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Ghost of Tsushima

Publié par - 29 novembre 2021

Catégorie(s): Jeux vidéo

Nombreux sont ceux à porter un regard curieux sur le Japon mais il est difficile de savoir par où commencer lorsque l’on cherche à découvrir un pays et sa culture. L’étude de son histoire et la contemplation de son art sont deux méthodes valables pour comprendre une partie de son rapport au monde. Si l’expérience reste contrainte par les limites du support et par la sensibilité individuelle de l’observateur, l’art semble néanmoins pouvoir servir de reflet historique au-delà du factuel et ainsi s’imprégner d’une partie de l’essence de la culture en question. Le statut du jeu vidéo en tant qu’art est encore sujet à débat. Pourtant sa parenté avec le cinéma semble démontrée dans de nombreux cas. Les deux supports portent après tout en eux une même méthode de transmission de l’expérience par l’usage au sein d’une même œuvre des formes d’arts qui les ont précédés. Dans le jeu vidéo, le sens du cadrage, le traitement du son, la question de la narration et du mouvement que l’on trouve dans le cinéma s'associent à l’interactivité. Quitter le statut de simple spectateur face à une création qui combine les arts peut-il alors permettre de mieux saisir la culture portée par l’œuvre en question ? Une interrogation qui mérite d’être soulevée au regard du nouveau jeu de Sucker Punch productions : Ghost of Tsushima.

Le joueur incarne Jin Sakai, un jeune samouraï fictif, pendant l’invasion mongole de 1274 sur l’île de Tsushima. Après une terrible bataille à laquelle il survit de peu, Jin défie en duel Khotun Khan, un cousin fictif de Kubilai. Défait et laissé pour mort, le samouraï parcourt alors Tsushima pour affronter les Mongols à l’aide d’alliés qui lui apprendront à se battre autrement qu’en suivant le Bushido, le code d’honneur du samouraï. Le jeu se construit donc autour des acteurs fictifs d’une histoire au cadre historique pour une expérience dont les intentions dépassent la simple retranscription d’un événement de l’histoire japonaise.

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Au départ, Jin Sakaï suit le Bushido à la lettre mais l’échec face à un adversaire qui a étudié les méthodes des samouraïs remet en question sa vision de la lutte. L’honneur perd de sa valeur face à la souffrance de son peuple. Une voleuse du nom de Yuna lui apprendra à utiliser la ruse et la fourberie pour vaincre des adversaires en supériorité numérique. Son sabre sera dès lors muni de poisons et de fumigènes. Le joueur vit ainsi la mutation de son avatar de l’archétype du samouraï à un autre, le shinobi (ou ninja), ce qui l’opposera aux autres guerriers de son rang et à son oncle, attaché à la tradition du Bushido. Avec ce récit, Sucker Punch illustre le conflit entre le respect des traditions et le besoin de s’adapter aux réalités d’une époque pour faire face aux puissances extérieures. Un thème récurrent dans l’imaginaire nippon qui devient sujet de réflexion pour le joueur.

Par sa liberté, ce dernier peut choisir son approche du combat et exprimer sa réponse par l’action. En plus des outils à disposition, l’avatar peut apprendre et utiliser diverses postures de combat qui offrent des avantages selon les adversaires. Affronter un combattant pourvu d’une lance ou d’un bouclier n’exige pas la même approche. C’est au joueur de maîtriser son sabre, de changer de posture selon la situation et d’attaquer au bon moment. L’esprit de la Tactique du célèbre bretteur Miyamoto Musashi, telle que décrite dans son Traité des cinq roues, est présent. Les mécaniques de jeu demandent au joueur de faire preuve d’intelligence et de retenue, ce qui le plonge dans l’esprit du combattant japonais.

Ce récit guerrier se déroule au cours d’un voyage à travers Tsushima. Que ce soit au grand galop sur son cheval ou à pied dans les clairières au cours d’un duel, un travail sur la lumière et sur les couleurs apporte aux environnements une esthétique proche de certains courants picturaux. Le ciel, souvent gris, entretient l’ambiance pesante qui règne sur cette île en guerre. Les fleurs et feuillages, hauts en couleur, ballotés par le vent, donnent vie à l’univers. Le vent en question devient même partie intégrante du jeu car ses lignes floues indiquent la voie à suivre au joueur pour atteindre son objectif. Les paysages dépassent le statut de niveau à parcourir pour devenir une entité à part entière à l’image de l’atmosphère globale qui définit l’île et participe de l’expérience du joueur intimement liée à la nature environnante.

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Si la colorimétrie dominante rappelle forcément les estampes Ukiyo-e et les peintures de l’école Kano, l’influence du cinéma se ressent aussi et renforce l’immersion dans l’âme japonaise. Les errances de Jin, ponctuées de duels, et les rencontres avec différents acteurs de la société japonaise, des seigneurs aux paysans, rappellent divers films de chanbara. Yojimbo et Sanjuro d’Akira Kurosawa, bien sûr, mais on peut y voir aussi une ambiance proche des films consacrés à Miyamoto Musashi, justement, par Tomu Uchida ou Hiroshi Inagaki. Toute une filmographie dans laquelle il est commun d’utiliser la couleur comme représentation de l’esprit du monde.

En fin de compte, croiser la fiction et l’historique dans Ghost of Tsushima relève d’une intention de transformer l’île en un creuset où la rencontre avec l’esprit japonais se vit comme une expérience. Jin Sakai, le personnage, permet au joueur de partager, certes virtuellement, la vision que le samouraï a de l’honneur et de la lutte avant de la fracasser au contact du monde extérieur à l’archipel du soleil levant. Traverser, grâce aux images, une nature qui ambitionne de traduire l’âme de cette terre sensibilise le joueur aux charmes du Japon. Ce dernier en viendra même à composer ses propres Haïku, poèmes courts dont la retenue incarne l’esprit nippon en état de contemplation. Pris dans des réflexions qui tiraillent la pensée historique japonaise dans des luttes qui exigent une maîtrise intelligente du sabre, dans une atmosphère musicale et visuelle, dans l’esprit des arts du soleil levant, le joueur peut sans doute se dire qu’il a expérimenté et aperçu, le temps d’un jeu, un condensé de l’âme japonaise.

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Crédit image : Sony Interactive Entertainment

 

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