Splitscreen-review Image de Ariane de Billy Wilder

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Ariane - Carlotta Films

Publié par - 12 janvier 2021

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Le 18 novembre 2020, Carlotta Films éditait, dans sa somptueuse collection de coffrets Ultra-Collector, Ariane de Billy Wilder. La copie du film comme le contenu éditorial, d’une conséquente richesse, sont de toute beauté. De quoi séduire l’amateur de cinéma comme l’inconditionnel de Wilder en quête d’informations nouvelles sur Ariane qui reste, même si ce n’est pas le film de Wilder qui vient spontanément à l’esprit lorsqu’il s’agit d’évoquer son œuvre, un des sommets de la comédie sophistiquée, genre pratiqué régulièrement avec maîtrise et virtuosité par Wilder.

Une telle édition (compléments vidéo d’une pertinence et d’une limpidité imparables, livre qui réunit des articles et des essais érudits et passionnants) répond à une logique évidente : Ariane est un film qui a souvent échappé aux regards critiques ou cinéphiles mais il est considéré comme une œuvre essentielle de son auteur qui mérite d’être découverte ou redécouverte avec les éléments nécessaires pour l’estimer à sa juste valeur. D’une certaine manière, Ariane est à l’image de son créateur une œuvre discrète qui, à son évocation, laisse poindre nombre de qualités qui en font l’importance.

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Car le cinéma de Wilder est ainsi fait que c’est avant tout grâce à son travail scénaristique que le cinéaste a été reconnu. Il faut dire que ses participations écrites à certaines productions ne laissent pas indifférent. Wilder a travaillé, avant de devenir cinéaste, avec quelques cinéastes qui comptent parmi les plus grands de leur temps : Siodmak (dès l’Allemagne en 1929 avec « Les hommes le dimanche »), Dieterle, Raoul Walsh, Ernst Lubitsch, Howard Hawks ou encore John Huston. Et si Wilder ne vient pas immédiatement à l’esprit lorsqu’il s’agit d’évoquer les plus grands metteurs en scène de l’histoire dans les débats qui animent avec délectation les cinéphiles en quête de listes électives, il s’impose malgré tout dès lors qu’on en arrive aux listes de films. Parce que Wilder, quels que soient les genres abordés par son travail de cinéaste, a toujours su composer des œuvres incontournables. Le film criminel (Assurance sur la mort, 1944), le drame social (Le poison, 1945 ; Le gouffre aux chimères, 1951), la satire (Sept ans de réflexion, 1955 ; Certains l’aiment chaud, 1959 ; La garçonnière, 1960 ; La grande combine, 1966), le film sur le cinéma (Boulevard du crépuscule, 1950), la comédie dramatique (La scandaleuse de Berlin, 1948) ou la comédie sophistiquée et romantique (Sabrina, 1954 ; Ariane, 1957) ; autant de genre ou de sous-genre qui doivent à Wilder quelques-unes de leurs plus belles pages.

Une question mérite alors d’être posée : à la lecture de cette liste de films, pourquoi Billy Wilder n’est toujours pas considéré comme l’un des plus grands cinéastes de l’histoire ? Un premier élément de réponse apparaît dans la forme même de ses films qui se place sous le sceau de la discrétion et de l’humilité. C’est d’ailleurs sur ce point très précis que Wilder rejoint celui qu’il considérait comme un maître absolu et sans aucun doute possible comme un modèle, Ernst Lubitsch.

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Mais revenons à Ariane. Notons d’ailleurs dans un premier temps que le titre de l’exploitation française du film, s’il s’éloigne d’une transcription littérale du titre original, Love in the afternoon, n’est cependant pas aussi farfelu qu’il n’y paraît. D’abord parce qu’il a le mérite de livrer une indication précieuse en désignant le personnage du film qu’il faut suivre et observer car il décide de la mise en scène. Et puis aussi parce que le prénom Ariane est riche de significations dans la mesure où il s’associe, étymologiquement, à une forme de beauté, quelle qu’elle soit, qui s’accompagne de qualificatifs qui rendent délectable et exquise la présence de la détentrice du prénom. Ajoutons à ceci qu’Ariane est également un prénom lié à l’un des plus célèbres mythes grecs, celui de Thésée. Son rôle dans l’évasion de Thésée du labyrinthe et ce qu’il est advenu ensuite de la princesse (elle est abandonnée par Thésée) introduit donc dans le film une dimension mélodramatique qui se rattache aux sonorités mythologiques du prénom.

Alors préoccupons nous d’Ariane et des personnages qui l’accompagnent dans cette histoire. D’un point de vu factuel, la distribution nous permet d’envisager une passerelle (ce ne sera pas la seule, nous y reviendrons) avec l’univers de Lubitsch auquel Wilder se réfère tant (dans son bureau, Wilder avait suspendu un écriteau sur lequel était écrite la formule suivante : « Qu’aurait fait Lubitsch ? »). Les deux personnages masculins principaux sont, tous les deux, interprétés par des fidèles de l’univers d’Ernst Lubitsch ou qui ont tenu des rôles importants dans l’univers du cinéaste, Maurice Chevalier (le père d’Ariane) et Gary Cooper (l’homme dont Ariane tombe amoureuse).

L’observation du choix des comédiens pour endosser les rôles masculins principaux est riche de sens. Nous pouvons par exemple nous étonner du choix de Gary Cooper pour interpréter Flannagan, le séducteur américain, qui est à l’évidence un écho du personnage qu’interprétait le comédien dans Sérénade à trois de Lubitsch. Gary Cooper, en 1957, est âgé de 56 ans et son allure ne diffère guère de celle de Maurice Chevalier pourtant de 12 ans son aîné. Alors quoi ? Wilder aurait confié à Cooper le rôle de Frank Flannagan juste pour assumer une filiation ou rendre un hommage à Lubitsch ? Trop évident. Trop simpliste au regard de la malice de Wilder. La raison est à chercher ailleurs et sans doute dans le contrepoint apporté au personnage d’Ariane interprété par Audrey Hepburn, actrice singulière et à l’ingénuité de ses traits physiques.

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Le personnage d’Ariane est une jeune femme aux aspirations diffuses mais dont l’âge et l’intérêt non dissimulé sur les occupations professionnelles de son père, un détective spécialisé dans les affaires d’adultère, livrent quelques informations essentielles. Le quotidien de la jeune femme est conditionné par des figures de l’enfermement : sa chambre, ses études de musique, son rôle de jeune fille bien sage et Michel, son compagnon d’études et le jeune homme à qui elle semble promise. Michel est une sorte de figure amoureuse platonique, totalement asexuée et le personnage est, lui aussi, enfermé dans un schéma où la musique est un tout qui occupe tous les horizons. Or, Ariane sait que le monde ne se limite pas à l’univers exigent du conservatoire puisque sa chambre jouxte le bureau dans lequel son père expose le résultat de ses enquêtes à quelques maris trompés. L’aventure est là et la promesse d’expériences inédites et ô combien attrayantes est à portée d’oreilles. Inévitablement, l’imaginaire de la jeune femme s’est laissé gagner peu à peu par des désirs encore abstraits. Dans cet univers de tentations inconnues, un nom revient régulièrement, Mike Flannagan.

Lorsque ce dernier semble menacé par un mari qui ne cache pas son envie d’attenter à la vie du séducteur américain, Ariane n’hésite pas. Elle se lance dans une aventure qui consiste à s’introduire dans la vie de Flannagan pour le sauver mais également, motif implicite, pour découvrir pourquoi cet homme collectionne les aventures amoureuses. Le désir est multiple. Il s’agit de sauver cet homme et, surtout, d’entrer en contact physique avec ce qui, et cela n’a que trop duré, a toujours été refusé à Ariane jusqu’ici, la possibilité de faire le lien entre le sentiment, le besoin et le désir.

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La rencontre entre la jeune femme et Mike Flannagan est passionnante. Ariane s’introduit dans la chambre du séducteur américain en passant par le balcon pour échapper à la surveillance du mari trompé qui attend patiemment dans le couloir de l’hôtel afin d’assouvir sa vengeance. Ariane, une fois dans la chambre, explique la situation et se pare de quelques accessoires portés jusque-là par la conquête de Flannagan. Ariane se transforme en séductrice à la surprise du mari qui fait irruption dans la chambre, de Flannagan et du spectateur. Parmi les ustensiles vestimentaires revêtus par Ariane, il en est un qui va jouer un rôle essentiel, un chapeau à voilette.

Une fois le mari parti après s’être confondu en excuses, Flannagan et Ariane se retrouvent seuls et la présence autant que l’apparence de la jeune femme troublent Flannagan. Le charme opère. Il tient autant du mystère de la présence d’Ariane dans la chambre que de son apparence ou de son attitude. Flannagan décide alors de soulever le voile attaché au chapeau de la jeune femme et qui lui recouvre le visage. Dans la pénombre, le visage d’Ariane illumine la chambre et l’esprit de Flannagan. Mais la métamorphose la plus spectaculaire est celle qui opère chez la jeune femme. Car le geste de Flannagan tient autant de la révélation (le geste rend concrète et inattendue la manifestation de la féminité d’Ariane aux yeux du spectateur) que d’un acte plus sensuel, le dévoilement (mise à nu de ce qui ne demandait qu’à être vu et qui était là de manière latente depuis longtemps ; la beauté et la sensualité d’Ariane).

C’est dans la mise en valeur des charmes d’Ariane qui nous sont exposés soudainement sans fard (même si pour l’occasion il a fallu la présence de l’artifice comme agent révélateur : maquillage, chapeau, robe, etc.) que nous trouvons finalement le point commun le plus intéressant entre Ariane et le cinéma de Lubitsch. D’une situation improbable voire absurde naît une attraction amoureuse qui devient le prétexte à des expérimentations sexuelles qui invitent des péripéties inattendues dans le récit. Bien sûr, comme chez Lubitsch, rien ne s’affiche et tout se suggère. Les fantasmes d’Ariane sont explicités lors de la scène de l’enregistrement du récit d’un prétendu passif amoureux. Pour rendre jaloux Flannagan, alors qu’ils ont déjà vécu moult rendez-vous galants l’après-midi pour ne pas éveiller les soupçons du père de la jeune femme, Ariane enregistre, sur un dictaphone qui appartient à Flannagan, de prétendues expériences sexuelles qu’aurait vécues la jeune femme. Le spectateur sait qu’Ariane invente. Mais le trouble naît dans la description des situations amoureuses. Celles-ci sont multiples, pour le moins rocambolesques mais, surtout, elles couvrent un spectre de possibilités érotiques qui, dans leur complémentarité, dans leur diversité et leur audace libertine, attirent et attisent le désir du séducteur américain qui pourtant en a vu d’autres.

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L’art du secret et de la dissimulation œuvrent tout au long d’Ariane. Ainsi, le spectateur suit un film qui ne considère que les moments où Flannagan et Ariane peuvent physiquement se rencontrer, c’est-à-dire lorsque Flannagan est de séjour à Paris. Les ellipses abondent et créent de subtiles variations qui n’ont pas d’autres fonctions que de titiller le spectateur en bouleversant ses attentes et ses spéculations. Parmi celles-ci, il en est une qui intrigue plus que d’autres, l’âge presque identique entre le père et l’amant. Très vite une idée germe dans l’esprit du spectateur. Flannagan compose un personnage qui est l’exact inverse du père de la jeune femme, c’est-à-dire une figure permissive alors que le père d’Ariane incarne lui un monde de règles et d’interdits.

Ariane, Love in the afternoon, n’est peut-être pas le film le plus connu de Billy Wilder mais il recèle nombre de vertus, l’insinuation ou l’évocation, qui entretiennent le désir chez le spectateur. Ariane est à l’image de son auteur un film subtil où Billy Wilder construit méthodiquement par le vide et l’absence, le non-dit et l’implicite un récit où il ne perd jamais le fil de son propos.

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Crédit images : © 2021, La Boutique Carlotta Films ; © D.R.

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Hubert de Givenchy évoque sa rencontre avec Audrey Hepburn et leur collaboration.

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