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Dark Souls

Publié par - 16 février 2022

Catégorie(s): Jeux vidéo

L’histoire de l’art est jalonnée d'œuvres et mouvements artistiques qualifiables d’emblématiques tels des repères sur un long chemin arbitrairement balisé. Des créations et visions, reflets d’idées et de sensibilités propres à leurs créateurs, ont influencé et influencent encore les productions ultérieures. Si le qualificatif d’Art fait encore débat pour désigner le jeu vidéo, des productions et des concepteurs semblent marquer l’évolution de ce support d’une manière comparable aux évolutions vécues par les arts traditionnels. Tels les courants et les artistes d’autres domaines, aucun studio ou Designer n’aborde sa création avec la même vision. Shigeru Miyamoto et son Super Mario Bros. ont popularisé le jeu vidéo avec une approche centrée sur le système Nintendo qui souhaitait créer pour le tout public. Sous la direction d’Hideo Kojima, et produit par Konami, Metal Gear Solid a démontré que le virtuel pouvait être un terrain de jeu à dimension organique consolidé par une narration profonde. Bien d’autres pourraient être listés. Parmi ces licences entrées dans la culture populaire, peu font autant couler autant d’encre que les Dark Souls de From Software.

Si au premier abord il semble s’agir d’une énième aventure fantastique où dragons, chevaliers et sorciers s’affrontent, l’ombre de la licence suffit aujourd’hui à faire sourire ou frissonner les joueurs, impatient de découvrir son successeur spirituel : Elden Ring. Nombre de jeux ont par ailleurs repris une partie de son gameplay (Assassin’s Creed d’Ubisoft), voire tenté de l’imiter pour devenir un rival (The Surge). Tout comme Doom avait popularisé le jeu de tir au point d’être maintes fois imité et de fonder un genre à son nom, le Doom-like, celui du Souls-like naquit à la suite de Dark Souls.

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Conçu sous la direction d’Hidetaka Miyazaki, cet univers de Dark Fantasy commence dans un monde gris et brumeux dominé par d’immortels dragons de pierre. Cet âge des anciens se termine avec l’avènement de la Première Flamme qui apporte la disparité, la vie et la mort, la lumière et les ténèbres. Est ainsi offert aux dieux le pouvoir de vaincre les dragons par la foudre, le feu et la maladie, tels les Olympiens aux prises avec les Titans. L’âge du feu prend alors place. Cette introduction offre au récit des Souls une structure mythologique puisée dans la symbolique universelle de l’ordre céleste qui s’impose au néant primordial. Et c’est presque tout ce avec quoi le héros démarre son aventure.

Les joueurs savent que la première flamme se meurt et que leur avatar est un mort-vivant, porteur de la marque sombre, mais rien de plus. Rien ne leur explique ce qu’ils représentent dans cet univers, ni ce qu’il s’est passé durant cet âge des dieux. Loin du récit aux étapes structurées, alternant entre phase de jeux et cinématiques abondantes en révélations, le joueur ne se voit offrir aucune information claire. Il avance à tâtons dans des ruines envahies de monstres où les rares êtres civilisés restent cryptiques. Le joueur peut très bien terminer l’aventure sans comprendre ce qu’il se passe. Néanmoins, s’il se laisse porter par la curiosité et réfléchit sur la nature de ses trouvailles, il lui est possible de déduire certaines choses.

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Une narration environnementale forte et des descriptions d’objets assez vagues, le joueur peut jouer à l’archéologue. Tout comme Miyazaki dans son enfance, alors qu’il avait du mal à lire des romans de Fantasy en raison de son anglais approximatif, le joueur doit combler les absences narratives avec sa logique et son imagination. S’il écoute avec attention les personnages, s’il observe son environnement et s’il lit les notes sur les objets trouvés sur sa route, son esprit de déduction peut lui permettre de démêler le fil des événements. Le destin des dieux et des héros se dissimulent dans une bague ou une statue brisée. Et au bout du compte se révèleront peut-être des secrets sur la nature de cet univers. L’implication du joueur devient plus profonde. D’un simple aventurier récitant son texte, le joueur devient enquêteur, l’explorateur d’un univers qui ne se révèle qu’aux plus déterminés. Dans son histoire comme dans son gameplay, Dark Souls ne prend pas le joueur par la main.

Si l’on évoque Dark Souls, la première chose qui vient à l’esprit des joueurs, c’est la difficulté de résolution de la licence. Notre avatar fait difficilement le poids face aux créatures sur sa route. Il peut répliquer avec ses armes et esquiver des assauts, mais cela consomme son endurance qui se régénère avec une lenteur qui ajoute au périls encourus. Notre héros, un anonyme sous-équipé, doit faire face à des dragons, des chevaliers maudits, des golems, des gargouilles, des démons et même des dieux. Tous possédant une puissance supérieure à celle du personnage incarné par le joueur et une barre de vie interminable, souvent même une taille gigantesque. Chaque combat ressemble ainsi à la lutte qui opposa David à Goliath.

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Le joueur ne possède en effet qu’un seul atout contre ses ennemis. Chaque fois qu’il meurt, son avatar ressuscite près d’un feu situé quelque part dans les environs. Les ennemis reviennent aussi, mais à force de les affronter, le joueur peut observer leurs actions. Avec de la patience, du calme et de l’entraînement, il devient possible d’anticiper les attaques, d’esquiver au bon moment et de frapper quand il le faut. Dans Dark Souls, il n’est pas question de se défouler. Il faut se concentrer, se maîtriser et agir au bon moment. Même si les quelques fioles d’Estus qui permettent de soigner le joueur donnent un peu de marge, la moindre attaque peut entraîner la mort et obliger à retraverser le niveau et ses hordes d’ennemis. Une technique prototypée par Miyazaki dans le jeu qu’il réalisa juste avant : Demon’s Souls.

Par ces recommencements successifs, quasi-obligatoires au vu de la difficulté des combats, Dark Souls renoue avec un rythme de jeu et une approche du gameplay similaires aux jeux d’arcades d’autrefois. Du temps où il était nécessaire d’apprendre à maîtriser le jeu pour avancer le plus loin possible, Miyazaki semble n’avoir retiré que le besoin de relancer le principe. La victoire reste complexe à obtenir. Néanmoins, après avoir été vaincu plusieurs fois par l’un des Seigneurs duquel le joueur à appris, à force de patience, chaque action par cœur, la victoire apporte une satisfaction particulière en raison de la frustration accumulée au fil des combats. Ainsi, Dark Souls ne repose pas sur la promesse d’une expérience ludique, d’une expérience qui distrait par l’expérience d’une vie paradoxalement plus spectaculaire et simple, mais sur la satisfaction. La victoire est d’autant plus enivrante qu’elle a été difficile à conquérir.

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Tous ces éléments ne sont cependant pas l'œuvre de Hidetaka Miyazaki seul. S’il a su développer une mythologie inspirée par les œuvres de Tolkien ainsi qu’une expérience de l’équilibre de la difficulté testé dans Demon’s Souls, cet atmosphère sombre s’inscrit dans la continuité des jeux de From Software. Demon’s Souls devait être une suite à leur première licence, King’s Field, une série elle aussi axée sur la difficulté et le mystère malgré un univers de Fantasy plus classique. Et les personnages secondaires tragiques, observés avec distance, ne sont pas sans rappeler les fantômes tourmentés de Echo Night, une licence orientée, elle aussi, vers une narration à trou où l’exploration et la déduction permettent de résoudre des énigmes. Dark Souls et ses suites prennent racines autant dans l’esprit d’un créatif que dans la philosophie de conception d’un studio.

Les œuvres de ce duo semblent démarrer dans les couloirs étriqués de l’univers simple des King’s Field avant d’expérimenter, sous la direction d’un créateur particulier, Hidetaka Miyazaki, qui donnera naissance à l’étape suivante de cette vision commune. Avec Dark Souls, l’univers reste dangereux et énigmatique, mais il devient plus grand et riche. Ainsi, leur dernier jeu en date, Elden Ring, se présente comme la continuité logique de ce parcours avec un monde entièrement ouvert et un univers coécrit avec l'auteur de Game of Thrones, George R. R. Martin. Ce que From Software et Miyazaki semblent avoir offert au monde du jeu vidéo, ce n’est pas seulement un gameplay efficace et un univers intriguant, mais un monde à explorer, analyser et vaincre. Le défi est ardu, mais l’implication du joueur n’en est alors que plus profonde et la satisfaction, celle du conquérant et de l’archéologue, que plus grande.

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Images courtesy of IGDB.com

Crédit Image : Copyrights From Software/Bandai Namco Entertainment

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