Splitscreen-review Image de Cure de Kiyoshi Kurosawa

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Cure

Publié par - 25 août 2021

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Cure est le film avec lequel l’Occident a découvert, à la fin des années 1990, le cinéma de Kiyoshi Kurosawa. Très vite, le cinéaste est encensé par la critique. La cinéphilie, déjà séduite par Kitano et avide de découvrir cette nouvelle génération de cinéastes japonais, guette la moindre création de Kiyoshi Kurosawa pour valider définitivement le crédit accordé au cinéaste. Suivront Charisma (1999) et Kaïro (2001) qui finiront d’établir la réputation du metteur en scène et qui suffiront à entretenir une attente quant aux réalisations de l’auteur. Le succès ne s’est jamais démenti et des films comme Tokyo sonata (2008), Real (2013), Vers l’autre rive (2015), Les amants sacrifiés (2020) ou l’excellente série Shokuzai (2012) ont permis au cinéaste de bénéficier d’une estime qui fait de chacun de ses films un événement plus ou moins suivi.

Cure, présenté ici dans une excellente copie restaurée, est un film passionnant. L’œuvre flirte avec différents genres cinématographiques (sans en épouser aucun pleinement) qui n’appartiennent pas uniquement à la culture japonaise. Cure se présente comme un film policier qui bascule vers le thriller par l’intermédiaire de la figure du serial killer. Mais Cure est aussi, à sa façon, un film d’horreur, un film de fantômes, etc.

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C’est d’ailleurs sur ces derniers aspects que Cure intrigue car il s’agit d’un film qui ne se plie pas aux règles dictées par les genres évoqués. Cure est, au contraire, un film qui questionne les limites fixées par les codes cinématographiques. Le film transcende en effet les limites des genres pour formuler une réflexion qui se nourrit de la culture populaire avant de s’étendre à quelques territoires philosophiques.

À ce propos, il est étonnant, pour qui découvre le film aujourd’hui, de constater que Cure délaisse très vite le film policier pour se nourrir d’ingrédients qui font basculer l’œuvre dans le film d’horreur japonais tout en restant traversée d’éléments esthétiques naturalistes. Kiyoshi Kurosawa compose cette forme mutante par petites touches. Cela commence par la redéfinition de la typologie du tueur (le cadre policier) composée aussi par des emprunts au fantastique (film de fantôme).

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Le sujet ainsi traité se voit investi d’une singularité troublante sans doute habitée par certains événements qui ont émaillé le quotidien des Japonais à la fin du XXème siècle. Cure, par adjonction d’éléments qui œuvrent à lui conférer un aspect hybride, est en réalité une véritable interrogation sur la pensée japonaise. Le questionnement prend déjà corps à travers le personnage du tueur, nous l’avons dit. Ce dernier n’intervient pas physiquement et directement sur le monde comme le font les criminels habituellement. Le meurtrier agit psychiquement sur les individus qu’il manipule. Le criminel reprend ainsi à son compte certaines spécificités propres aux fantômes tels que montrés par le cinéma japonais. Les esprits, dans le cinéma japonais, incarnent une idée, une pensée, une tradition, une philosophie. Le meurtrier est l’élément qui déclenche et permet la libération des pulsions (souvent destructrices et agressives) qui hantent chaque être humain.

En interpolant les genres, Kurosawa interroge la contemporanéité japonaise par l’intermédiaire d’images qui décrivent des situations réalistes. Au contact d’une logique qui maintient vivaces quelques traditions ancestrales, le cinéaste transpose ce qui relève du traditionnel dans le Japon des années 1990 secoué par des traumas de différentes natures. L’espace géographique qui accueille l’action est de ce point de vue tout à fait surprenant puisqu’il est dépossédé de toute singularité géographique, esthétique ou culturelle. Ce n’est donc pas un lieu en particulier qui est concerné par ce qui s’y déroule mais le Japon en général. L’uniformisation de l’espace dissout le propos dans la réalité des années 1990 pour en faire un sujet qui se répand à l’échelle du pays et de la pensée qui le traverse.

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Se mélangent ainsi quelques tendances réflexives qui permettent d’ausculter en profondeur la société japonaise. Le tueur est le fruit d’un mélange (l’artifice cinématographique et le réel) qui intègre une représentation traditionnelle du fantomal à une représentation moderne de la société japonaise. Pour y parvenir pleinement, le film assume être une étude sur la psyché japonaise. Aux éléments esthétiques et visuels décrits s’ajoute toute une dimension psychanalytique convoquée de plusieurs manières. Le tueur prend « possession » de ses victimes par l’intermédiaire de questions qu’il leur pose et des réponses qui lui sont fournies. Le tueur prétend, alors qu’ils sont encore conscients, délivrer les individus qu’il croise des maux qui les habitent.

Le cinéaste convoque alors dans son récit une figure historique célèbre qui complète le profil du tueur, Franz-Anton Mesmer. Ce dernier, selon certains historiens, serait le trait d’union entre la magie et la psychothérapie. Deux phénomènes par ailleurs qui sont à l’œuvre dans Cure : la magie (personnage définit par la typologie du fantomal) et la psychothérapie (exploitation des failles individuelles pour en faire ici des motifs criminels).

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Mesmer est aussi à l’origine d’une théorie qui préfigure la notion d’inconscient. Il défendait la thèse que tout être humain possède en lui un fluide animal qui, contrôlé par un magnétiseur, permettrait de guérir de tous les maux. Pour agir sur les patients, un moyen, l’hypnose. Une voie qui sera d’ailleurs empruntée plus tard par les pionniers de la psychanalyse (Charcot, Freud, etc.). Il revient alors, puisque le nom de Mesmer est cité plusieurs fois dans Cure, de s’interroger sur ce que l’application des principes formulés par le médecin allemand traduit de la société japonaise dans le film.

Car il est un élément que Mesmer évoquait (repris plus tard par les pères de la psychanalyse) et qui intervient dans la structure dramaturgique du film, c’est la notion de transfert. Pour Mesmer, guide spirituel du tueur dans Cure, le fluide animal peut être domestiqué et transféré à d’autres. Cure, guérir. Une guérison qui se traduit par des meurtres commis pour se libérer de ce qui ronge les êtres. Cure promet une réparation par éradication des maux incarnés par l’autre, celui qui nous ressemble, celui qui nous renvoie une image de nous-mêmes. La vision est sombre car s’il s’agit de guérir, il est avant tout question de détruire ce que le Japon est au travers des individus qui le façonnent. Amer constat que Kyoshi Kurosawa ne cesse de revisiter encore aujourd’hui.

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Crédit photographique : ©Daiei Co LTD. Tous droits réservés. /  ©Carlotta Films

SUPPLÉMENTS :

. LE JOUET DU DÉMON (22 mn – HD*)
. ENTRETIEN AVEC KIYOSHI KUROSAWA (15 mn)
. BANDE-ANNONCE ORIGINALE

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