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Carole & Clark

Publié par - 15 février 2021

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Au-delà de la bande-dessinée, nous n’éditons que trop peu d’articles consacrés à des livres en rapport avec les domaines qui nous intéressent. Si nous l’avons fait déjà par le passé, il faut avouer que la considération des publications de livres échappe au rapport que Splitscreen-review a instauré avec une certaine forme d’actualité. Toutefois, en janvier dernier fut publié chez Stock Carole & Clark de Vincent Duluc. Le livre en question nous a intrigué et il a motivé l’envie de rédiger un article à son propos en faisant fi du laps de temps qui sépare la date de publication de la rédaction de cette chronique. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que Vincent Duluc n’appartient pas à la planète du livre de cinéma. Vincent Duluc est un journaliste à la réputation flatteuse reconnu pour ses articles dans le journal L’équipe et plus particulièrement pour ses analyses (brillantes) sur le football en général. Ce n’est pas le fait qu’un journaliste sportif se passionne pour autre chose que le sport qui a attiré notre attention, mais plutôt parce qu’avec Carole & Clark, c’est la première fois que Vincent Duluc sort de son champ d’investigation naturel pour arpenter de nouveaux territoires. Enfin, en apparence.

Car si nous considérons la liste des ouvrages que nous devons à Vincent Duluc, une tendance a commencé à poindre ici où là dans ses travaux qui laissait entendre que l’auteur sortirait un jour du cadre sportif pour observer le monde (car il s’agit bien de cela) depuis un autre point de vue. L’œuvre de Vincent Duluc, essentiellement consacrée au football dans un premier temps, s’est peu à peu laissée gagner par autre chose qu’une immersion dans les coursives de faits footballistiques destinée à séduire majoritairement les amateurs d’événements sportifs. En 2014, Vincent Duluc publiait Petites et Grandes histoires de la Coupe du Monde chez Robert Laffont et, dès le titre, il est possible, de manière rétrospective, de souligner une orientation particulière de son travail d’écriture. Le livre visite ce qui se situe hors de l’arène sportive mais qui conditionne celle-ci au point d’influer sur quelques résultats que les spécialistes pensent acquis. Avec ce livre, Vincent Duluc abolissait les frontières supposées infranchissables qui séparent le public des acteurs sportifs et extra-sportifs. L’auteur faisait ainsi de la compétition la plus prestigieuse du football une étude sur un phénomène social qui excède les limites du sport afin d’humaniser le rapport à la pratique du football.

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Un mauvais garçon de Wesley Ruggles

Cette tendance à se pencher sur la condition humaine s’est notoirement confirmée au moins dans trois autres romans ultérieurs : Le cinquième Beatles chez Stock en 2014 (récit de la vie et  de l’œuvre de George Best, footballeur irlandais aussi génial sur un terrain qu’en dehors), Un printemps 76 publié chez Stock en 2016 (retour sur l’épopée européenne de l’AS St Étienne qui s’est conclue par une défaite en finale de la coupe d’Europe à Glasgow) ou encore avec Kornelia également publié chez Stock en 2018 (portrait de Kornelia Ender, nageuse est-allemande qui a obtenu 4 médailles d’or aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976 en battant à chaque fois le record du monde des disciplines concernées. Kornelia Ender fut soupçonnée d’avoir fait usage de stimulants pour améliorer ses performances alors que, curieusement, les archives officielles du pays n’ont jamais mentionné sa participation au dopage organisé par les fédérations sportives de la République Démocratique d’Allemagne.

Il existe un trait distinctif entre ces ouvrages, une idée transversale qui, finalement, établit un lien direct avec Carole & Clark, l’objet de notre attention ici. Il s’agit d’une forme d’idéalisation d’événements liés à une figure singulière (un footballeur hors norme, une nageuse décriée sans considération de ses aptitudes particulières, etc.) susceptible d’incarner symboliquement quelques caractéristiques qui traduisent les spécificités d’une civilisation à un stade précis de son développement.

De ce point de vue, le choix de Carole et de Clark prend tout son sens. Car la Carole et le Clark du titre ne sont autres que Carole Lombard et Clark Gable, stars incontestées du cinéma hollywoodien et l’un des couples les plus en vue de l’Amérique des années 1930/1940. Là encore, comme dans les autres récits de Vincent Duluc cités plus haut, il n’est pas (uniquement) question de relever des traces de l’importance de Carole Lombard et de Clark Gable dans l’univers hollywoodien mais plutôt d’observer ce que le couple Lombard/Gable nous dit de cette époque si particulière de l’histoire des États-Unis.

Vincent Duluc rétablit d’abord une chronologie qui énonce en creux les contours de la personnalité de Lombard et de Gable. Pour parvenir à ses fins, le choix de Vincent Duluc peut paraître étrange avant de se révéler, in fine, d’une cohérence imparable. L’auteur ne se livre pas à une étude comportementale des prestations de chacun dans les rôles qui en ont fait des stars mais il cartographie deux trajectoires humaines et artistiques à partir d’une compilation d’instants privés et de faits publics relatés à partir de diverses publications d’époque ou même plus tardives.

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Un mauvais garçon de Wesley Ruggles

Cependant, rien de ce qui relie l’être humain à son statut d’artiste ne se soustrait au regard de Vincent Duluc. Les caractères de l’une ou de l’autre, les aléas d’un quotidien très rapidement supplanté par des obligations hollywoodiennes, les conséquences d’un tournage, les attentes du public et des patrons des studios sont passés au crible d’une manière clinique. Ce qui se dessine au fil des phrases, ce sont deux destins qui, à travers les cas qu’ils constituent, reflètent paradoxalement une certaine réalité américaine. Dès leur rencontre initiale, ce qui réunit Carole Lombard et Clark Gable se place d’autorité sous le signe de la résistance. Car le couple, du fait des individus qui le constituent, indique qu’il réunit toutes les conditions pour résister aux affres de l’époque. C’est que les tourments potentiels sont nombreux et agressifs avec en premier lieu ceux liés à une Amérique qui tente de se persuader que les différentes atteintes au rêve américain et aux libertés individuelles (prohibition, code Hays, Dépression, etc.) ne sont que des épreuves supplémentaires à franchir pour parvenir à rester la nation dominante. Même si le quotidien de l’Américain moyen est tout autre, Hollywood clame haut et fort, en sur-éclairant tous les tournages de films par exemple, que l’Amérique ne peut chuter de son piédestal et qu’elle continuera à briller de mille feux quoiqu’il advienne. Carole et Clark, eux, tentent d’exister en marge de l’image qu’on leur colle. Il ressort du livre de Vincent Duluc que les deux stars ne sont pas dupes. Ils savent sans doute que l’image qu’ils renvoient de l’Amérique ne dissimulera pas très longtemps les maux plus profonds qui gangrène le pays de la réussite que l’on vend à grands renforts d’images et de textes.

Le couple Lombard/Gable et ce qu’il personnifie franchit bien vite les frontières américaines pour devenir une figuration du désastre apocalyptique qui guette le monde dans les années 1930. Le cataclysme annoncé se matérialisera à la fin des années 1930 pour l’Occident et en décembre 1941 pour une Amérique abasourdie par sa propre fragilité constatée après l’attaque de Pearl Harbor. La grande histoire rattrape le couple. La fin tragique des deux stars est à l’image d’un mélodrame classique : les personnages sont en proie à des forces qui les dépassent et qui se jouent d’eux. L’histoire les sépare. C’est la fin d’un monde ivre de films et de chimères.

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Un mauvais garçon de Wesley Ruggles

Carole Lombard et Clark Gable avaient tout pour intéresser Vincent Duluc. Ils incarnent un fantasme, ils incarnent le glamour que l’on associe à l’Amérique des années 1930, ils personnifient l’idée d’une Amérique certaine de ses forces tout en composant, paradoxalement, une figure de la désobéissance à l’imagerie affiliée à l’air du temps. Et puis il y a tout de même la fin du trajet. Ce moment où l’humain est dépassé par le mythe lorsque des passions incontrôlables dictent leurs inéluctables lois. Vincent Duluc ne s’y trompe pas. Derrière la légende du couple Lombard/Gable, l’auteur ne perd jamais de vue l’humain et, comme il le fit remarquablement avec George Best ou Kornelia Ender, retranscrit les péripéties vécues par le couple qui réduisent la légende à des préoccupations triviales et universelles. Lorsque la passion s’empare de Carole Lombard, son sort est scellé. Elle remet son destin aux mains de la fatalité. Dès lors que les sentiments éprouvés par Carole Lombard pour Gable deviennent irrépressibles, dès lors que la violence de la jalousie infléchit la raison de l’actrice, alors, en pleine conscience, elle s’abandonne à l’irrationnel et à un trajet en avion improbable. Vincent Duluc se plaît donc à nouveau à construire un récit autour de personnalités qui, à l’image de George Best ou de Kornelia Ender, ne peuvent se soustraire à l’action d’une sombre providence car, l’auteur le sait, ce qui est marqué du sceau de la catastrophe intrigue, concerne et intéresse tout le monde.

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Crédit images : Copyright D. R.

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