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Lettre à Franco

Publié par - 3 mars 2020

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Même si Amenábar a grandi dans l’Espagne postfranquiste, il a été inévitablement imprégné par les traces laissées par le régime dictatorial du général Franco. Ce sont les prémices du régime, avec Lettre à Franco, c'est-à-dire le début de la guerre civile Espagnole, qui intéressent le cinéaste. Il décrit cet univers par l’intermédiaire de points de vue divergents. Ceux de deux hommes radicalement différents. D’un côté, nous suivons Miguel De Unamuno (Karra Elejalde), écrivain espagnol célèbre mais vieillissant, qui se retrouve à douter de lui-même et de ses propres idéaux devant un pays balloté par les changements intimés par le gouvernement fasciste (qu’il a d’abord soutenu) au pouvoir. De l’autre côté, nous suivons l’ascension au pouvoir de Franco (Santi Prego), un homme d’apparence sympathique, qui prétend sauver l’Espagne du chaos qui y règne en devenant une figure héroïque à n'importe quel prix, même celui d’une guerre civile.

Lettre à Franco nous fait revivre une époque trouble, tragique, celle d’une Espagne déchirée en deux. Cette scission est d’ailleurs au cœur du film ; on la retrouve à différents niveaux, surtout narratifs (les relations d’Unamuno avec sa famille ainsi que celles qu’il entretient avec ses deux amis Salvador et Atilano, les idéaux de l’écrivain, etc.). Articuler la dramaturgie de Lettre à Franco autour de ces failles internes (reflet des dissensions collectives) et les ajuster à l'échelle d'un individu souligne l’impuissance des hommes et des intellectuels espagnols à contrer une politique qu’ils savent néfaste et, pire, dont ils ne comprennent pas la dynamique. Miguel De Unamuno, qui n’a pourtant jamais hésité à crier haut et fort son opinion, se retrouve ici dépassé, effrayé, meurtri. C’est justement sa réticence affichée vis-à-vis du fascisme qui créera des tensions autour de lui. L’écrivain se rendra compte de son inutilité en tant qu’intellectuel face à la puissance des masses. Par exemple, grâce à un jeu de contre-plongées, on le découvre écrasé par le décor lorsqu’il se rend au QG de Franco pour évoquer l’enlèvement de ses compagnons. C’est le début d’une réflexion sur la nature du fascisme.

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Le cheminement de l'écrivain se teinte alors de dolorisme. Le parcours moral est jalonné de souffrances qui font écho à celles endurées par le peuple espagnol. L'itinéraire intérieur d'Unamuno, fait de tourments, s'extériorise à travers quelques événements traumatiques tels que l'officialisation de la mort de ses deux amis considérés comme des traîtres au peuple espagnol. Le film est donc un éveil, celui de Miguel De Unamuno contraint par la réalité de prendre conscience de ce qui est en train d’advenir de l’Espagne : une nation fasciste au même titre que l’Italie de Mussolini dont il se moquait auparavant. Ce réveil est symbolisé plusieurs fois dans le film par l’utilisation de fondus au noir nous menant vers un rêve dans lequel Miguel, jeune, s'endort dans les bras de son épouse. Et cet éveil est précisément ce qu’Amenábar cherche à montrer. Sans doute faut-il considérer alors le film comme un avertissement lancé aux spectateurs sur l'existence et l'installation sournoise d’un fascisme prêt à s’emparer des démocraties contemporaines.

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Le péril est grand et on peut en mesurer la prégnance dans le traitement de Franco. Contrairement à Miguel De Unamuno qui semble certain de ses idéaux, avant d’en douter, le personnage de Franco apparaît loin de l’image que les novices en la matière se font sans doute de lui. Franco se révèle dans un premier temps timide et il est difficile de l'imaginer en dictateur prêt à soulever les foules et les armées. Il semble même douter de lui-même au point d’être effrayé à l’idée de commettre la moindre erreur qui pourrait contrarier le schéma qu'il a élaboré. Mais, petit à petit, en compagnie du général Millan Astray (Eduard Fernandez), le vernis craquera et il se révélera être prêt à tout pour assujettir le pays à sa vision du monde. Le personnage apparaît alors comme un monstre justifiant ses intentions au nom la religion chrétienne et qui n’hésite pas à entreprendre des « purges » qui visent à éradiquer les éléments qu’il considère néfastes à son pays. Donc à lui.

Avec Lettre à Franco, Amenábar ne se contente pas de narrer un pan de l’histoire de son pays. Le cinéaste tente d’en dégager une idée qui prend les allures d'un message alarmiste qui, même s’il est parfois un peu maladroit, souligne combien l’époque qui est la nôtre ressemble en de nombreux points à celle qui a vu l'éclosion et l'instauration de cette funeste idéologie. Lettre à Franco, dans ce qu'il a de plus pertinent, est à considérer comme un appel à la vigilance.

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Crédit photographique : ©2019 Film Factory Entertainment

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