En ce début du mois de décembre, Malavida propose au grand public la copie restaurée du film de Vojtěch Jasný : Un jour, un chat. Cette copie restaurée 4K par la NFA (Archives nationales du film tchèque) fut présentée dans la catégorie Cannes Classics lors de la 74ème édition du Festival de Cannes. Il faut également rappeler que ce film fut lauréat ex-aequo du Prix du Jury au Festival de Cannes l’année de sa sortie en 1963.
Un jour, un chat, appartient à cette période dite de la « Nouvelle Vague Tchécoslovaque », un courant cinématographique situé dans les années 1960 et reconnu pour son explosion créative (on parlera même de « miracle tchèque »).
Le film s’inscrit bien dans cette logique tant il surprend par ses innovations et par son audace. Après le générique, le film s’ouvre sur des vues d’un petit village de bohème. La caméra panote et notre regard se concentre sur l’horloge du clocher. D’une petite trappe sort alors un homme, Oliva, qui s’adresse directement au spectateur et lui conte l’histoire qui va se dérouler. Du haut de sa tour de garde, il observe avec sa loupe les villageois et les décrit un par un dans leur caractère et leur mœurs : l’amante arriviste, l’ouvrier qui simule de la fatigue ou l’instituteur idéaliste et naïf. Ce regard moral sur le village nous laisse entrevoir le ton que va prendre le film. À la manière d’un conte du folklore européen, l’arrivée d’une chose (ou d’une personne) va perturber la routine du village ou du moins révéler la véritable nature des villageois.
Dans ce lieu, tous les habitants se connaissent. Nous suivons l’instituteur nommé Robert qui, malgré les remontrances de sa hiérarchie, tente d’inculquer à ses élèves le respect de la nature et l’émerveillement par les arts. Le quotidien des habitants est alors bouleversé par l’arrivée d’une troupe itinérante composée notamment d’une belle trapéziste, d’un prestidigitateur et surtout d’un chat portant des lunettes. Au cours du spectacle, le pouvoir spécial du chat est révélé, chaque personne que le chat regarde se voit doté d’une couleur qui révèle son caractère intime : le jaune de l’infidélité, le gris des escrocs, le violet des hypocrites et le rouge des véritables amoureux.
Plusieurs points peuvent être mis en évidence dans le film de Vojtěch Jasný. Comme évoqué plus haut, on peut noter d’abord la construction filmique proche du conte pour enfant. La grande allée du village rappelle les illustrations des contes slaves tandis que l’on retrouve plusieurs personnages archétypaux tels que le notable, imbu de sa personne et de ses privilèges (le directeur d’école), le naïf dont la situation va pousser à une forme d’héroïsme (Robert) ou encore la femme parfaite dont on tombe éperdument amoureux. Comme tout conte, l’histoire est prétexte à un enseignement moral. On le remarque par l’omniprésence des enfants tout au long de la trame qui restent les spectateurs de cette comédie où les adultes sont mis à nu.
Le regard est d’ailleurs un point central de la mise en scène du film tant il détermine les actions des différents personnages ; à commencer par celui du chat qui change littéralement la perception qu’ont les villageois (et le spectateur) sur leurs voisins, amis ou simples connaissances. Les regards d’Oliva ou du magicien (tous deux interprétés par l’acteur/écrivain Jan Werich) sont celui du démiurge qui observe toute la trame et qui n’intervient que lorsque la situation nécessite un rebondissement. Enfin, le regard des enfants est à la fois ce regard innocent qui s’émerveille devant les tours de magie et les acrobaties, mais il est aussi ce regard perçant de la vérité qui accuse les hypocrisies des grandes personnes.
On peut finalement souligner l’importance de ce qui relève de l’onirique dans Un jour, un chat. Tout d’abord par l’intermédiaire du personnage principal (Robert) qui s’accomplit par l’imaginaire. Dans un premier temps écrasé par sa hiérarchie au grand dam de ses élèves, la passion, le rêve et la volonté que provoque sa rencontre avec la trapéziste le poussent à se positionner face à la foule. Le fantasmagorique est aussi notable lors de la scène clé du spectacle. Par le travail de cadrage sur les différents éléments du spectacle, Jasný transfigure la prestidigitation et inscrit celle-ci dans la lignée des premiers films de Méliès. Le jeu entre le fond noir et les accessoires clairs, les raccords sur des formes géométriques ou les effets sonores, tous ces éléments font oublier pendant un instant la trame première du film. À l’instar des enfants, nous sommes séduits par la beauté de cette scène.
Comme énoncé précédemment, Un jour un chat, peut être considéré comme un conte moderne dans le sens où les deux éléments qui entourent le récit, l’auteur et le spectateur, sont partie prenante de l’histoire. Dès le début, le spectateur est suspendu à la voix d’Oliva qui l’accompagnera tout au long de cette histoire extraordinaire que le magicien désigne comme « Une pincée de dimanche au sein des jours communs ».
Crédit photographique : Copyright Malavida