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Walking dead

Publié par - 28 juin 2020

Catégorie(s): Bande dessinée

Le zombie est une figure originaire d'un cinéma de niche qui est devenue, au fil du temps, une icône incontournable de la pop culture. On le retrouve désormais dans tous les médias et nombreux sont les créateurs qui se sont frottés à l'exercice du "récit de zombies". Parmi les œuvres qui ont le plus participé à populariser la figure du zombie durant ces dernières décennies, l'une nous vient à l'esprit immédiatement : Walking Dead.

Évidemment, quand on pense à Walking Dead, on pense en premier lieu à la série télévisée, l’une des plus lucratives de l’histoire ! Mais Walking Dead est aussi un jeu vidéo... et avant tout ça, au départ, c’était un comics ! Les premiers numéros, publiés pour la première fois en 2003, ont été écrits par Robert Kirkman et dessinés par Tony Moore avant d’être repris par Charlie Adlard. Le comics va connaître un succès croissant et, après 16 ans de publications, la série tire sa révérence à la surprise générale avec le chapitre 193.

Revenons sur ces 16 ans d'histoire et tentons de dresser un portrait de ce qui fait la singularité de Walking Dead. "Rick Grimes est policier et sort du coma pour découvrir avec horreur un monde où les morts ne meurent plus mais errent à la recherche des derniers humains pour s’en repaître. Il n’a alors plus qu’une idée en tête : retrouver sa femme et son fils en espérant qu’ils soient rescapés de ce monde devenu fou. "

 

Ce résumé du premier tome de la série met en lumière la filiation de Walking Dead avec les créations du même genre qui l'ont précédées. Robert Kirkman a pensé Walking Dead comme un hommage aux films du genre qui l'ont marqué (ceux de Romero en tête). On retrouve donc dans la BD le schéma classique de ce type d'histoire. Toutefois Walking Dead va disposer d'un élément bien particulier qui lui permet d'explorer ce genre comme peu l'on fait : le temps.

Kirkman voulait, au travers de Walking Dead, faire "un film de zombie qui ne se termine jamais" car pour lui les fins des films de zombies sont généralement anecdotiques et créaient en lui le fantasme de prolonger l'histoire le plus possible. Il en résulte un comics extrêmement long de 33 tomes reliés pour 193 chapitres. En inscrivant sa dramaturgie dans la durée, Kirkman confronte ses personnages à différentes sortes de drames et, forcément, forts de ces nouvelles expériences, les contraint à une évolution psychique. Cela nous permet, à nous lecteurs, de nous investir pleinement dans le quotidien et la vie de ces personnages réalistes, imparfaits auxquels on s’identifie sans peine. En effet Kirkman voulait explorer la psyché humaine et imaginer comment des gens “normaux” pourraient évoluer durablement dans un tel contexte. Chaque événement et chaque drame agissent sur la psychologie des personnages et balisent leur évolution au fil du temps, des années durant..

Précisons d'ailleurs que ces drames ne sont pas tant d'origine zombie mais bien d’origine humaine… La trame globale s’inscrit dans une toile de fond où évoluent des créatures qui font figures de révélateurs mais concentre son propos sur les drames personnels qui sont la conséquence de conflits humains traditionnels : problèmes de couple, mésententes sociales, adaptation à la nouveauté, éducation et trahisons affectives, etc.

Kirkman profite des possibilités offertes par cette liberté prise avec la temporalité singulière du récit pour faire évoluer le monde de Walking Dead au sens large sur des années entières intradiégétiquement. On découvrira donc bon nombre de groupes aux mœurs uniques, propres à leur situation et à leur vécu. Ces comportements variés et post-traumatiques tendent à définir le comportement global d'une humanité disparate dans un contexte apocalyptique avec une approche anthropologique. Kirkman aborde ainsi des thèmes plus rares qu'à l'accoutumée dans le genre « Zombie » (bien qu'on retrouve ces questions ailleurs et notamment dans le post-apocalyptique). On pense par exemple à la reconstruction de la civilisation. Thème dont les causes, conséquences et autres questionnements comportementaux voire idéologiques s’incarnent à travers les différentes formes de communautés rencontrées.

Ainsi les enjeux liés à l’intimité des personnages rejoignent une forme d'Histoire de l'humanité plus ambitieuse que ce que le genre parcourt d’habitude ; les études de cas universalisent le propos. À cette prolifération de thèmes et de personnages divers et variés, Robert Kirkman et Charlie Adlard y adjoignent des principes narratifs terriblement efficaces (twists scénaristiques, irréversibilité des décisions, des faits et des situations qui se répercutent sur le futur des personnages mais aussi sur la dramaturgie, etc.).

Le travail de mise en page des deux auteurs a pour fonction d’amplifier constamment le suspense de chaque scène. Pour eux, il était important qu'on ne sache jamais ce qui doit advenir à la prochaine page… Ainsi tous les éléments importants sont sur la page que l'on visite puis seront sur celle que l’on tourne afin de rendre la lecture imprévisible… Ce principe narratif s’accommode parfaitement du style de Kirkman forgé sur la rédaction de scènes chocs qui marqueront aussi bien les personnages que les lecteurs. Ainsi, certaines scènes du comics deviennent particulièrement éprouvantes puisqu’elles s’agrémentent d’une violence graphique et dramatique conséquente et assumée.

Cette violence extrême pourrait sembler gratuite et racoleuse mais elle est, en réalité, tout à fait légitime dans cette atmosphère de fin du monde qui accueille Walking Dead et, de plus, le surgissement de la violence témoigne d'une liberté totale des auteurs. Une liberté que l'on retrouve jusque dans la communication autour de la série : Image Comics et Kirkman ont en effet annoncé les chapitres 194 à 196... alors qu'en réalité la série s'est conclue au 193ème numéro.

La conclusion est tout à fait satisfaisante par ailleurs. Déjà grâce au minutieux travail de mise en place de Kirkman sur les cinq dernières années de publication de son comics. Quand bien même les histoires et les conflits se faisaient au gré des rencontres, il a su orienter les enjeux et les thèmes vers une conclusion logique et pertinente avec les dernières lignes directrices du comics. Ainsi tout le parcours des personnages semblait devoir mener vers cette conclusion précise.

Évidemment, parmi les 33 tomes qui composent la série, certains segments sont moins inspirés que d'autres. Le plus souvent, ils souffrent de certaines longueurs pour le moins inévitables : de l’aveu même de Kirkman "au bout d'un moment, c'est toujours la même chose". Mais à l'aune de l'ensemble de la série, Walking Dead a su conserver une consistance et une pertinence qui force une certaine admiration. Ainsi Walking Dead est une histoire d'une grande richesse, une somme d'idées et d'influences qui l'ont propulsé au rang d’œuvre majeure de son genre.

Crédit image : © & ™ 2020 Robert Kirkman, LLC. Tous droits réservés. ©2020Éditions Delcourt pour la version française

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