Coffret Claude Chabrol, suspens au féminin - Carlotta Films
Publié par Stéphane Charrière - 22 janvier 2021
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
Le coffret Claude Chabrol, suspens au féminin composé de 5 films (L’enfer, La cérémonie, Rien ne va plus, Merci pour le chocolat et La fleur du Mal) et édité par Carlotta Films en fin d’année offre aux heureux acquéreurs de l’objet plusieurs avantages. Outre la qualité des 5 copies de films proposées ici (films restaurés en 4K) et la profusion des compléments qui les accompagnent (mention aux scènes commentées sur les 5 films par Chabrol et aux entretiens de Isabelle Huppert, Caroline Eliacheff, Jacques Dutronc et Claude Chabrol), le coffret nous donne l’occasion de revisiter certains aspects du cinéma du cinéaste à une époque (les années 1990 et le début des années 2000) où la carrière de Chabrol arrive à son terme.
Parmi les éléments le plus souvent mentionnés pour introduire l’œuvre du cinéaste, à la lecture rapprochée des films du coffret Carlotta Films, plusieurs caractéristiques apparaissent avec insistance et trahissent la mise en place d’un univers dédié à la mise en lumière de quelques obsessions thématiques (la culpabilité, l’omniprésence du mal et l’influence de celui-ci sur le destin des êtres).
Les films de Chabrol, dans la période couverte par le coffret, peuvent se définir à travers un terme évocateur, le Cinémassacre (même si l’œuvre chabrolienne est aux antipodes des intentions de Boris Vian, auteur de la pièce qui porte cet intitulé). Dans les films du coffret, les expériences, mêmes les plus extrêmes, se vivent dans un contexte particulier, la Province et les identités régionales qui abritent les drames proposés ici. Un schéma se répète inexorablement de film en film : un élément perturbateur (souvent un personnage extérieur aux communautés locales) fait irruption dans un collectif et dérègle les logiques sociales établies par le groupe. À ce sujet, il fut souvent reproché au cinéaste de peindre de manière grossière, au fil du temps, une France des régions habitées par d’improbables personnages. Il nous semble plutôt, en revoyant les 5 films du coffret, que Claude Chabrol fait usage de la caricature (essentialisation des traits) pour observer et extraire de son étude comportementale ce qui constitue la substance première de la société française dans son ensemble.
Pour universaliser son propos, Claude Chabrol emprunte quelques ressorts narratifs à la tragédie classique dans les 5 films du coffret. D’abord parce que le cinéaste ambitionne d’observer en profondeur ce qui caractérise l’identité française et même, parfois, nos sociétés occidentales. Ainsi les films proposés dans ce coffret assument pleinement une fonction cathartique, principe cher à la tragédie, puisqu’ils explorent les affres passionnelles vécues par les spectateurs. Les 5 films reprennent à leur compte, au-delà d’une évocation plus directe par l’intermédiaire du champ musical par exemple (opéra, musique classique), quelques figures de style qui épousent les contours de la tragédie classique. Les principes apparaissent dans le traitement narratif tant au niveau du style (structure filmique, tonalité pathétique) que dans le traitement des personnages (confrontation à un dilemme qui conduit à la catastrophe finale, personnages en proie à des forces impossibles à réfréner).
Le recours à des formes d’expression telles que la tragédie n’est pas anodin. Le genre en question, d’abord théâtral, est un écrin tout trouvé pour ausculter la condition humaine et donc la société selon Claude Chabrol. Avant tout parce que la tragédie s’invite dans la destinée de personnages gagnés par des passions extrêmes. Or le cinéma de Claude Chabrol se construit sur l’omniprésence de conditions qui traversent toute l’œuvre de l’auteur au premier rang desquelles figurent différentes formes d’expressions amoureuses mais aussi, et surtout, la culpabilité.
Le cinéma de Claude Chabrol, on le sait par ses goûts cinéphiliques, a souvent oscillé entre Hitchcock et Lang. Aux deux cinéastes, un trait commun, le sentiment de culpabilité. S’il emprunte parfois des traitements qui évoquent Hitchcock, c’est quand même de Lang que Chabrol se rapproche le plus. Chez Chabrol, comme chez Lang, la culpabilité habite les êtres dès leur naissance. Être en ce monde, c’est déjà être coupable. La culpabilité est une condition de l’existence. Pour Chabrol, elle est l’objet du spectacle ultime. D’où l’usage de structures et d’éléments empruntés à la Tragédie puisque cette dernière permet toutes les extravagances thématiques pour rallier la dimension caricaturale des projets déjà évoquée.
Au-delà de cet aspect généraliste, il faut voir dans les récits provinciaux de Chabrol la possibilité d’explorer des territoires géographiques qui sont le décor idéal pour abriter des drames mâtinés de qualités initiatiques. Il convient sans doute d’estimer cet aspect du travail de Chabrol par la résurgence des souvenirs de l’auteur puisque le cinéaste, alors enfant, n’a jamais caché l’importance des années de guerre passées dans la Creuse en compagnie de sa grand-mère.
Âgé d’une dizaine d’années, Claude Chabrol fut propulsé dans un monde où l’insolite, pour lui, se manifestait principalement dans l’articulation de rapports humains forts éloignés de ce qu’il connaissait, lui, le fils d’un pharmacien parisien. Il fait alors, inconsciemment à cette époque, le constat que les différentes catégories sociales interagissent d’une manière bien différente en province. On peut comprendre l’attrait, la séduction exercés sur l’enfant Chabrol par ces comportements nouveaux répondant à des codes ou des conventions étrangers à son appréhension du monde.
La dimension caricaturale des récits et des personnages, tels que traités par l’auteur, introduit par ailleurs quelques notions singulières à l’œuvre. La province peinte par Chabrol n’a pas pour vocation de restituer fidèlement la réalité contemporaine des régions mais plutôt de permettre, dans son artificialité, d’explorer les effets de différentes aliénations qui agissent sur le comportement de chacun et sur l’équilibre communautaire.
De plus, la province de Claude Chabrol n’est pas celle que nous pouvons découvrir si nous nous y rendons mais plutôt celle dont il se rappelle avoir décodé le fonctionnement dans son enfance. La province de Chabrol n’est pas la province française mais un décor particulier qui autorise l’exploration de sentiments soudainement exacerbés.
Les films de Chabrol présents dans ce coffret couvrent tous un spectre de tonalités qui, dans l’alternance des effets produits, forcent le respect. Le comique côtoie aussi bien le tragique, l’ironie ou le pathétique. Toujours, cependant, la fatalité l’emportera. Il suffit de peu de choses pour que le monde modélisé par Chabrol bascule dans le drame. Les équilibres sont précaires. Les communautés ou les familles se construisent sur des secrets (explicités ou non), des non-dits ou des drames antérieurs qui sont autant de péripéties complexes à dénouer. Les personnages ont beau tenter de se soustraire à la sourde présence de ces problèmes et obstacles, ils surgiront toujours au détour d’une situation inhabituelle, d’une arrivée impromptue ou d’une parole qui échappe malencontreusement au contrôle de chacun. Des forces invisibles se libèrent alors et les affects rongent les âmes, les êtres sont écrasés par des puissances abstraites. Le sort des personnages est scellé et Chabrol s’adresse au spectateur pour lui rappeler qu’au fond de lui sommeille un mal qui le travaille en sourdine.
Crédits photographiques : ©MK2Diffusion, ©CarlottaFilms
SUPPLÉMENTS :
. 5 PRÉSENTATIONS DE FILM PAR JOËL MAGNY
. 5 LEÇONS DE CINÉMA DE CLAUDE CHABROL
. 8 ENTRETIENS DONT 3 INÉDITS (avec Isabelle Huppert, Sandrine Bonnaire et Marin Karmitz)
. 4 MAKING-OF
. LES BOUTS D’ESSAIS D’ANNA MOUGLALIS
. 6 BANDES-ANNONCES