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J'aimerais qu'il reste quelque chose - La Luna Éditions

Publié par - 27 février 2021

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Chaque semaine à Paris, au Mémorial de la Shoah, des bénévoles accueillent des personnes venues témoigner d’une histoire familiale hantée par la déportation et la mort de parents. Des gens racontent des faits que nous pensons connaître mais qui, au fil des mots et du temps, ne cessent de renouveler et d’enrichir nos connaissances sur le sujet. Les descendants des disparus racontent l’histoire de leurs parents, ils racontent une histoire, la leur, et par la même occasion ils racontent notre histoire. Mais la démarche transcende les limites du témoignage. Les descendants ne viennent pas seuls, ils portent en eux et avec eux des traces, des empreintes qui sont autant de figurations de l’absence.

Chaque semaine au Memorial de la Shoah, des témoins parlent d’une histoire vivace et de l’absence de proches dont la matérialité se traduit par diverses formes de documents (lettres, objets, vêtements, photos, pièces d’identité, etc.). Une femme, lors d’une exposition, exprime dans la soudaineté de sa démarche et la partielle improvisation de celle-ci l’objet de ces rencontres entre une institution et les destinées individuelles qui viennent se livrer à elle : il faut « qu’il reste quelque chose ». Les objets, peu importe leur nature, sont élevés au rang de reliques et derrière la beauté subjective des sentiments qu’ils diffusent, ils traduisent aussi l’horreur absolue, les arrestations, les rafles, les interrogatoires, les camps, les trains, la mort, la négation de l’autre et le vide.

Les objets sont aussi porteurs d’une souffrance qui relève de l’indicible. Une douleur qui ne peut se signifier que par un réajustement d’échelle et par un passage du singulier au collectif. Encore faut-il trouver le moyen, le juste langage pour que le processus s’enclenche. Ludovic Cantais a donc choisi d’accorder à certains témoins un temps et un espace, un film, pour que se révèle la vérité d’un temps inhabitable puisqu’amputé du passé.

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Le dispositif élaboré par Ludovic Cantais est sobre. Il n’a pour ambition que de laisser les mots agir. La caméra est placée à distance respectable, à hauteur d’hommes et de femmes. La caméra enregistre du temps et des mots avec pour fonction de permettre à un passé singulier de se réincarner dans l’espace collectif. La caméra de Ludovic Cantais filme les récits mais aussi l’écoute du tiers qui recueille les mots et les documents comme pour contrecarrer une nouvelle disparition. Le spectateur devient d’ailleurs, lui aussi, par la forme même du film, un récepteur.

Les témoignages se suivent et malgré quelques différences liées aux destinées de chacun, ces histoires individuelles se rejoignent autour de questions transversales pour échapper au domaine privatif et basculer dans le champ collectif. J’aimerais qu’il reste quelque chose rend ces histoires individuelles ou collectives concrètes comme pour les arracher à l’oubli. Le film donne aux récits des témoins la possibilité d'exister ailleurs que dans la sphère familiale. Le film inscrit ces histoires dans une pensée universelle par l'implication du tiers, le spectateur de cinéma, dans le processus d'élaboration de la mémoire collective.

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L’enjeu principal du film consiste donc à matérialiser l’expression de la mémoire pour que le phénomène opère. De ce fait, le film retranscrit aussi le fonctionnement ou le dysfonctionnement de la mémoire et la perception de celle-ci. Alors que la parole s’expose, des coupes surgissent. Le montage intervient et interpelle le spectateur qui sort de la dynamique initiée par le flux des propos. Comme un battement de paupières, des interruptions très brèves nous rappellent que nous sommes devant un film. Alors se posent des questions autour de ces ponctuations. Que traduisent-elles ? De la pudeur qui invite à ne pas reproduire certains passages des témoignages ? Le choix de ne pas tout conserver ou l’impossibilité de tout conserver ? La difficulté de se souvenir ? Ces instants de montage nous invitent aussi, par le rappel de la technicité présente, à réfléchir. Car ce qui nous est transmis est essentiel. Le spectateur devient, par l’intermédiaire du film, le garant d’une mémoire et des réflexions qu’elle produit.

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Le matériau filmique est le réceptacle d’une résurrection des origines perdues et d’une expérience du transfert. C’est par le regard et la parole que le film permet aux spectateurs de sortir de la stupéfaction et d’accéder à la réflexion. À force de mots, s’établit un état des lieux où la mémoire de l’autre, après le recyclage des échanges avec les bénévoles, se répand dans le domaine public. Le film entraîne le spectateur, de manière interactive, dans la construction d’un sens commun (les descendants des déportés mais également à l’humanité tout entière) permettant d’hériter d’une mémoire certes fragile mais toujours vivante. Le film répond ainsi à son intitulé. Ludovic Cantais nous a laissé quelque chose, un film important qu’il faut montrer encore et encore.

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Crédit photographique : © La Luna productions / Maje productions

 

Suppléments :
Les preuves du temps (31min) : suite de 3 entretiens inédits réalisés au Mémorial de la Shoah pendant le tournage du documentaire
Bande-annonce

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