Splitscreen-review Image de Une histoire d'amour et de désir de Leyla Bouzid

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Une histoire d'amour et de désir

Publié par - 12 décembre 2021

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Le second long-métrage de Leyla Bouzid, Une histoire d’amour et de désir, est une confirmation. Le talent de la cinéaste, que personne ne lui contestait au regard de ses courts-métrages, s’était imposé lors de la présentation à Venise d’À peine j’ouvre les yeux (2015), son premier long-métrage. Une histoire d’amour et de désir, présenté à La semaine de la critique lors du Festival de Cannes 2021, fit une nouvelle fois l’unanimité.

Une histoire d’amour et de désir repose sur une rencontre improbable entre un jeune homme, Ahmed (Sami Outalbali), et une jeune femme, Fahra (Zbeida Belhajamor). Leur histoire semble trop dissemblable, incompatible, rien ne laisser présager qu’Ahmed et Farah se croisent un jour. Et pourtant. C’est que Leyla Bouzid refuse le cliché, à suivre les conventions qui définissent et imposent souvent (trop) l’image de personnages catalogués et associés à un registre précis. Ce qui est prévisible n’intéresse pas la cinéaste qui, justement, se plaît à tromper ce qui est attendu d’une situation ou d’une typologie particulière. Ce qui intéresse Leyla Bouzid, c’est l’humain que le caricatural dissimule. Ainsi, de manière étonnante, Ahmed, enfant de la banlieue parisienne et issue d’une famille venue se réfugier en France contrainte et forcée par la situation politique algérienne des années noires (guerre civile qui s’est déroulée de 1991 à 2002 environ) va croiser Farah, une jeune tunisienne venue étudier en France. Les deux personnages se retrouvent dans un même cours dispensé à La Sorbonne. Drôle d’endroit pour une rencontre entre ces deux-là ? Au cinéma peut-être. Mais, dans la réalité, quels seraient les éléments qui pourraient contredire pareille situation ?

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En ce point très précis se manifeste une des grandes qualités du film. Derrière la timidité apparente du personnage d’Ahmed se matérialise une condition qui est la sienne et qui a été déterminée par des contingences extérieures à ses volontés. Ahmed est un archétype. Enfin il se considère ainsi et se discipline à en rester un. Farah, c’est l’élément perturbateur. Magnifique. Car pour nier l’atavisme qui astreint Ahmed à un rôle (le grand-frère, le copain de banlieue, son rôle dans le groupe de jeunes qui passe ses journées au pied des immeubles, le fils, etc.), il faudra se soumettre à de multiples expériences qui passent toutes par un point d’origine, l’éveil intellectuel.

Farah est une apparition, un fantasme qui prend corps (le corps est l’autre grande question du film). Farah fait irruption dans un lieu, la Sorbonne. Comme Ahmed. Lui qui pensait ne jamais fréquenter, ne jamais connaître l’institution de l’intérieur. Le choix scénaristique de La Sorbonne n’est pas innocent. Rencontrer Farah sur les bancs d’un cours consacré à la littérature arabe du XIIème siècle n’est pas fortuit. Car ici se combinent l’accès à la connaissance et l’éveil des sens. Le film se propose donc de filmer une transformation, une mue, celle d’Ahmed, objet des attentions de la mise en scène.

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Une histoire d’amour et de désir est fait de délicatesse. La métamorphose progressive d’Ahmed se dira (les dialogues) mais, surtout, se montrera. L’évolution d’Ahmed se vérifie grâce à tous les éléments qui entrent en compte dans la mise en scène : lumières, valeurs de plans et mouvements d’appareil. La caméra bouge et calque ses trajectoires sur celles d’Ahmed. La caméra le suit physiquement, elle guette et enregistre les moindres variations qui agissent sur les expressions de son visage. Les cadrages choisis ne sont jamais gratuits. Ils alternent entre plans distanciés et plans rapprochés qui s’agencent dans la structure filmique avec pudeur. Comme si la mise en scène, tendrement, avec subtilité et prévenance, apprivoisait Ahmed. La caméra regarde Ahmed comme Farah. Peu à peu, la complexité du personnage se dévoile. Il est assez étonnant de procéder à pareille humanisation d’un jeune de banlieue, même versé dans les lettres, en exposant une fragilité qui résulte de contradictions diverses. Si Ahmed conciliait, non sans difficulté sans doute, ses études, ses aspirations intellectuelles avec son statut social, il devient évident que son entrée à la Sorbonne l’éloigne d’un quotidien qui demeurera sans doute pour longtemps, voire à jamais, celui de ses amis. De la même façon, son rapport au sexe opposé, après l’apparition de Farah, ne peut plus s’accommoder de ce qui définit la masculinité selon les principes édictés dans la cité. Alors Ahmed va devoir accepter sa mue, sa métamorphose. Ahmed va devoir tolérer qu’affleure puis s’exhibe sa sensibilité. Sur ce point, le spectateur possède un coup d’avance sur le personnage qui se réfugie dans un premier temps dans le déni. Dès l’ouverture du film, Leyla Bouzid trompe notre attente et nous invite à regarder, pas à voir, à regarder. Derrière la paroi d’une cabine de douche, les courbes d’un corps se devinent. L’eau coule. Nul doute, c’est de la pudeur. Nous ne verrons pas le corps nu. Pense-t-on. Puis soudain, un cut. Et le corps envahit l’écran dans toute sa nudité, dans sa sensualité et dans sa matérialité. La caméra nous donne à voir une texture corporelle, à ressentir les réactions de la peau au contact de l’eau. Ahmed existe d’abord par son corps. Étrange au regard du film puisque la (re)connaissance de son propre corps se fera par la libération de son intellect.

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Ahmed se présente à nous lorsque son corps s’empare du cadre. Il nous revient alors d’observer comment ce corps réagira au contact des différents espaces physiques qui l’accueilleront. L’étude des lumières qui influent sur notre perception du film n’est pas hasardeuse. Des lumières froides pour traduire l’incongruité de la présence d’Ahmed en certains lieux ou, au contraire, des lumières plus chaudes lorsqu’il lâche du lest, lorsqu’il s’abandonne à Farah. Jamais complétement, jamais d’un seul coup. Mais progressivement, lentement, avec crainte parfois. Mais inexorablement, toujours. Il y a dans le cinéma de Leyla Bouzid cette remarquable aptitude à rendre évident ce qui ne l’est pas forcément, à rendre tangible ce qui relève de l’indicible ou de l’immatériel.

L’histoire d’amour et de désir qui rassemble Farah et Ahmed est avant tout un cheminement identitaire. Ahmed, pour comprendre qui il est, sexuellement et intellectuellement, devra explorer la moindre parcelle de son intériorité. Une histoire d’amour et de désir de Leyla Bouzid est un voyage. Pas n’importe lequel. Un voyage dans la psyché d’un individu, Ahmed, que nous voyons petit à petit se libérer de ce qui cadenasse et bride sa personnalité. Le plaisir nous gagne alors devant l’éclosion d’une très belle personne.

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Crédit photographique : Copyright Pyramide Distribution

Bonus :
Conversation avec Leyla Bouzid
Concert de Ghalia Benali – version longue
Court-métrage : Zakaria

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