Splitscreen-review Image de Indes Galantes de Philippe Béziat

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Indes Galantes

Publié par - 25 octobre 2021

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Indes Galantes, le film de Philippe Béziat, prolonge à sa manière le choc culturel et générationnel initié par l’adaptation de Clément Cogitore à l’Opéra Bastille de l’œuvre du même nom de Jean-Philippe Rameau. Il n’y a pas de hasard à ce que Philippe Béziat rencontre le travail de Clément Cogitore, au moins sur cette œuvre-là. Le travail documentaire de Philippe Béziat (essentiellement orienté vers la musique) a toujours consisté à établir des liens de causalité entre des œuvres du répertoire et les artistes contemporains qui les interprètent. Et ce point fut précisément l’une des motivations intentionnelles de Clément Cogitore lors de son travail sur Les Indes Galantes de Rameau.

Le film de Béziat qui nous préoccupe ici est une sorte de révélateur qui agit sur la mise en place de correspondances entre la scène et les coulisses, entre l’Opéra Bastille et la cité, entre une forme musicale, aujourd’hui classique, et une interprétation physique de cette musique au sens littéral comme au sens figuré. Le film rejoint le spectacle de Clément Cogitore lorsqu’il s’agit de questionner l’art, sa nature, son rôle social et culturel à partir d’une réalité qui ne peut échapper à sa logique contemporaine.

La volonté de Clément Cogitore, il s’en est largement expliqué, consistait à inverser le fonctionnement normé du spectacle vivant, l’opéra ici. Généralement, le spectacle va à la rencontre des spectateurs et s’ingénie à soustraire les spectateurs à leur réalité quotidienne, la scène déborde sur le réel. Ici, ce sont les citoyens qui envahissent la scène. Un monde nouveau s’invite sur la scène de l’opéra pour rendre perméable, au moins lors de quelques dates, ce lieu privilégié et en apparence (seulement) sourd aux contingences extérieures.

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Il ne faudrait pas imaginer que derrière ces intentions se dissimule une provocation comme l’ont prétendu certaines critiques. Il conviendrait plutôt d’y voir un télescopage temporel qui autorise l’improbable rencontre physique entre Rameau (sans doute avant-gardiste en son temps) et le monde d’aujourd’hui. Et Béziat et Cogitore de poser une question : que nous disent les mondes du krump, du popping, du break ou du voguing à propos de Rameau et de ses Indes Galantes ? Le dialogue est ouvert et il est loin de se refermer puisque la réciproque se vérifie également.

Des résonances naissent ici ou là et dialoguent à distance jusqu’à ce qu’un accord a priori improbable aboutisse. La réalité de chacun s’exprime en préambule et définit une mosaïque sociétale qui rend tangible l’abolition des frontières temporelles souhaitées par Cogitore d’une part mais aussi par Béziat. Rameau rencontre la diversité française d’aujourd’hui. Après quelques civilités d’usage, après quelques temps d’observation, la rencontre se fait chaleureuse. Les corps interprètent et inventent des gestuelles qui éclairent la musique sous un nouveau jour. Rameau devient le support d’un débat d’idées qui bouleverse une conscience collective qui s’approche de ses origines culturelles.

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C’est là le tour de force des deux mises en scène, celle du spectacle comme celle du documentaire : ne trahir ni Rameau, ni les danseurs, ni les musiciens, ni les chanteurs. Pour cela, s’improvisent des situations imaginées par la mise en scène et la chorégraphie afin que la réactivité et l’inventivité des danseurs s’adaptent à Rameau et à la scène de l’opéra. Un processus se met en place, une sorte de métissage formel voit le jour et ressemble à la fois à la pluralité qui constitue notre société et, à ce qui fournit le matériau brut qui structure le documentaire de Philippe Béziat. La musique, les danses, les voix chantées ou parlées, les attitudes, les mouvements, les dynamiques, les parcours, les récits, les images s’assemblent. La greffe prend. Elle se traduit par un documentaire qui témoigne d’harmoniques possibles entre des mondes parallèles donc vraisemblablement distincts.

Une nouvelle forme collective affleure d’un spectacle qui n’a jamais aussi bien porté son nom de spectacle vivant. Si Clément Cogitore a permis ce miracle ou en tout cas prouvé qu’il était possible d’envisager des échanges nouveaux, le film de Philippe Béziat, lui, en s’attardant sur la gestation du spectacle, démontre que les diversités culturelles et sociales peuvent s’affranchir de leurs limites respectives pour créer un sens commun. Et cela passe par la définition d’un projet qui tend à l’universel.

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Crédit photographique : Copyright Les Films Pelléas

Suppléments :
- Scènes coupées - 14mn
- Les Indes Galantes, court métrage de Clément Cogitore - 2007 - 6mn

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