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C’est sur un territoire bien singulier que s'aventure Nicolas Winding Refn avec Too old to die young. Celui de la série TV qui ressemble plus à un film de 13h et qui, de par sa forme, relève d'une intention bien particulière. Une série, oui, par son découpage en épisodes, mais cela s'arrête donc là. NWR interrompt ses épisodes comme bon lui semble. Les segments de son histoire varient entre 1h et 1h30 et deviennent finalement des chapitres qui constituent au final un grand film en 10 épisodes. C’est sur Amazon Prime que la série se visionne. Point important parce que, d’un point de vue financier, NWR a eu carte blanche pour réaliser son œuvre. Par ailleurs, le financement du projet par Amazon eut une incidence sur la forme puisqu'il s'agit de permettre la diffusion à grande échelle d'un travail que l'on qualifiera aisément de complexe et ambitieux. Too old to die young est donc devenue une série-film accessible sur l’une des grandes plateformes de streaming qui ont, généralement, comme vitrine quantité de ces même sortes de programmes. Mais toutes ne sont pas investies par le même talent. NWR n’adapte pas son format au support pour mieux épouser les courbes de ce qui est aujourd’hui en vogue sur ce type de plateformes de VOD. Avant d'être une série, Too old to die young est avant un film, nous l'avons dit, un peu comme le Twin Peaks : the return de Lynch, un film nourri d'intentions artistiques qui traditionnellement appartiennent au domaine du cinéma.
Too Old to Die Young raconte l’histoire de Martin (Miles Teller), policier de Los Angeles, qui, suite à l’assassinat de son collègue de travail, va doucement se laisser entraîner dans une spirale de violence où la force de l'engrenage rime avec martyrologie et parcours christique. La série, œuvrant sur les rapports entre le Bien et le Mal (ce n'est pas nouveau chez NWR puisque cela traverse toute sa filmographie), adopte également le point de vue du tueur, Jésus (Augusto Aguilera), fils unique de la matrone du cartel de Los Angeles, dont le parcours entre en parfaite synergie avec celui de Martin.
La réciprocité des actes et des attitudes entre les deux personnages, tous teintés de manichéisme, reflète une vision du monde désespérée qui ne se limite pas aux deux figures masculines puisque cela concerne aussi deux femmes. D’un côté il y a Diana (Jena Malone), sorte de prêtresse et figure du Bien (discutable en bien des points), qui cherche par le biais d’un ancien agent du FBI, Viggo (John Hawkes), à éliminer des pédophiles. De l’autre Yaritza, forme de déité vengeresse qui sème les graines de la destruction sur son passage. Le dernier épisode est d’ailleurs représentatif de cette dualité jusque dans sa forme. Le chapitre se scinde en deux parties consacrées aux deux figures féminines. On note l'aura maternelle qui émane des deux femmes, surtout de Yaritza. La symbolique qui l'accompagne est particulièrement riche puisque Yaritza est à la fois celle qui donne la vie mais aussi celle qui la reprend, celle vers laquelle les Hommes reviennent après leur mort. Cette représentation de la maternité est, avec Yaritza, mise en avant selon un axe scénaristique qui se transmet essentiellement par un travail visuel. C’est là que se vérifie la maîtrise de NWR. Les images se démultiplient de l'intérieur comme en témoignent d'incessants jeux de miroirs qui traduisent les différents traits de caractères des personnages. Les parallèles se font aussi par des travelings ou par un subtil jeu de lentilles qui permettent le dédoublement de la figure de Yaritza. Tout de suite la fragmentation de l'âme de la mère est flagrante et ce sont ces fragments qui entrent en résonance avec l'âme de Yaritza. On pourrait même parler de transmigration de l'âme. Le but est simple, introduire une confusion quant à la nature de ces reflets ; ce sont deux corps mais qui sont finalement habités par la même âme. Autre attrait qui ajoute au charme global de la série, chaque épisode a pour nom celui d’une carte du tarot de Marseille. Ainsi chaque chapitre se voit attribuer une signification mystique par une carte que seule Yaritza semble être en capacité de décrypter, ce qui lui donne une certaine forme de puissance qui dépasse le simple cadre physique de l’œuvre pour en faire une figuration du metteur en scène et, donc, la véritable maîtresse de l’œuvre.
Too Old to Die Young s'installe dans une temporalité qui n'a que faire des impératifs contemporains. Refn prend son temps, il semble se plaire à l'étirer. Le spectateur ne peut s'empêcher de glisser lentement dans un espace tentaculaire et hypnotisant. Chaque plan est pensé comme un tableau qui invite des univers picturaux plus ou moins reconnaissables (nous ne sommes pas loin du fonctionnement esthétique de Wenders dans Paris, Texas) qui s’impriment lentement dans l’esprit du public. L'admiration hypnotique qui en découle nous laisse langoureusement nous noyer dans un flux d'images abstrait, crépusculaire et macabre. Au fur et à mesure que le spectateur se laisse entraîner par ce lent courant, les frontières du réel s’estompent. L'apogée du phénomène se matérialisera dans les deux derniers épisodes. La caméra balaye les espaces avec une lenteur qui, alliée au jeu de lumières, semble leur enlever leur dimension physique pour finalement leur prêter une portée mentale.
La touche de NWR est bien présente. Le cinéaste, épaulé notamment par Darius Khondji, retrouve cette esthétique acidifiée où les néons tiennent une place si importante. Les néons permettent la mise en place de tableaux colorimétriques très marqués où les lumières deviennent des courbes presque vivantes s’animant sur les différentes surfaces du décor. Cependant il ne faut pas oublier la nature artificielle de ces lumières qui semble entrer en résonances avec des problématiques bien actuelles. La présence des néons converge avec le décor que constitue Los Angeles, une ville fabriquée de toutes pièces qui est passée du stade désertique, un espace mort, à un lieu de culte traversé par des flots de visiteurs.
Autre problématique chère à NWR présente ici, la violence. Celle-ci est au cœur, depuis toujours, de son travail représentatif. Dans Too Old to Die Young, la violence est crue, sans détour, omniprésente. Cette violence fait partie intégrante des individus, elle les définit ou détermine ce qu'ils sont ou seront. La violence n'est jamais loin, elle est là quelque part, elle n’attend qu'une opportunité pour surgir et s'emparer de chacun. Elle est partout et constante jusqu'à finalement devenir banale et logique. Mais elle est avant tout au service d’un propos plus vaste. La violence est un discours qui peint une société décadente. Les plans, calculés, méthodiques évoquent une certaine forme de sérénité qui participe à ce processus de normalisation de la violence. La violence est ambiguë, elle est à la fois la cause mais aussi le remède. Le constat sur la société est presque sans espoir, elle est finalement devenue une forme de gigantesque représentation de l’ouroboros. Elle englobe un panel d'individus représentatifs de notre monde : policiers corrompus, cadres supérieurs qui n’ont apparemment pas une once d’intellect, criminels, néo-nazis, pédophiles, personnages incestueux etc. L’œuvre entre complètement en interaction avec la situation actuelle aux États-Unis. Le message de NWR est très clair, il suffit de voir la scène de la fusillade dans le camp de pédophiles. Les deux protagonistes masculins détruisent finalement la thèse de Trump ; l’un est issu de l’immigration mexicaine, bisexuel et fait partie d'un cartel et l’autre, le citoyen lambda, colporte des caractéristiques qui manquent au premier. Finalement, tous deux participent dans les mêmes proportions à la désintégration globale du système. La violence est réveillée non pas par l’individu mais par des conditions politiques qui agissent sur l'individu. La critique est cinglante. Tout comme ses personnages, Too Old to Die Young s'ingénie à représenter un monde ayant perdu toute forme d'humanité, un monde dans une phase de décomposition morale qui semble témoigner d’une fin presque imminente. La fin est proche selon Nicolas Winding Refn et nous en sommes les acteurs principaux.
Crédit photographique : Amazon Studios