Splitscreen-review Image de Betty de Claude Chabrol

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Betty

Publié par - 29 septembre 2021

Catégorie(s): Cinéma, Critiques, Sorties DVD/BR/Livres

Betty est, après Les fantômes du chapelier en 1982, la seconde incursion de Claude Chabrol dans l’univers de Georges Simenon. Claude Chabrol n’a jamais caché son goût pour les adaptations de textes et plus particulièrement pour l’œuvre de Simenon. Chabrol et Simenon s’étaient rencontrés à l’aube des années 1960 et avaient tous deux formulé le souhait de travailler (l’un à l’écriture et l’autre à l’adaptation de cette écriture) à produire une œuvre sans réel suspens, une œuvre qui ne créerait pas de véritable attente chez le lecteur ou le spectateur. Ils avaient émis la possibilité de produire une œuvre dont l’essence serait contenue dans le traitement des personnages.

Betty, réalisé en 1992, répond en tous points à ces intentions. Le film s’ouvre sur une séquence qui permet la superposition de certaines caractéristiques communes à l’écrivain et au cinéaste. Les images s’indexent et rejoignent les résolutions qui régissent la rédaction du texte. La séquence d’ouverture introduit le spectateur à un monde soumis aux états d’âme d’une femme, Betty (Marie Trintignant).

En ville, il pleut, l’espace est flou, il fait nuit. Une femme, Betty donc, dans une tenue qui détonne dans l’atmosphère que restitue l’image, un tailleur de marque, l’air hagard. Une énigme est là sous nos yeux. Mais le mystère, plutôt que de s’épaissir, s’estompe. Betty semble obnubilée par une seule et unique chose, boire. Bien sûr la question est de savoir pourquoi cette bourgeoise vide son verre de manière compulsive. La réponse à cette question ne tarde pas à poindre : Betty touche le fond. Sa vie est foutue en l’air. D’ailleurs, le fond du trou, après l’avoir atteint au figuré, Betty va cette fois s’y retrouver physiquement. Dans un bar, elle rencontre un homme qui se propose de lui faire découvrir un endroit où il fait bon dîner, d’après lui. Betty le suit. Le restaurant en question se nomme « Le Trou ».

Splitscreen-review Image de Betty de Claude Chabrol

À l’intérieur du restaurant, une faune étrange végète. Tout le monde se connaît et personne ne parvient visiblement à se soustraire à l’attraction de ce trou. Et ce n’est pas forcément parce que la nourriture est bonne. Au milieu du restaurant trône un aquarium qui est une parfaite figure analogique de la salle fréquentée par les habitués. On entre au Trou mais il est délicat d’en sortir. Ou alors, comme les poissons que l’on renouvelle régulièrement, c’est sans doute parce que l’on est mort. Alors il faut que les personnages se soumettent à une introspection ravageuse pour tenter de trouver la clé qui permet de sortir du Trou.

Betty rencontre deux personnages singuliers : Mario, le patron du Trou, et Laure, une provinciale venue passer quelques temps en région parisienne et désormais incapable de rentrer chez elle, à Lyon. Betty, ivre à en perdre conscience, est amenée à l’hôtel où séjourne Laure. On lui donne la chambre située à côté de celle de Laure. Là, un jeu de miroir s’instaure. L’une devient le reflet de l’autre. Laure est l’incarnation de ce que Betty cherche à fuir. D’abord parce qu’en raison de son âge et de son appartenance sociale, Laure semble être une variation typologique de la belle-mère de Betty. Et par la force des choses, Laure est aussi une projection de ce que Betty s’imagine devenir si elle regagnait le domicile conjugal.

Commence alors, entre les deux femmes, une partie d’échecs aux enjeux multiples : retrouver de la dignité, accepter sa propre personnalité, assumer son identité et pouvoir enfin influer sur son destin. Et cela se fait forcément au détriment de l’autre. Ciné-massacre. Le personnage de Mario cristallise toutes les problématiques. Car, accessoirement, Laure et Mario couchent ensemble, ce qui pourrait expliquer l’incapacité de Laure à quitter Versailles. Les chambres mitoyennes de Laure et de Betty, invraisemblablement perméables, ne dissimulent rien de l’intimité des deux femmes. Ainsi, Betty surprend Laure et Mario en plein ébat charnel. L’idée germe. D’autant que la scène sonne faux. À tel point qu’il est vivement conseillé de s’interroger sur la nature de l’acte amoureux : à quoi correspond cette spectacularisation des gestes sexuels ? À qui se destine le spectacle de ce qui se produit dans la scène ?

Betty, le film, devient retors ici. Car la théâtralité de l’acte sexuel s’entend (le son), se voit (le regard de Betty posé sur les deux amants) et s’interprète (la mise en scène de Chabrol). C’est bien évidemment ce dernier point qui nous intéresse. Déjà, la scène apparaît comme un écho de la scène d’adultère (artificielle au possible également) qui a vu Betty ramener chez elle un amant de fortune et tout faire pour être surprise en fâcheuse posture par son mari et sa belle-mère. Laure, comme Betty plus tôt dans le film, laisse les portes ouvertes. Ce que Betty voit, c’est une représentation de l’adultère qu’elle a provoqué en amont dans le film. Laure, en ce cas, est donc une figuration de Betty, une image projetée et mise en scène par Betty elle-même dans cet espace scénique totalement dévolu à la résolution des énigmes identitaires qu’affronte Betty.

L’évidence frappe Betty qui, désormais, sait. Tout comme Laure d’ailleurs puisque les deux femmes se reflètent en l’autre. Si Betty s’apaise, c’est parce qu’elle se découvre à travers Laure. Restera à déterminer quelle image de Betty survivra à l’expérimentation. Car Betty, comme tous les personnages de Chabrol, est un support réfléchissant qui nous donne à observer par le prisme du cinéma la condition humaine.

Splitscreen-review Image de Betty de Claude Chabrol

Crédit photographique : © 1992 MK2 PRODUCTIONS / CED PRODUCTIONS / FR3 FILMS PRODUCTION. Tous droits réservés.

LES SUPPLÉMENTS
. PRÉSENTATION DU FILM PAR JOËL MAGNY (3 mn)
. COMMENTAIRES DE CLAUDE CHABROL (31 mn)
. BANDE-ANNONCE ORIGINALE

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