Quand se profile un film de Marjane Satrapi, on a toujours la possibilité d'être surpris. Du film d’animation avec Persepolis (adapté de sa bande dessinée du même nom) à la fantasque comédie noire The Voices, Satrapi ne s’arrête pas dans son exploration des genres et s’attaque désormais au biopic avec Radioactive. Le film s’intéresse à l’un des personnages les plus marquants de l’histoire du XXe siècle : Marie Curie. Le film retrace quelques événements majeurs de la vie de la scientifique, notamment sa rencontre avec Pierre Curie et la découverte de la radioactivité ainsi que de deux nouveaux éléments : le radium et le polonium.
Le film commence sur un soleil éclatant qui se reflète sur les lunettes de Marie Curie, âgée, qui se rend dans son laboratoire. Au milieu d’une expérimentation, la scientifique s’effondre et est transportée d’urgence à l’hôpital. Nous sommes en 1934. L’exposition aux radiations a développé chez la scientifique une leucémie. Transportée sur un brancard en regardant désormais la lumière des lampes, Curie commence à se remémorer sa vie, à commencer par sa rencontre avec Pierre.
Bien que très diversifiée dans ses sujets, une thématique reste très présente dans la mise en scène de Satrapi : la subjectivité. Non pas dans la question de savoir si les événements sont vrais ou faux, mais plutôt dans cette ouverture à l’onirisme que cela peut offrir. Au lieu d’un événement qui se succède à un autre, la réalisatrice favorise parfois la transformation des éléments à l’écran. Cet usage offre alors une sorte de poésie métaphorique dans laquelle la forme fait émerger le fond. On peut notamment noter la scène d’un rapport sexuel entre les époux Curie pendant lequel la caméra s’élève et transite vers une nuit étoilée. Les astres alors se mettent à converger autour de la lune, comme les électrons autour du noyau ou les spermatozoïdes autour de l’ovule. Bien que différents en leur matière, les phénomènes peuvent être considérés comme analogues.
Cette scène illustre très bien le rapport fusionnel presque unique qui a existé entre Pierre et Marie Curie. Leur différence de personnalité crée une complémentarité qui est non-seulement féconde dans leur recherches (deux Prix Nobel), mais aussi dans leur vie privée (Irène Joliot-Curie, également Prix Nobel). Marie est la chercheuse acharnée qui lutte pour ses financements dans le monde très masculin et arrogant des institutions de la IIIe République, tandis que Pierre est un autre marginal du monde scientifique qui perçoit très vite le génie de celle qui répond encore au patronyme Skłodowska. Plus qu’une passion amoureuse, leur relation est une admiration réciproque, soulignée par la phrase récurrente du film : « c’est exaltant » (« it’s exciting » dans la version originale) que l’un exprime à chaque nouvelle idée de l’autre.
Comme dit plus haut, le film suggère que les visions sont celles d’une mourante. Ainsi beaucoup d’éléments presque mystiques sont mis en évidence et soulignent un autre aspect du couple : leur intérêt scientifique quant aux phénomènes de spiritisme. On note tout d’abord dans la trame l’usage de la fragmentation narrative. Il y a le flashback sur Marie enfant, au chevet de sa mère mourante. Ce moment récurrent explique non-seulement certains traits de caractère de la physicienne, mais aussi l’appréhension de cette dernière sur le phénomène qu’est la mort. Chose qui s’intensifiera à la mort prématurée de Pierre, représenté comme celui qui apportait une touche de « belles paroles » et d’évasion à son épouse, comme une scène presque édénique nous le propose.
Cependant, la particularité de Radioactive est probablement l’usage de différent flashforwards postérieurs à la mort de Marie Curie. Ces passages décrivent des événements historiques conséquents à ses découvertes, pour le bien (curiethérapie) comme pour le mal (l’arme nucléaire). Ce questionnement du danger que l’innovation scientifique peut représenter est omniprésent dans le film. La fiole qui contient le morceau de radium est un exemple de cela. Souvent dans les mains de Curie, contemplé comme une forme de fétiche au point de teinter les rêves de cette dernière d’un vert phosphorescent, le radium est à la fois ce qui aura lancé la renommée de Curie, mais c’est aussi ce qui l’emportera.
Contrairement à une tendance actuelle, Satrapi ne semble pas s’inventer historienne ou moraliste. À l’instar de Persépolis, le film est une visite poétique de la psyché d’un personnage unique que notre histoire a pu connaître ; à la fois dans son génie que dans ses combats d’ordre scientifique et d’ordre intérieur. Un personnage particulièrement complexe dont on peut saluer l’interprétation de la (trop) rare Rosamund Pike qui s’était notamment illustrée dans les films Gone Girl et Hostiles.
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