Nous aurions tort de considérer que le coffret Musashi édité par Carlotta Films ne s’adresse qu’à un public de cinéphiles férus de films de genre. Certes, devant la qualité éditoriale du coffret (copies splendides des trois films et compléments pertinents et complémentaires), les amateurs de Jidaï-geki (pièces de théâtre et films historiques japonais dont l’action se situe avant l’ère Meiji qui débute en 1868) et plus particulièrement de Chanbara (films de sabre) seront ravis mais le coffret Musashi a de quoi séduire aussi un public curieux et avide de découverte.
D’abord parce que le personnage central du coffret, Musashi Miyamoto, est une légende au Japon. Outre en littérature et au théâtre, Musashi, peintre, philosophe et bretteur sans concurrence fit l’objet de multiples adaptations cinématographiques. Musashi a aussi influencé certaines caractérisations de personnages singuliers dans quelques films célèbres comme Les 7 samouraïs d’Akira Kurosawa.
Cette trilogie composée de La légende de Musashi (1954), de Duel à Ichijoji (1955) et de La voie de la lumière (1955), réalisée par Inagaki Hiroshi, présente la particularité d’avoir déjà été adaptée au cinéma par le même cinéaste dans les années 1940. Ce qui change avec cette trilogie des années 1950, ce sont les moyens mis en œuvre pour faire de ce projet une des productions les plus ambitieuses du studio Tōhō à cette époque (on notera que le premier volet de cette trilogie voit le jour la même année que Les 7 samouraïs d’Akira Kurosawa). Tout a été réuni pour réaliser le grand œuvre attendu par les Japonais sur Musashi Miyamoto : budget, équipe et moyens techniques, équipe artistique composée de quelques stars de la scène japonaise (Toshiro Mifune, Rentaro Mikuni, Mariko Okada, Kaoru Yashigusa, Koji Tsuruta et quelques apparitions en guest de noms prestigieux comme Takashi Shimura ou Minoru Chiaki…).
Le personnage de Musashi Miyamoto s’est implanté durablement dans l’imaginaire japonais au milieu des années 1930 par l’intermédiaire des romans de Yoshikawa Eiji (La pierre et le sabre, La parfaite lumière) parus initialement sous forme de feuilletons dans l’Asahi Shimbun entre 1935 et 1939 avant d’être édités sous forme de livres ultérieurement.
Musashi Miyamoto, tel que modélisé et interprété par Toshiro Mifune dans les trois films, est fidèle à la caractérisation effectuée par Yoshikawa dans ses écrits. Le samouraï est guidé par sa seule volonté d’affirmer sa personnalité et d’affiner son identité par l’utilisation qu’il fait de son sabre. Ainsi, le récit, qu’il faut envisager sur la globalité des trois films, est ponctué de combats qui nous disent l’évolution du personnage (ce qui se vérifie aussi dans la forme : le dernier plan du premier volet de la trilogie se termine sur un plan de Musashi Miyamoto qui avance dans le paysage tandis que le deuxième volet s’ouvre sur un plan identique). Par l’usage des armes, le spectateur est renseigné sur la nature des acquis de Musashi (philosophiques, théologiques, moraux, émotionnels, etc.).
Inagaki Hiroshi se risque cependant à quelques modifications thématiques ou narratives pour universaliser son propos mais aussi et surtout le personnage de Musashi. Nous avons dit tout le bien que nous pensons du travail sur l’image des films du coffret. La restauration rend justice à un usage particulier de la couleur et n’est pas sans évoquer une esthétique proche d’une considération picturale de l’image filmique sans pour autant occulter les préoccupations techniques habituelles propres à l’image cinématographique. Les variations et les évolutions connues de l’estampe et de ses transformations thématiques au fil du temps ne sont jamais très loin.
Mais c’est surtout dans le traitement du personnage de Musashi que des éléments inédits apparaissent. Il est d’ailleurs assez curieux de noter que pareille interprétation des vertus du samouraï opère également la même année dans Les 7 samouraïs d’Akira Kurosawa, film produit également, nous l’avons dit, par la Tōhō avec Toshiro Mifune à l’affiche. Nul doute que l’apport de l’acteur est à prendre en considération puisque rarement, à cette époque, comédien japonais faisait autant usage de son physique que Mifune. Son jeu tranche par la modernité qu’il emprunte à des modèles occidentaux et sa façon d’habiter l’espace autorise l’intégration de données contemporaines à des sujets historiques. Ainsi, le maniement du sabre, véritable prolongement corporel du guerrier, excroissance physique de ses membres, se nourrit d’autres qualités que les seuls principes de Bushidō. Le geste restitue les tourments, les réflexions et les doutes de Musashi.
Et la rupture avec la représentation filmique traditionnelle du samouraï est conséquente. Généralement, inspiré par la caractérisation du personnage principal établie dans le théâtre Kabuki, une forme épique, spectaculaire et populaire du théâtre classique qui mélange aussi bien des pièces historiques appartenant au répertoire du théâtre Nô que des sujets plus contemporains. Dans le Kabuki, le héros, guerrier à la détermination exemplaire, reste toujours insensible aux passions amoureuses pour ne jamais se détourner de sa mission. La présence du féminin dans la trajectoire des personnages relève de l’anecdotique et apparaît comme une épreuve supplémentaire à surmonter.
Paradoxalement, la trilogie d’Inagaki se déploie autour d’une figuration du guerrier proche de l’Occident. Le héros, Musashi, se doit de composer avec les affects qu’il modère et contrôle avec difficulté (amitié avec Matahashi, son amour pour Otsu et sa quête martiale) et retrouve ainsi l’esprit originel du Kabuki, forme théâtrale initiée par la prêtresse Okuni au tout début du XVII ème siècle qui soulignait ou manifestait l’importance du féminin dans la société japonaise.
Si Musashi est principalement concerné par le maniement de son sabre, il ne fait aucun doute que l’acquisition de sa dextérité dans l’usage des armes est aussi conditionnée par le rapport qui s’instaure avec les femmes qui croisent son chemin (principalement Otsu, la femme aimée et Akemi, la femme éconduite et malgré tout transie d’amour pour Musashi). La finalité de ce développement autour du rapport entre le samouraï et les femmes ne déroge cependant pas à la règle du Chanbara, il le complète et l’enrichit : l’usage d’une arme traduit toujours l’évolution positive de la personnalité profonde du samouraï. L’alliance parfaite du traditionnel et du moderne.
Crédit photographique : Copyright Carlotta Films
SUPPLÉMENTS Blu-Ray 2 :
. LA TRILOGIE MUSASHI OU L’ÂGE D’OR DU CINÉMA JAPONAIS (22 mn – HD*)
. INAGAKI PAR INAGAKI (28 mn)
. LA CONSTRUCTION D’UN MYTHE (24 mn – HD*)
. BANDE-ANNONCE ORIGINALE . BANDE-ANNONCE 2021 (HD*)
* en HD sur la version Blu-ray Disc™
Les suppléments sont inclus dans les éditions Blu-ray Disc™ et DVD