Splitscreen-review Image de Un pays qui se tient sage de David Dufresne

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Un pays qui se tient sage - Jour2Fête

Publié par - 5 mars 2021

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Un pays qui se tient sage, titre évocateur pour un film qui vient à point nommé au moment où il est bon de se rappeler l’importance du cinéma (le terme englobe ici la production et de la diffusion d’images mais aussi l’espace qui permet la présentation de ces images). David Dufresne, écrivain (On ne vit qu’une heure, Une virée avec Jacques Brel, Dernière sommation), journaliste et cinéaste (Prison Valley, Fort McMoney), dès les années 1990 s’est interrogé sur tous les phénomènes qui touchent aux fondements de nos sociétés contemporaines et plus particulièrement à ce qui relève de nos libertés et au rôle de la police dans nos démocraties. Il était presque évident, donc, que David Dufresne se pencherait (il l’a fait de plusieurs façons d’ailleurs) sur l’une des crises les plus représentatives de l’état de notre République, celle dite des « Gilets Jaunes ».

Après avoir recensé et rendu publics sur son compte tweeter des témoignages de manifestants qui faisaient cas de la nature des activités policières pendant les manifestations (Allo Place Beauvau), David Dufresne est venu, en toute logique, à la réalisation d’un documentaire des plus passionnants, Un pays qui se tient sage. Dans son agencement, le film a été envisagé comme le support le plus adapté à l’instauration d’un débat qui, hélas, n’a existé nulle part dans les médias pendant la crise. Dans son contenu, le film installe une mécanique de la parole qui tranche avec le traitement réservé à l’expression orale à la télévision. Le verbe est au centre de la mise en scène et conditionne la forme du film qui se transforme petit à petit en espace de dialogue, de conversations, de constats, d’explications, de polémiques mais aussi et peut-être surtout en lieu d’observation d’images.

Splitscreen-review Image de Un pays qui se tient sage de David Dufresne

 

Le point de départ est intriguant et invite à la réflexion. Un pays qui se tient sage s’ouvre sur la lecture d’une phrase de Max Weber : « l’État revendique le monopole de la violence physique légitime ». D’emblée le dispositif filmique est clair, des duos d’intervenants, dont les qualités ne sont pas précisées pour n’examiner que la dimension citoyenne de leurs témoignages, se rencontrent devant des images qui sont projetées sur un écran. Ils lisent la phrase de Max Weber et dissertent sur les termes de la phrase tout en observant des scènes filmées. Chaque mot de la phrase de Weber fait débat au regard des images visionnées et tournées par des anonymes ou des journalistes. Comment le citoyen perçoit-il la notion d’État ? Qu’est-ce que l’État ? Qu’est-ce qu’une violence légitime ? À partir de quand décide-t-on qu’une institution est susceptible légitimement de faire usage de la violence ?

Nous comprenons tout de suite, nous, spectateurs et citoyens, que le film est habité de réflexions que les médias majoritaires (au moins dans les audiences qui les concernent) ne posent plus depuis longtemps. Ouvrons une parenthèse très courte : que savons-nous des motifs qui animent les manifestations dont les médias (principalement la TV mais aussi quelques radios) se font l’écho ? Que savons-nous des revendications des personnes qui manifestent ? C’est justement sur ce terrain de la légitimité de la parole et de la diffusion de l’information que le film de David Dufresne prend tout son sens.

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Pour reprendre un terme cinématographique, Un pays qui se tient sage est un contre-champ. Le film amorce une dialectique qui invite dans le débat un regard nouveau et nous propose une relecture du paradigme développé par les chaînes de télévision. Ne serait-ce que parce que les images ne sont pas accompagnées de commentaires d’invités choisis par les rédactions TV. Et c’est beaucoup. Et puis ajoutons que l’une des qualités d’Un pays qui se tient sage, et non des moindres, se matérialise dans la possibilité de redonner aux images la force qui en émane. Ces images tournées par des journalistes ou des manifestants et projetées sur un écran de cinéma ne sont désormais plus réduites à une taille qui en minimise la puissance. L’écran de cinéma rétablit leur nature, leur portée et permet leur extraction à la superficialité du flux d’images qui nous submerge.

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Les images montrées ainsi révèlent alors des actes, des attitudes ou des propos que le traitement télévisuel maintenait sous silence. Les images se redécouvrent. Pourtant maintes fois vues, les images s’exposent différemment, elles laissent apparaître une réalité que nous n’avions pas forcément décelée. Un policier sort son arme de service et la pointe sur les manifestants. Un choc. D’autant que cette image a fait le tour des diffusions TV. Mais cela n’avait pas été vu de cette manière, pas avec la froideur et la crudité du geste livré à sa seule manifestation, pas sans un commentaire qui recouvre les images et, finalement, dissimule la nature profonde de la situation. Pas dans un lieu où la révélation du voir et de son mystère est au centre des préoccupations. Pas au cinéma tout simplement. Par omission ?  Par compromission ? Par convention ou par coopération ? À nous de voir.

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Un pays qui se tient sage est un acte citoyen. Un acte habité de la volonté de réinstaurer de la pensée autour d’une situation toujours irrésolue. Un pays qui se tient sage a pour ambition, à partir des actes perpétrés et filmés lors de ces manifestations, de ramener le débat à l’essentiel, à savoir le rapport qui existe entre le citoyen et l’État. Dans son opposition au modèle télévisuel, Un pays qui se tient sage aurait pu s’inscrire dans une logique réflexive proche de principes énoncés par les théoriciens de la Nouvelle Vague mais il nous semble flirter avec une autre idée, celle émise dans les schémas de l’écriture pathétique définie par Eisentein. Car, à n’en pas douter, le travail de David Dufresne convie le spectateur à réfléchir, à participer et à se positionner dans le débat autour des questions évoquées plus haut qui se doit d’être posé, nourri, entretenu et enfin examiné.

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Crédit images : © 2020, le bureau, jour2fête

 

Suppléments :
- Scènes complémentaires (60 min)
- Conversation David Dufresne, Philippe Mangeot (16 min)
- Avant-première au cinéma les 7 parnassiens à Paris (13 min)
- Bande-annonce et teasers.
- LIVRET de 44 pages : Sur les routes d'un pays (qui se tient sage), carnet de bord d'avant-premières et de rencontres en temps de corona par David Dufresne

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