Splitscreen-review Image de Répulsion de Roman Polanski

Accueil > Cinéma > Trois films de Polanski Chez Carlotta Films

Trois films de Polanski Chez Carlotta Films

Publié par - 24 mai 2021

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Après avoir diffusé en salles les trois longs-métrages de Roman Polanski, Le couteau dans l’eau, Répulsion et Cul-de-sac, Carlotta Films décide en ce printemps 2021 d’éditer les trois œuvres en DVD et Blu-ray dans de très belles copies accompagnées de suppléments réjouissants (courts-métrages et documents divers). Plutôt que de nous livrer à un énième commentaire des trois films, nous avons préféré les relire à la lumière des œuvres ultérieures. Nous avons donc choisi de voir comment ces films s’intègrent à une œuvre globale et nous avons tenté de distinguer ce qu’ils contiennent déjà comme obsessions ou comme problématiques qui feront le succès cinéphilique et critique de l’auteur.

Splitscreen-review Jaquette de Le couteau dans l'eau de Roman Polanski

Notons d’abord que les trois œuvres affirment avec une certaine confiance que l’univers filmique du cinéaste s’accommode de tous les sujets, de tous les contextes et même de tous les genres cinématographiques. Avec la force de leurs propos respectifs, les trois œuvres témoignent toutes à leur manière de la volonté de rendre perméables les frontières entre les espaces physiques et les espaces psychiques. Nous pouvons même avancer que quels que soient les lieux filmés dans les trois œuvres (étendue aquatique, un appartement, un château), les espaces sont progressivement contaminés par l’intériorité des personnages.

Splitscreen-review Image de Le couteau dans l'eau de Roman Polanski
Le couteau dans l'eau (1962)

Dans les films de Polanski, comme dans ceux de Lynch même si cela se manifeste différemment, il existe toujours un sas qui permet de relier l’intériorité des personnages et le monde extérieur jusqu’à confondre ces deux univers. Lorsque le contact s’établit entre ces deux milieux, les réalités du monde sont systématiquement contaminées de manière exponentielle par la subjectivité psychologique des protagonistes. Les univers se déforment pour épouser de nouveaux contours. Ils délaissent leur condition objective pour devenir un reflet et une matérialisation de maux qui, lorsqu’ils se révèlent, inversent le caractère des choses et leur confèrent une identité nouvelle.

Pour Polanski, les réalités temporelles ou géographiques abritent toujours la possibilité d’un départ vers l’exploration d’âmes torturées en proie aux divagations les plus surprenantes. Les territoires arpentés dans ces trois films par Polanski, et qui deviendront la matière première de l’œuvre ultérieure, sont des décors où chaque élément présent impose à sa propre figuration une logique qui contredit son apparence ordinaire. Polanski s’affirme donc déjà comme un cinéaste de la pensée. L’auteur présente, dès ces trois films, l’étonnante aptitude à formuler de manière concrète des données abstraites prélevées dans l’âme tourmentée de ses personnages.

Splitscreen-review Image de Répulsion de Roman Polanski
Répulsion (1965)

L’espace filmique chez Polanski est toujours le théâtre d’une métamorphose qui voit l’immatérialité inhérente aux sentiments, à l’intellect ou au ressenti prendre le pas sur les domaines tangibles. Mais l’œuvre de Polanski ne se satisfait pas de la seule évocation de la présence de l’étrange inquiétude qui gouverne à la destiné des personnages et qui envahit leur quotidien. Le cinéma de Polanski va au-delà de la peinture des différences entre le réel et la nature onirique de la psyché. Ses premières œuvres s’articulent autour de l’idée de mettre en évidence ce qui distingue ces états et, plus encore, de filmer comment s’estompe, avant de disparaître définitivement, la frontière entre ces univers.

Splitscreen-review Image de Le couteau dans l'eau de Roman Polanski
Le couteau dans l'eau (1962)

Se pose alors la question de la représentation des choses. Car les enjeux sont de taille. Polanski, jeune cinéaste déjà rompu à la réalisation de films courts, sait que le cinéma nécessite, pour déployer tous ses atours, une interaction avec le spectateur. Partons du principe de transformation des réalités énoncé plus haut. Il n’est jamais question chez le cinéaste de s’attarder dans une réalité qu’il sait reproduire à l’identique au début de ses films mais, à partir de cela, de produire une nouvelle réalité modifiée par les actes et le ressenti des personnages. Les films de Polanski transforment artificiellement les apparences objectives et, en même temps, réfléchissent sur le sens de cette transformation. Pour parvenir à cette auscultation de la forme et du langage, la mise en place filmique requiert une précision sans faille conditionnée par le phénomène d’identification qui commence par une rigoureuse typologie des personnages. Des acteurs incarnent des individus qui sont à l’évidence un écho plus ou moins lointain du monde connu par les spectateurs. Les protagonistes principaux des trois films observés ici sont un couple de bourgeois et un jeune étudiant dans Le couteau dans l’eau, une jeune manucure belge, sa sœur, son amant et des rencontres plus ou moins fortuites dans Répulsion et enfin deux malfrats et un couple de châtelains dans Cul-de-sac. Si les personnages sont des figures reconnaissables appartenant aux différentes strates qui constituent une société, il est à noter que, dans les trois films, les protagonistes se situent à l’opposé les uns des autres du spectre social qui les rassemble. Polanski est le peintre d’un monde qui demande à se redéfinir après la collision des contraires.

Splitscreen-review Image de Cul-de-sac de Roman Polanski
Cul-de-sac (1966)

Le cinéaste procède donc au rapprochement de deux éléments ou concepts parfaitement distincts l’un de l’autre sur un plan, la matière filmique, qui leur est totalement étranger. Cela crée des télescopages ou des juxtapositions formelles qui provoquent des interrogations qui finalement contredisent toute lecture rationnelle. Par ailleurs, la confrontation à l’autre n’est pas anodine. La présence soudaine de l’étranger, de l’autre stimule l’émergence de l’étrange. Ainsi le quotidien de tous se voit pénétré d’une nouvelle dynamique qui influe sur les habitudes de chacun et conduit, le plus souvent par peur, les personnages à se replier, à se refermer. Mais l’enfermement n’est qu’une protection illusoire, on ne peut se protéger de soi.

L’autre est la présence manifeste d’une différence, d’une incertitude qui active la pensée et qui déclenche des mécanismes incontrôlables. L’intrusion de l’étranger dans l’ordinaire ouvre une brèche. Le phénomène agit comme une incision qui libère ce que l’esprit tente de réprimer. L’autre fait donc l’objet d’une projection identitaire qui autorise la fuite des maux qui parasitent inconsciemment l’existence des personnages. L’autre est le reflet d’un imaginaire dérangé et la figuration projective d’un doute qui incite aussi le spectateur à spéculer, à partir de ses connaissances et de son vécu, sur la nature des sentiments éprouvés par les protagonistes. Polanski s’applique à souligner les points de discordance qui existent entre ses personnages pour inviter le spectateur à méditer sur ce qui désharmonise le monde qu’il représente pour ouvrir sur d’autres interrogations. Nous sommes là en présence d’un univers à partir duquel le spectateur part en quête de lui-même. Et c’est par l’adjonction d’éléments en apparence incompatibles qu’un sens nouveau, plus abstrait, apparaît.

Splitscreen-review Image de Répulsion de Roman Polanski
Répulsion (1965)

Dès Le couteau dans l’eau, et ce sera sans doute encore plus exploité dans Répulsion et Cul-de-sac, Polanski adopte certains principes intentionnels qui rendent son travail remarquable. Les films du cinéaste questionnent le rôle du cinéma qui n’est pas considéré par l’auteur, au même titre que le théâtre d’ailleurs, comme un reflet passif du réel. Polanski prête au cinéma le pouvoir et la fonction de changer les apparences.

Le cinéaste organise des espace scéniques (un bateau, un appartement, un château) qui théâtralisent et accueillent des situations improbables qui nourrissent, pour le public, l’émergence de l’équivoque dans le film. Le spectateur est ainsi, qu’il le veuille ou non, invité à décoder les structures narratives (visuelles ou dramaturgiques) qui lui sont proposées.

Splitscreen-review Image de Le couteau dans l'eau de Roman Polanski
Le couteau dans l'eau (1962)

Les ressemblances ou les dissemblances perçues à partir de sa propre expérience suscitent une réflexion dont le cheminement s’indexe sur la révélation des troubles qui hantent les personnages. D’une certaine manière, les films de Polanski participent d’une volonté représentative de la vie secrète des choses. Nous pouvons voir ici une filiation plus ou moins directe avec le Surréalisme puisque le film, comme objet artistique, sert à exposer ce qu’il advient d’un sujet lorsqu’il perd son sens commun. Filmer, pour Polanski, c’est substituer au vécu et au réel un univers artificiel et abstrait où s’invente et se matérialise un monde qui permet l’éclosion de ce que nous pensions irreprésentable. Cette singulière approche de l’image filmique est l’assurance d’une déduction imparable : ce qui échappe au visible, au tangible renseigne avec précision sur ce qui détermine la nature des êtres et des choses.

Comme le prouvent déjà Le couteau dans l’eau, Répulsion et Cul-de-sac, un film de Polanski est toujours la manifestation de l’écart qui sépare la mise en images d’une situation plausible et de l’idée que le cinéaste s’en fait. L’objet du cinéaste, perceptible donc dès Le couteau dans l’eau, Répulsion et Cul-de-sac, est de s’ingénier à retranscrire par l’image la face cachée des êtres et des choses. Autrement dit, Polanski, dès ses débuts, envisageait le cinéma comme le moyen idéal pour traduire la réalité complexe du monde en étant infidèle à la logique apparente de ce dernier.

Splitscreen-review Image de Cul-de-sac de Roman Polanski
Cul-de-sac (1966)

Crédit photographique : Copyright Carlotta Films

Splitscreen-review Image de Cul-de-sac de Roman Polanski

Suppléments :
Le couteau dans l'eau
. UN TICKET POUR L’OUEST (31 mn), Retour sur la brève carrière polonaise de Roman Polanski
. 3 COURTS-MÉTRAGES RÉALISÉS PAR ROMAN POLANSKI
"RIRE DE TOUTES SES DENTS" (Uśmiech Zębiczny – 1957 – N&B – 2 mn – Muet)
"CASSONS LE BAL" (Rozbijemy Zabawę… – 1957 – N&B – 8 mn)
"DEUX HOMMES ET UNE ARMOIRE" (Dwaj Ludzie z Szafą – 1958 – N&B – 15 mn)

Répulsion
. COMMENTAIRE AUDIO DE ROMAN POLANSKI ET CATHERINE DENEUVE (VOSTF)
. GRAND ÉCRAN : ROMAN POLANSKI (21 mn), Réalisation : Charles Chaboud – © 1964 INA
. UN FILM D’HORREUR BRITANNIQUE (24 mn)
. ENTRETIEN AUDIO AVEC LE PROFESSEUR RICHARD L. GREGORY (11 mn)
. BANDES-ANNONCES ORIGINALES

. 2 COURTS-MÉTRAGES RÉALISÉS PAR ROMAN POLANSKI
"MEURTRE" (Morderstwo – 1957 – N&B – 1 mn – Muet)
"LA LAMPE" (Lampa – 1958 – N&B – 8 mn)

Cul-de-sac
. DEUX GANGSTERS ET UNE ÎLE (23 mn), documentaire sur le film
. BANDE-ANNONCE ORIGINALE

. 3 COURTS-MÉTRAGES RÉALISÉS PAR ROMAN POLANSKI
"QUAND LES ANGES TOMBENT" (Gdy spadają anioły – 1959 – N&B et Couleurs – 22 mn)
"LE GROS ET LE MAIGRE" (1961 – N&B – 15 mn)
"LES MAMMIFÈRES" (Ssaki – 1962 – N&B – 11 mn)

Partager