qui rejoint l'un des propos du philosophe : la terre aussi a besoin d'un élément étranger pour se définir.

Bachelard nous dit que les éléments dynamiques que sont l'eau, l'air et le feu autorisent l'imaginaire à envisager une explication physique de ce qui fait vivre la terre. Autrement dit, ces visions permettent la création de représentations où l'eau, le feu et l'air animent la terre et, par extension, les hommes qui peuplent cette terre. Il convient donc de considérer ici le feu, puisque c'est l'élément qui est mis en avant par le titre, comme un tiers qui façonne la terre, comme une péripétie narrative mais aussi comme un facteur essentiel de la vie des hommes qui habitent cette région. Le feu est l'ingrédient principal qui agit sur la matérialité du film et qui invite l'esprit du spectateur à imaginer quels sont les liens tangibles ou non qui raccordent l'humain à la Galice. Le feu est donc autant source de vie (activité de l'esprit, régénérescence des terres) que de mort (destruction de la forêt, conflits collectifs et singuliers). Oliver Laxe filme avec humilité l'essence des choses qui composent l'univers qu'il expose. Viendra le feu, le film donc, devient également un matériau qu'il convient d'appréhender à partir de la simplicité d'un monde que l'on ne voit pas ou peu, la Galice. Il n’est pas hasardeux de voir dans cette humble démarche un parti pris documentariste qui oserait prétendre que le pouvoir évocateur de la fiction émerge de collisions poétiques simples, essentialistes et minimalistes.

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L'image du DVD est irréprochable et restitue le grain apparent perçu lors des projections en salles. le matériau est, là aussi, privilégié.

En complément nous trouvons un entretien avec Oliver Laxe qui s'attarde sur ses intentions et sa volonté d'acclimater un contexte social et tellurique aux possibilités esthétiques du film.

©Miramemira/4A4Productions/Tarantula/Kowalski Films

Suppléments :
Entretien avec Oliver Laxe (26’)

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