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Nous, les chiens

Publié par - 21 juin 2020

Catégorie(s): Cinéma

   

Huit ans après Lili à la découverte du monde sauvage, Oh Sung-yoon et Lee Choon-baek collaborent à nouveau sur un long-métrage d’animation, Nous, les chiens. Fidèles au Festival d'Annecy, ils présentèrent des extraits au public lors de l'édition qui s'est tenue du 10 au 15 juin 2019. Sur un registre proche, les cinéastes traitent cette fois-ci le thème de l’abandon des animaux et plus particulièrement de celui des canidés. Une thématique déjà vue il y a peu avec L’île aux chiens de Wes Anderson. Dans le film du cinéaste américain, les chiens, suite à une maladie canine, sont expulsés et abandonnés sur une île. Si Nous, les chiens et L'île aux chiens utilisent certains éléments communs (donner la parole aux animaux par exemple) pour aborder ce sujet délicat, le ton et la technique diffèrent. L’île aux chiens, animé en stop-motion (image par image), adopte une tonalité plus sombre et développe un récit centré sur l'amitié entre un enfant et son chien tandis que Nous, les chiens, basé sur un mélange de 2D et de 3D, est pensé comme une fable "humaniste" haute en couleur mettant en avant la quête du bonheur chez les animaux.

Dès la première scène, on entre dans le vif du sujet de façon assez brutale : un homme conduit une voiture afin d’abandonner son chien, Moong-Chi, en plein cœur de la forêt. Un mélange contrasté d'émotions inonde la scène. Tristesse et culpabilité, rancœur et compassion émergent et cohabitent en partie à cause de la naïveté du chien qui ne comprend pas ce qui lui arrive et qui pense que son maître va revenir le chercher. Qu'on le veuille ou non, les sentiments traversent les spectateurs car les émotions sont soulignées par quelques notes de piano et, surtout, par la position de la caméra qui contraint le spectateur à juger et estimer dans la scène ce qui nous questionne et nous  responsabilise. L’animal est filmé, seul, dans la nature qui semblait pourtant chaleureuse et qui devient ici, comme dans le conte, un lieu cruel où les abandons sont répétitifs.

En effet, Moong-Chi va faire la connaissance d’autres chiens, également délaissés, qui vont petit à petit lui faire comprendre que son maître ne reviendra pas le chercher. Très vite, un choix de mise en scène frappe : on va suivre leur aventure comme si nous faisions nous aussi partie à part entière de cette meute puisque la caméra se positionne à hauteur de chien. Notre regard adopte en alternance le point de vue de tous les personnages à l’aide de plans rapprochés, permettant ainsi de créer véritablement un lien entre le spectateur et les chiens. Comme pour leur précédent film, on retrouve chez Oh Sung-yoon et Lee Choon-baek cette notion de famille et d’appartenance à un groupe qui se place au cœur du sujet et qui sert de fil conducteur à l'histoire. Le groupe trouve sa cohésion dans sa diversité, les chiens savent qu’ils peuvent s’appuyer les uns sur les autres, que ce soit pour trouver un abri, de la nourriture ou même un peu de réconfort.

Peu à peu chassés et menacés d’être capturés dans leur nouvel habitat, les chiens rêvent d’un endroit meilleur et décident de partir en quête de liberté et d’une nouvelle identité. Au fur et à mesure de l’histoire, la forêt joue son rôle et les personnages vont évoluer. Notamment en fonction des liens sociaux qu’ils établissent et du milieu environnemental dans lequel ils se trouvent. Un concept essentiel autour duquel se base le film. Non seulement il y aura une opposition entre l’humain et l’animal mais également entre chiens des villes et chiens sauvages.

 

Toutefois, même si les humains peuvent adopter certains comportements déplorables au fil de l’histoire, le but n’est pas ici de les dénigrer mais essentiellement de découvrir ce que deviennent ces chiens abandonnés. Les couleurs choisies sont d’ailleurs très chaleureuses et nous donnent encore plus une impression de proximité avec les personnages. Les décors, fortement inspirés de la peinture traditionnelle coréenne, sont représentés en 2D donnant ainsi l’impression d’avoir été peints. L'environnement, simple, parfois épuré, rappelle tout au long du film la cause des situations qui nous sont montrées : l'abandon. Ainsi, les décors laissent à la fois admiratif mais également pensif quant à la situation des personnages. Une scène résume à elle seule ce ressenti. La scène se déroule sous la pluie et les chiens semblent comme seuls, perdus au milieu de nulle part et prisonniers de leur propre sort. Et même si la verdure reste présente, le bâtiment semble abandonné tout comme le sont ces animaux. Le décor est alors une résonance de ce qui se joue dans la profondeur des êtres.

 

Pour les réalisateurs, il était intéressant de mettre en scène des animaux a priori soumis aux humains, mais qui finissent par trouver ce qui fait leur force : l’union, la solidarité. D’où le titre original, Underdog, qui désigne les chiens les plus faibles lors de compétition. Chacun est d’ailleurs d’une race différente et possède un caractère qui lui est propre. Le parallèle effectué entre l'animal et le genre humain facilite l'identification aux personnages. Par exemple, lorsque les animaux sont amenés à mendier, on ne peut que voir ici une manière pour les cinéastes de faire un rapprochement entre les animaux et les humains qui vivent dans la pauvreté pour provoquer un sentiment bien particulier à l’égard des protagonistes du film.

 

Les personnages, quant à eux, ont été réalisés en 3D afin de les mettre en avant sans non plus qu’ils paraissent comme sortis du paysage. Oh Sung-yoon et Lee Choon-baek ont choisi d’enregistrer les pistes sonores à la manière des films d’animation hollywoodiens. Les cinéastes ont d’abord composé avec les voix pour ensuite animer les personnages dans les décors afin de créer une harmonique particulière entre le dessin et le son. Un choix plutôt judicieux puisqu’il permet d'adapter les expressions des animaux en fonction de l'intonation de la voix pour humaniser jusque dans les moindres détails les chiens.

 

Nous les chiens est un film intergénérationnel. L’histoire, centrée sur la notion de famille et de communion des âmes, porte un message sur la liberté et le bonheur. Le réalisateur Lee Choon-baek a déclaré à ce sujet : “J’espère que les spectateurs comprendront l’importance de la découverte du bonheur grâce aux personnages de ce film. Et j’espère transmettre du bonheur directement aux spectateurs, c’est pourquoi j’ai fait ce film !”. Et même si le scénario reste classique, les cinéastes souhaitent nous questionner sur ce que deviennent les êtres (peu importe lesquels) délaissés par ceux qu'ils aiment.

Crédit photographique : © The Jokers Films

 

 

crédit photographique

© The Jokers Films

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