Splitscreen-review Image de Tu mourras à 20 ans de Amjad Abu Alala édité chez Pyramide vidéo

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Tu mourras à 20 ans

Publié par - 6 septembre 2020

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Après une distribution remarquée lors de sa sortie dans les salles en février dernier, l’étonnant premier long-métrage d’Amjad Abu Alala intitulé Tu mourras à 20 ans est désormais disponible en DVD grâce à Pyramide Vidéo. En soi, le film attise la curiosité du cinéphile en quête de nouveautés ou de nouveaux modes de récit dans un paysage filmique dominé par les sorties américaines. Déjà parce que le film a été réalisé par un cinéaste soudanais, ce qui nous permet de mesurer la préciosité de l’objet dans la mesure où Tu mourras à 20 ans n’est que le 8ème film soudanais de l’histoire.

Au-delà de cet aspect exceptionnel, le titre du film frappe par son éloquence et, en même temps, intrigue puisqu’il évoque un phénomène qui n’a rien d’anodin en annonçant un fait contre nature. Le titre, puisqu’il se décline au futur, annonce le pire, un drame qui prend des allures de tragédie car l’issue nous est présentée dès le début par une prédiction qui repose sur une croyance devenue au fil du temps superstition. Un chef religieux prophétise à un couple la mort de leur nouveau-né, Muzamil, lorsque ce dernier arrivera à l’âge de 20 ans. On notera d'ailleurs dès cette scène l’effacement progressif du père.

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Reste alors à décider de ce qu’il adviendra de ces 20 années qui passeront à attendre la fin prévue, la mort programmée et inévitable de Muzamil au regard de la lecture des signes envoyés par Dieu. Muzamil est condamné par tous. La superstition collective se transforme en figure de l’aliénation et, bien sûr, de l’enfermement. La vie de Muzamil se résume à l’initiative de sa mère qui, toutes les semaines, telle une prisonnière, égrène les jours passés à l’aide de traits dessinés sur un mur. La pièce est carrée, sans issue, elle contient finalement, comme une chambre funéraire égyptienne, un résumé de la vie de Muzamil réduite à un compte à rebours. La pièce en question est un véritable sablier représenté sous forme de traits. Avant de vivre, Muzamil est mort. C’est d’ailleurs ainsi que les villageois et, pire encore, les autres enfants le perçoivent et le considèrent. Le cinéaste n'hésite d'ailleurs pas à souligner cette forme d'exil. Qu’il soit chez lui, dans sa cour ou à l’extérieur, Muzamil est systématiquement empêtré dans des cadrages qui nuisent à l’intégrité du personnage : un réseau de lignes tisse un maillage équivalent à une toile d’araignée qui, selon quelques principes philosophiques, décrit une situation temporelle singulière. Les cadrages ont pour fonction ici de représenter une immobilité de l'esprit, de l'âme. Muzamil stagne, végète. Sa vie est figée dans une temporalité déterminée, il est incarcéré entre les murs de la superstition.

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Le temps de Muzamil, les 20 années qui lui sont octroyées, entre alors en collision avec une réalité sans doute plus immuable que toute prédiction, celle des étapes identitaires de l’existence. Si l’enfant Muzamil arrivait à se subordonner aux croyances du monde et à obéir aux commandements de sa mère, il en va différemment de l’adolescent Muzamil qui, par définition, aspire à une inconsciente indépendance. Arrive le temps des amours, le temps des possibles. Et puis se produit une rencontre inattendue avec une figure paternelle.

Alors qu’il effectue une livraison pour l’épicier, Muzamil rencontre Suleiman, un iconoclaste invétéré qui va agir comme un révélateur. D’abord, Suleiman est un hédoniste. Il assume pleinement quelques principes qui placent au-dessus de tout la quête du plaisir sous toutes ses formes. Suleiman va ouvrir une brèche dans l’imaginaire du jeune garçon. À l’abstraction de la prophétie et à l’absence de perspective (comment un enfant ou un adolescent peut-il matérialiser sa mort programmée ?), Suleiman, par ses mots, ouvre de nouveaux horizons matériellement identifiables. Suleiman incarne une autre vision du monde. Il permet à Muzamil de voir une autre réalité que celle limitée par la parole du cheikh. L'ailleurs existe et Muzamil voit et constate que le monde ne se limite pas au village qui est le sien. Suleiman projette des films à Muzamil et l’attitude prométhéenne du plus âgé a le mérite d’illuminer au sens propre (même dans les lieux clos, Muzamil est désormais éclairé par une lumière qui vient de l’extérieur), comme au sens figuré l’esprit de Muzamil (l’agressivité soudaine du jeune garçon témoigne de questionnements qui font vaciller les certitudes premières). Prométhée fait des émules, le feu est en Muzamil.

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Dès lors, Tu mourras à 20 ans s’inscrit dans un schéma qui entraîne le film sur le territoire de la fable et du politique. Remarquablement bien écrit et filmé, Tu mourras à 20 ans est une lueur lointaine qui brille de mille feux. À une époque où le pessimisme ambiant s’invite dans les considérations sociales et communautaires, filmer un éveil spirituel et intellectuel relève du défi et de la profession de foi. À ce titre, Amjad Abu Alala remplit pleinement son rôle d’éclaireur dans un pays où le cinéma n’existe quasiment pas. Souhaitons que son film œuvre à illuminer l’esprit de jeunes soudanais afin qu’ils prennent conscience que leurs rêves peuvent déjà se matérialiser par des images qui ne demandent qu'à devenir un imaginaire commun.

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Crédit photographique : Copyright Pyramide Distribution

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