Splitscreen-review Image de The Laundromat de Stevent Soderbergh

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The Laundromat : L'Affaire des Panama Papers

Publié par - 6 mai 2020

Catégorie(s): Séries TV / V.O.D.

Pour sa deuxième collaboration avec Netflix, Steven Soderbergh se penche sur l’affaire des Panama Papers, terme qui prolonge le tire, The Laundromat, dans l'exploitation française du film. The Laundromat prend donc sa source dans le fameux événement de 2016 où plus de 11,5 millions de documents confidentiels issus du cabinet d'avocats panaméen Mossack / Fonseca ont été révélés à la presse et au grand public. L’affaire a permis au monde entier de découvrir le fonctionnement tentaculaire et opaque des sociétés offshores. Steven Soderbergh nous propose, comme cela nous est exposé par les deux personnages qui ouvrent le film, une fable. La parabole est ironique et mélange des faits documentés revisités par une extrapolation fictionnelle centrée sur les sociétés offshores mais se concentre avant tout sur les déplacements de l’argent.

 

Le film s’ouvre sur un billet de 100 dollars, difficile de faire plus évident. Le visage de Benjamin Franklin, rédacteur de la déclaration d'indépendance, symbole de la démocratie américaine, figure au centre du billet au montant le plus élevé de la monnaie américaine. Le visage s’estompe et se transforme lentement en poussières pour finalement dévoiler un désert. Ces éléments représentatifs de l'identité américaine fusionnent. Ils sont indissociables de la réalité nord-américaine et insistent sur le rapport entre le paysage et la quête de profit qui est liée à la domestication de l’espace américain et à l’enrichissement individuel qui promettait d’en résulter. De ce désert, nous l'avons évoqué, deux hommes surgissent et s’adressent directement à la caméra, Jürgen Mossack (Gary Oldman) et Ramon Fonseca (Antonio Banderas). C’est à ce moment-là que The Laundromat prend toute sa saveur. Les deux hommes deviennent les narrateurs de l’histoire et les maîtres de cérémonie du film comparables au chœur antique. En remontant à la préhistoire, aux origines de l'humanité, ils mettent en avant le lien intrinsèque que l’argent entretient avec l’Histoire. Les deux avocats traversent le temps et l’espace avec une liberté infinie allant parfois même dans les coulisses du film. Cette fluidité est significative. Les deux hommes, incarnations de l’argent, déambulent où bon leur semble et exercent un contrôle infini, sur le spectateur d’abord et, ensuite, sur la caméra. La notion de gain, liée à l’idée de domination, est omniprésente depuis toujours, n'épargnant bien évidemment pas le cinéma.

 

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Mais le film ne se limite pas seulement à un éclairage sur le point de vue des deux hommes d’affaires, The laundromat s'intéresse à un large panel d’individus pour constituer une pluralité des points de vue qui, finalement, converge vers un même thème, l’argent. Sans frontière, comme son sujet, le film nous transporte dans une multitude de lieux tel que la Chine ou encore les Bahamas. L’argent est un poison qui peu à peu investi les corps et les esprits de chacun sans aucune limite géographique. Pour nous permettre d’accéder à un autre rapport à l’argent que celui des deux avocats, nous suivons Ellen Martin (Meryl Streep), une retraitée américaine de la classe moyenne qui, partie à la recherche d’une société d’assurance, va découvrir le monde opaque des sociétés offshores, des sociétés-écrans et des paradis fiscaux. Ainsi, par le biais de sa protagoniste complètement néophyte, Steven Soderbergh met en place une aventure « pédagogique » (même si bien des éléments resteront opaques au commun des mortels) qui permet au spectateur d’avoir une vision simplifiée et globale de l’affaire et des enjeux qui en découlent. L'épreuve est de taille. Le monde de la finance semble être un dédale gigantesque où chaque ramification conduit vers un nouveau labyrinthe bien plus grand. Les déambulations d’Ellen introduisent l’analyse d’une situation qui permet de mesurer l’impact d’attitudes abstraites perpétrées par le monde de la finance sur toute la société y compris et surtout la population la plus pauvre. L’incompréhension totale de l’individu lambda à l’encontre du fonctionnement du monde de la finance, perçu comme une forme ésotérique, explique en grande partie comment et pourquoi le scandale des Panama Papers n’a pas soulevé une grande vague de protestations.

 

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Le ton du film est à l’humour, les deux avocats de Mossack / Fonseca exposent leur vision de l’affaire, ne se privant pas d'effectuer de nombreuses interventions toujours très subjectives sur les faits. Les deux hommes sont désopilants : leurs petites combines, les costumes, de plus en plus originaux, l’accent allemand et caricatural de Gary Oldman, Antonio Banderas en latin-lover, etc. Le duo est efficace et il est difficile de ne pas rire des situations présentées. Mais le film se garde bien d'être cynique, les motivations de chacun sont présentées en respectant leurs logiques respectives. Le but ici n’est pas de dresser un portrait machiavélique et manipulateur des deux hommes d’affaires mais plutôt de critiquer le système qui autorise ce genre de manœuvres. Jürgen Mossack et Ramon Fonseca sont avant toute considération hâtive, comme tout le monde finalement, des produits du système. Ils ne font qu’alimenter, à leur échelle, celui-ci de manière complètement consentie.

 

Le film peint un portrait extrêmement critique et lucide sur un système capitaliste ultra-libéral qui, lui, est totalement cynique. Steven Soderbergh produit une œuvre à l’image de ce système. The laundromat s’affranchit de toutes les limites. Le film abolit les frontières, y compris celles de la mise en scène en intégrant directement le spectateur dans les rouages narratifs du film. The Laundromat ne se limite par ailleurs pas seulement à l’affaire : la conclusion du film s’attarde sur la corruption omniprésente du système juridique et politique indispensable à la mise en place de ce type de fraudes. Le message est fort, Ellen Martin se transforme en  Statue de la Liberté, image que l’on ne peut s'empêcher de mettre en relation avec le plan d’ouverture du film : deux symboles des États-Unis qui s’opposent. Les États-Unis, supposés terre de liberté, sont finalement aujourd’hui devenus terre d'aliénation où l’argent guette la moindre faille pour pervertir les esprits et poursuivre son règne inaltérable sur le monde et le quotidien de tous les individus qui peuplent la planète. La contamination est toujours active.

 

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Crédit photographique : Copyright Claudette Barius / Netflix

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