Splitscreen-review Image de Cry Macho de Clint Eastwood

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Cry Macho

Publié par - 11 novembre 2021

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le nouveau film de Clint Eastwood, Cry Macho, était, avant la réalisation de ce film, une des arlésiennes hollywoodiennes les plus commentées. Un livre publié en 1975 est à l’origine du projet. Cry Macho fut écrit par Richard Nash qui, sitôt son roman publié ou presque, s’est attelé à un travail scénaristique pour une possible adaptation cinématographique. Le scénario ne se vend pas malgré les stars envisagées pour interpréter le personnage de Mike Milo, cow-boy cabossé par l’existence et par la pratique du rodéo. Annoncé plusieurs fois, Cry Macho attendra l’année 2020 et l’intérêt jamais démenti de Clint Eastwood pour le projet (l’acteur, cinéaste et producteur fut par le passé approché à de multiple reprises pour interpréter, réaliser et produire le film).

Les amateurs de cinéma et du metteur en scène imaginaient certainement, devant tant d’opiniâtreté, un film au sujet important pour le cinéaste, une nouvelle clé de lecture de l’œuvre eastwoodienne ou, au moins, un complément d’information à ce qui existe déjà. Le film est tout autre et peut surprendre dans son premier tiers même s’il confirmera certaines caractéristiques déjà relevées dans la filmographie de l’auteur. Mike Milo (Clint Eastwood), star du rodéo brisée lors d’une compétition, est contacté par son ancien patron Howard Polk (David Yoakam). Ce dernier, en souvenir d’une dette que lui doit le cow-boy, demande à Milo de partir pour le Mexique afin de ramener Rafael, le fils qu’il a eu avec une Mexicaine.

Milo prend la route. Le spectateur avisé imagine un scénario limpide : un cow-boy, un voyage en voiture, ça sent le Western, ça sent le trajet initiatique ou plutôt ré-initiatique au regard de l’âge de Milo. L’hypothèse semble d’abord vite voler en éclats pour une raison très simple. Le trajet est vite expédié par le cinéaste qui ne lui consacre que peu de temps filmique, quelques plans d’ensemble, une scène à la douane et nous arrivons devant la maison de l’ancienne compagne de Polk. Les attendus du Western ne seraient donc pas au cœur du film ? Ils ne seraient qu’une liste d’affaires courantes ? Mais c’est oublier que si le trajet doit devenir initiatique, il se doit de l’être en compagnie du jeune mexicain. Question de transmission selon les problématiques eastwoodiennes.

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Il est d’ailleurs bon de s’arrêter sur la construction du film que l’on qualifiera d’étrange au regard de ce que nous connaissons d’Eastwood. Le film est, dans son premier tiers, bancal, bâclé presque. Le cinéaste ne semble prêter aucune attention particulière à cette partie de l’histoire qui consiste à introduire les personnages, à définir les enjeux scénaristiques du film, à décrire une rencontre chaotique entre le cow-boy, le jeune mexicain et son coq nommé Macho, c’est bien lui le Macho du titre, et puis mettre en route le trio vers un futur obscur et sans doute versé dans l’imprévu, la découverte et le renouvellement.

Il faut donc patienter pour que le Western débute. Il faut attendre que nos deux personnages campent près d’un feu au milieu de nulle part après avoir échappé aux hommes de main de la mère de Rafael. Là, quelque chose se redéfinit. Un échange, un partage, une volonté au moins de comprendre l’autre. Le film change alors du tout au tout. Les personnages comme le découpage et la mise en scène semblent moins empruntés, moins heurtés, moins sommaires. Cry Macho s’enrichit définitivement lorsque Milo, Rafael et Macho arrivent dans un village hors du temps.

Dépouillés de la voiture américaine de Milo, c’est à pied que le trio entre dans le village. Pour échapper aux policiers qui arrivent dans la rue principale, Milo et Rafael entrent dans une « cantina » à l’ambiance surannée. La propriétaire, Marta (Natalia Traven), instinctivement, protégera ses clients des policiers qui souhaitaient s’installer pour manger. Elle ferme le restaurant qui se transforme dès lors en espace d’élection et en refuge. Après un repas copieux et visiblement apprécié par les convives, une sieste réparatrice s’impose. Plus tard, Milo émerge d’un songe dont nous ne saurons rien pour constater qu’un semblant de cellule familiale est à l’œuvre. Marta et Rafael cuisinent ensemble, Macho n’est pas loin, vivant sa vie jamais très loin des humains, comme une conscience qui agit et réagit en fonction des apprentissages glanés ici ou là. Milo et Rafael reprennent la route mais il leur est impossible de quitter la région. Factuellement, des barrages de police les empêchent de quitter la région. D’un point de vue thématique, il faut surtout observer que l’épreuve initiatique envisagée dans le village n’a pas atteint son terme. Elle devient double et inversement proportionnelle entre l’homme et le jeune garçon. Demi-tour et installation dans une chapelle a priori abandonnée pour y passer la nuit. Nouveau refuge.

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On ne quitte pas cet endroit tant que la morale qui s’y dispense n’est pas acquise. Commence alors une suite de rituels qui visent à reconnecter les personnages avec le monde, un monde qui ne se définit pas par une identité géographique mais par la prolifération des épreuves à dimension universaliste qu’il propose de franchir aux personnages. Celles-ci se manifestent sous différentes formes mais toutes se valident par la possibilité de communiquer avec autrui. Les épreuves les plus délicates sont intérieures. Pour vérifier l’acquisition du savoir nécessaire pour se connecter (Rafael) ou se reconnecter (Milo) à l’univers, les rencontres entre Milo, Rafael et la faune animalière qu’ils croisent est riche d’enseignement. Celles-ci, nous l’avons dit, se déterminent pour chacun de manière inversement proportionnelle. On part du familier pour aller à la rencontre de l’inconnu. Le bestiaire rencontré se positionne à partir du cheval sauvage (Milo dicte son rythme à l’action) pour atteindre l’animal de compagnie, le chien, en toute fin de l’expérience. Destins croisés donc entre Milo et Rafael (l’étranger à l’un est le familier de l’autre), ce que la dramaturgie du film confirmera également. Logique imparable puisque chacun se trouve à une extrémité de l’existence et n’envisage pas le monde de la même manière.

Cry Macho est finalement bien un Western. Un Western revisité, certes, par des questions extérieures aux préoccupations de conquête des territoires. Le phénomène est ici explicitement inversé. Trouver une place dans le monde et s’approprier un espace pour en définir les règles et l’identité relève d’un temps qui est désormais révolu, en tout cas pour Eastwood. La démarche cosmogonique qui animait les pionniers dans le Western n’a plus cours. C’est maintenant l’espace qui choisit les hommes et non l’inverse. Eastwood s’est mué, le temps d’un film au moins, en citoyen du monde, en homme qui sait que son voisin est un autre et qu’il faut accepter de se plier à une logique qui n’a rien d’identitaire. Il n’est pas anodin de voir en Cry Macho un écho des problématiques arpentées dans Gran Torino même si les qualités des deux films ne se comparent pas (Gran Torino est bien plus abouti). Cependant, impossible de ne pas faire le constat que dans ces deux films, Eastwood choisit deux individus issus de communautés disparates et représentatives d’une immigration (coréenne et mexicaine) qui, aujourd’hui, s’intègre à la société américaine jusqu’à en redéfinir le visage.

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Crédit photographique : Copyright 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved. / Claire Folger

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