Primal

Publié par - 3 décembre 2020

Catégorie(s): Séries TV / V.O.D.

Genndy Tartakovsky est un nom qui résonne chez plus d’un spectateur tant l'auteur a marqué le monde de l'animation avec ses créations mais aussi parce qu'il a su, au long de ses 25 ans de carrière, faire évoluer son style. En témoigne la saison 5 de Samurai Jack, sortie 13 ans après l'annulation de la série, qui cristallise les obsessions du créateur. Cette partie de la série est plus violente, plus adulte mais aussi et surtout plus contemplative que les quatre saisons qui précèdent. C’est cette même saison qui a servi de fondation à la série qui nous intéresse aujourd'hui : Primal.

Produite, entre autres, par le studio français La cachette (Love, Death and Robot, le teaser de Kairos), Primal est composée, à ce jour, d'une saison de 10 épisodes et elle a déjà été renouvelée pour une saison 2 qui devrait être diffusée en 2021. Primal conte l'histoire d'un homme des cavernes (Spear) et d'un dinosaure (Phang) qui, suite à un drame qui les a réunis, vont essayer de survivre ensemble dans ce monde sauvage. Tartakovsky signe ici son œuvre la plus adulte dans la mesure où la dramaturgie permet d'assumer une violence graphique très prononcée au service d'une approche des sujets expérimentale. Chose rare, Primal allie préhistoire et fantasy. Ce mélange, à bien des égards, rappelle l'univers de Conan le Barbare ou encore les couvertures de pulps magazines comme Métal Hurlant. Des inspirations revendiquées par Tartakovsky et Scott Wills, le directeur artistique de la série.

Au final, cet univers sert avant tout de toile de fond à l'intention première de Tartakovsky : se libérer du dialogue pour embrasser une démarche purement visuelle et cinématographique. Cette démarche habitait déjà les inspirations qui ont nourri la saison 5 de Samurai Jack. Ici, elle est au centre de Primal. Aucun dialogue ne sera utilisé pour expliciter ou clarifier les événements qui jalonnent les épisodes de la série. Tout passe par l'image, le son et l'animation. Ainsi pour permettre au spectateur une meilleure immersion dans l'univers de Primal, Tartakovsky ralentit le rythme des séquences par rapport aux standards de l'animation contemporaine. Parcourus d'une intention contemplative, les plans s'étirent pour coller à une matérialité temporelle qui nous rapproche d'une perception réaliste. Ainsi, l'univers de Primal s'éprouve et se "ressent" autant qu'il s'observe.

De ce point de vue, la direction artistique, fortement inspirée des illustrations de Frazetta, offre des décors spectaculaires. La série opte pour un style 2D très marqué avec des contours gras qui insistent sur les éléments constitutifs du cadre. La série sait aussi faire preuve d'une certaine économie dans ce même tracé pour jouer sur les couleurs, la texture du décors et n'hésite pas, parfois, à simplement user de silhouettes pour mieux définir certains éléments de l’image. La composition des cadres gagne ainsi en clarté et traduit sans ambiguïté les événements importants de la série.

De même l'éclairage et la colorisation, s'ils ne sont pas toujours respectueux d'une certaine réalité, tendent à caractériser immédiatement l'atmosphère propre à chaque scène. Ce style visuel est au service des décors riches en couleurs et en détails sans pour autant verser dans l'illustratif. On saisit et on comprend rapidement le sens induit par chaque cadrage grâce à sa constitution. L'univers sonore quant à lui enrichit le sens graphique de l’œuvre et permet de donner de la matérialité à cet univers. Ce travail graphique et sonore gomme la dimension artificielle de l'image animée pour créer une proximité tangible entre le spectateur et l'univers de Primal.

C'est dans ce cadre que les personnages prennent vie avec un véritable travail sur les expressions et les regards pour restituer leurs émotions. Pour trouver le juste équilibre entre une nécessité anatomique et la représentation des personnages et des créatures, Tartakovsky a choisi de limiter volontairement les déformations animées, conférant ainsi une vraie solidité aux êtres vivants à l'écran. Dans ce même souci de représentation, la série ne fait par exemple pas parler les animaux, ni ne leur donne de traits humains pour expliciter leurs expressions.

Ce travail sur la crédibilité de la représentation sonore et graphique des créatures et de cet univers participe à rendre plausible le monde de Primal. Cela répond à une intention précise de Tartakovsky : légitimer l’action, la violence et les enjeux de son récit. La série exploite donc de manière vraisemblable, selon notre imaginaire, la violence inhérente au monde sauvage. La violence montrée est donc dénuée de manichéisme. Elle s’inscrit dans la logique de l’univers primitif défini par la production. La causalité relève de l'évidence. Il faut se nourrir, survivre, protéger ses proches et pour cela, il faut tuer. La dynamique instaurée parachève la proposition initiale. Les enjeux de ce monde primitif se passent aisément de dialogues et sont, de plus, facilement compréhensibles puisqu'ils renvoient à des enjeux essentiels.
Les personnages tissent des liens qui, dans leur nature, rappellent bon nombre de films d’animation comme la trilogie
Dragon. En découlent des affrontements rudimentaires d’une violence graphique assez rare dans ce genre de production. En jouant de l'alternance entre des séquences lentes et des moments d'action brute, la série installe un rythme qui questionne constamment le spectateur. Les sensations se suivent et ne se ressemblent pas forcément : tension palpable, suspens jouant sur notre expectative des événements, etc.

Il y a bien d'autres vertus perceptibles dans Primal comme sa bande son immersive ou encore la variété thématique des épisodes. Mais ce qui se dégage essentiellement de Primal, c'est sa direction artistique cohérente de bout en bout, quels que soient les sujets des épisodes. Tout ce qui constitue la série renvoie au titre de cette dernière : Primal. Il faut alors entendre le titre dans sa dimension essentialiste. La série adopte une narration universelle dénuée de parole pour décrire un monde caractérisé par des enjeux primaires. Tout le travail qui en découle aboutit à une expérience de visionnage qui fait la part belle au ressenti, au viscéral, comme le voulait son auteur. Primal est probablement l'un des projets les plus précieux de Tartakovsky puisque la série prouve que l'animation n'a pas à se cantonner aux codes qu'on lui assimile trop souvent.

Crédit images: Ⓒ Adult Swim

 

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