Out of the blue
Publié par Stéphane Charrière - 21 novembre 2021
Catégorie(s): Cinéma, Critiques, Séries TV / V.O.D.
Out of the blue, le troisième long-métrage de Dennis Hopper, fut réalisé à une période pour le moins chaotique pour l’auteur. Il faut dire que les rapports entre Dennis Hopper et Hollywood ont toujours été tendus. Avant de réaliser des films, c’est-à-dire avant Easy Rider, Hopper entretenait déjà des relations conflictuelles avec le milieu du cinéma américain. Il commence sa carrière d’acteur à la télévision mais c’est lorsqu’il tourne deux films en compagnie de James Dean (La fureur de vivre et Géant) que sa carrière décolle. Hopper devient l’ami de James Dean et sera profondément affecté par la mort de ce dernier.
Sur le tournage de From Hell to Texas, Hopper entre en conflit avec Henri Hathaway. L’acteur décide alors, ostracisé par Hathaway, de quitter Hollywood pour rejoindre New York où il étudie à la Lee Strasberg Acting School, l’antre de l’actor’s studio. Hopper se tourne majoritairement vers la télévision alors en pleine expansion avant de venir contre toute attente à la réalisation en 1969 avec Easy Rider, film dans l’air du temps et surtout peu coûteux (340 000 dollars de prévus). À sa sortie, le film rapporte sur le marché américain plus de 41 millions de dollars. Le succès impressionne et Hopper autrefois loin d’être le bienvenu à Hollywood devient désormais très fréquentable. Cela ne durera pas. L’échec retentissant de The last movie réalisé en 1971 contraindra Hopper à traverser une sorte de purgatoire cinématographique pendant une décennie.
Pendant ces 10 années, Hopper sombre dans une logique destructrice qui le plongera dans une addiction à l’alcool et à la drogue. C’est par le plus improbable hasard qu’Hopper revient à la mise en scène en 1980. Acteur sur un film promis à devenir une catastrophe, il se voit proposer d’en reprendre le script et de le réaliser. Hopper accepte et refaçonne l’intégralité du scénario en 48 heures. Out of the blue verra le jour. Hopper en sera l’interprète principal et le réalisateur.
Le récit repensé par Hopper est simple. C’est l’histoire d’une famille cabossée par l’existence et marquée par des relations pour le moins troubles. Au-delà de son sujet, Out of the blue synthétise, dès sa séquence d’ouverture, les réflexions déjà abordées dans les deux précédents films d’Hopper. Sont présents visuellement des éléments familiers du cinéaste, la route (évocation d’Easy Rider) ainsi que certaines attitudes et quelques aspects vestimentaires (rappel de The last movie). Très vite cependant le film bifurque. L’introduction d’Out of the blue sonne comme un résumé de ce qui aurait pu se passer pendant 10 années. C’est comme si Hopper ne pouvait passer sous silence les événements qui ont jalonné son existence pendant 10 ans.
Out of the blue, euphémisme, est un film assez étrange. Pas seulement parce que Out of the blue apparaît comme une réminiscence des films des années 1960/1970 qui ont construit ce que l’on appelle communément le Nouvel Hollywood. Pas uniquement pour cela mais un peu tout de même. Surtout si nous recevons le film comme le terme d’un processus cinématographique qui reposait sur l’idée improbable de traduire une nouvelle façon de penser le cinéma.
Out of the blue s’ouvre sur une séquence, nous l’avons dit, qui réunit, pour en faire le deuil, les atmosphères combinées des deux précédents films d’Hopper. Le schéma initial est bouleversé par le surgissement d’un élément perturbateur qui prend la forme d’un accident de la circulation. Un camionneur (Dennis Hopper) accompagnée de sa fille (Linda Manz) plaisante avec celle-ci pendant qu’il conduit. Sur la route, un obstacle se dresse mais il est trop tard pour éviter la catastrophe. Le camion percute de plein fouet un bus de ramassage scolaire en panne au milieu de la chaussée. Lors du drame, les cris des enfants présents dans le bus se confondent avec ceux de Cindy, la fille du camionneur. Deux espaces différents se rejoignent dans la souffrance. Le camion emboutit le bus. Cut. Nous ne verrons rien, pour l’instant, de ce qui suit la collision.
Le film est d’ailleurs construit selon l’idée de le comprendre, de le deviner dans l’a postriori, par recoupement. À partir de cette séquence d’ouverture, le film se scinde en deux parties distinctes. La première partie, celle qui suit la scène inaugurale décrite ci-dessus, suit de manière fragmentée la trajectoire de Cindy après l’accident et l’incarcération de son père en prison. Un peu paumée, Cindy est en lutte contre tout, tout le temps. Le personnage de Cindy dicte alors au film sa logique. La présence de la jeune fille ainsi que son regard sur les choses ne cessent de prolonger le trouble qui s’est emparé du spectateur lorsqu’il a constaté que les cris de tous les enfants, ceux présents dans le bus et Cindy, étaient associés pour retranscrire l’horreur de la situation convoquée par l’accident et peut-être aussi ce que cet accident raconte en profondeur.
Cindy s’inscrit dans une histoire transgressive. Elle vénère Elvis Presley et se réclame du mouvement punk sans trop savoir pourquoi, sans calcul, c’est-à-dire sans jamais intellectualiser ce qui la relierait à ce mouvement protestataire. Elvis Presley et le punk, curieux mélange en apparence mais en apparence seulement. Car ce qui se dissimule derrière Presley et le punk, c’est l’idée de contestation.
Ce qui relie Elvis au mouvement punk n’est pas contenu dans une forme musicale mais dans l’attitude induite par le rapprochement qui est fait par Hopper. Elvis et les punks sont les expressions d’une rupture générationnelle. Aimer et écouter Elvis, pour la génération des parents ou des grands-parents de Cindy, renseignait sur un état d’esprit structuré autour de l’idée de se dissocier du schéma sociétal américain. Être punk, comportement adopté par certains contemporains de Cindy, c’est vouloir faire table rase de ce qui préexiste et qui définit la réalité du temps présent.
Les séquences de la première partie du film se succèdent sans posséder de finalité précise. Les séquences sont des sortes de blocs de film reliés entre eux par des images qui assaillent Cindy et qui semblent relever de la vision, du rêve, du cauchemar ou du souvenir. Ces fulgurances visuelles fractionnent le film. Le découpage alterne entre des moments apaisés où les plans séquences règnent et définissent le principe de lecture des images avant que des images compulsives n’apparaissent pour effectuer des transitions ou constituer un chapîtrage déstabilisant. Les séquences de la première partie du film fonctionnent apparemment en autonomie. Ce sont des nappes de pensées qui ont pour fonction de renseigner le spectateur sur la nature des enjeux dramaturgiques qui précèdent ou qui suivent ces passages.
Mais ces scansions nous livrent nombre d’informations sur les sautes d’humeur de Cindy. Out of the blue invite donc en permanence le spectateur à repenser les scènes à la lumière de ces images à teneur hallucinatoire.
La seconde partie du film, celle consacrée à la sortie de prison du père et à son retour dans la cellule familiale, est plus limpide, plus linéaire. Le cheminement de Cindy dans la première partie ne laisse guère de place au doute sur l’issue du film. Le point de vue change. La caméra et le montage indexent leur rythme sur le personnage du père. Il revient et avec lui les traumas que personne, surtout pas Cindy, n’a oublié. L’interprétation de Hopper est … stupéfiante, proche de ce que l’acteur produira dans Blue Velvet de Lynch. Le délire s’empare du film et, là encore, nombre de séquences ne semblent pas complètes. Il faut alors au spectateur faire l’effort de superposer mentalement cette seconde partie à la première. Le puzzle s’assemble alors et le film frappe par son impressionnante architecture scénaristique. Une fois que tout est en place, Hopper conclue Out of the blue par un ultime geste punk en accord avec ce qui anime Cindy depuis l’accident. Imparable et inévitable, si on a bien suivi.
Crédit photographique : Copyright Potemkine Films
Suppléments Blu-ray :
Commentaire audio de Dennis Hopper, John Alan Simon et Paul Lewis
Interview de Dennis Hopper par Tony Watts (1984, 93')
Entretien avec John Alan Simon et Elizabeth Karr au Montclair Film Festival (2020, 30')
Entretien avec Jean-Baptiste Thoret (46')
Suppléments DVD :
Commentaire audio de Dennis Hopper, John Alan Simon et Paul Lewis
Entretien avec Jean-Baptiste Thoret (46')