Splitscreen-review Image de Delphine et Carole, insoumuses de Callisto Mc Nulty

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Delphine et Carole, insoumuses

Publié par - 7 octobre 2021

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Delphine et Carole, insoumuses, l’épatant film de Callisto Mc Nulty est un document précieux. D’abord il convient de préciser que la Delphine et la Carole du titre ne sont autres que Delphine Seyrig (actrice chez Resnais, Bunuel, Losey, Duras ou encore Ackerman pour ne citer que quelques cinéastes qui ont travaillé avec elle) et Carole Roussopoulos, la réalisatrice de documentaires tout aussi précieux que celui qui nous préoccupe aujourd’hui (Les prostituées de Lyon parlent, S.C.U.M. Manifesto ou encore l’incontournable et épatant Maso et Miso vont en bateau).

Le terme « insoumuses », lui, intrigue. Il s’agit d’un collectif né d’une rencontre entre Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder lors d’un atelier vidéo. Très vite, les trois femmes s’entendent, les luttes féministes (mais pas que) les animent. Le documentaire de Callisto Mc Nulty restaure à l’aide d’extraits ce qui faisait la force des trois femmes : la réactivité, la spontanéité, l’intelligence… Liste de qualités non exhaustive, cela va de soi. Les films produits à l’époque par les Insoumuses (les productions commencent assez rapidement après leur rencontre en 1974) bénéficient d’une émergence technique comparable à ce qui permis l’éclosion de la Nouvelle Vague  à la fin des années 1950. La vidéo démocratise alors, par son prix et sa mise en pratique, la fabrication d’images. Le matériel, accessible financièrement, autorise Delphine Seyrig, Carole Roussopoulos et Ioana Wieder à s’émanciper des modèles traditionnels de production. Elles vont pouvoir filmer et dire ce qu’elles veulent. Et elles ne vont pas se priver.

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Leurs films s’imposent et témoignent. Ce n’est pas parce qu’on ne les écoute pas qu’elles ne vont pas essayer de se faire entendre. On ne leur donne pas la parole, elles s’en emparent. Delphine Seyrig se sert alors de son nom (celui-ci lui coûtera cher professionnellement) pour qu’une parole se libère et touche l’opinion publique. Les femmes peuvent enfin s’exprimer comme bon leur semble et sur ce qui les préoccupe. La légèreté du matériel technique et la rapidité d’accès à la matière filmée leur permettent d’être en prise directe avec les réalités de leur temps et de leur condition. Elles osent tout, elles ne respectent rien. Leur travail est une ode à la liberté. Ce qui n’existait jusque là pas parce qu’on ne le montrait pas ou parce qu’on ne voulait pas le voir devenait soudainement une évidence.

Les réalités ne sont pas les mêmes que l’on soit un homme ou que l’on soit une femme. En cela, les films des Insoumuses et celui de Callisto Mc Nulty sont raccords. Le monde s’expose sous un angle différent de celui auquel nous avons l’habitude. Un angle, et de se demander pourquoi cet angle ne nous est que trop rarement proposé, qui conditionne le regard du spectateur différemment. Précieux disions-nous. Car c’est là l’objet de découvertes inévitables. Voir différemment, c’est voir autre chose et c’est, sans aucun doute, mieux comprendre. Cela peut être aussi synonyme d’étonnement. Invitée par Michel Drucker sur un plateau de TV, Delphine Seyrig est questionnée à propos d’une phrase qu’elle a prononcée dans un entretien paru dans France Soir. Dans l’interview Delphine Seyrig disait que le cinéma français, en raison du penchant féministe de l’actrice, avait peur d’elle. Delphine Seyrig répond : « En général, on a peur des femmes qui… », elle cherche le mot juste, interruption de Drucker : « qui pensent ». Delphine Seyrig répond avec un naturel confondant, comme si elle était préparée à ce type de propos : « Toutes les femmes pensent mais seulement il y en a peu qui ont l’occasion de dire ce qu’elles pensent et c’est cela qui fait peur : entendre ce qu’on n'a pas l’habitude d’entendre ». Limpide.

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Delphine et Carole, insoumuses est aussi très drôle. Enfin c’est plus complexe. L’humour tend vers la critique. L’humour dont témoignent les films de Carole et de Delphine surligne tout ce qui est discriminatoire quant aux femmes. L’humour est ici souvent satire, parfois pamphlétaire, toujours juste et d'autant plus efficace. Le film de Callisto Mc Nulty est au diapason de ceux des Insoumuses. Les documents, des extraits d’émission, de films, d’entretiens et les photos sont toujours agencés selon un rythme qui s’empresse de se calquer sur celui des Insoumuses. Le propos de Callisto Mc Nulty ne se réduit pas à suivre une chronologie (de la rencontre initiale lors de l’atelier vidéo aux luttes féministes), il s’affirme dans l’exploration des mêmes thématiques.

Rien n’est édulcoré. Les divergences de points de vue qui apparaissent entre Delphine et Carole lors du tournage de Sois belle et tais-toi ! (film de Delphine Seyrig réalisé en 1975 / 1976 et composé d’entretiens de comédiennes américaines et françaises qui évoquent leur relation avec l’ensemble des professions qui gravitent autour du cinéma) sont toujours constructives et motivées par l’idée de trouver la bonne manière de dire les choses et de filmer la parole. Précieux, disions-nous.

Derrière le côté iconoclaste de Carole et de Delphine se dissimule une idée transversale qu’il est impossible d’occulter à la vision du film de Callisto Mc Nulty. Les discours n’ont que trop peu changé. Les films des Insoumuses ont quarante ans et les femmes commencent seulement, aujourd’hui, à dire ce qu’elles pensent. Saurons-nous les entendre et aussi les écouter ? Il serait temps.

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Crédit photographique : Copyright Alba Films

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