Splitscreen-review Image de Temps sans pitié de Joseph Losey

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Temps sans pitié

Publié par - 18 février 2022

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

L’édition passionnante de Temps sans pitié de Joseph Losey permettra aux amateurs de cinéma de revenir sur une période complexe de l’histoire du cinéma. Temps sans pitié, filmé pendant l’exil londonien de son auteur, a permis à Losey de gagner du crédit auprès de la critique européenne et plus particulièrement française, ce qui relança la carrière du cinéaste. Losey fait partie de ces techniciens et cinéastes américains qui ont eu à rendre des comptes devant le Comité des activités anti-américaines en 1952. Losey était une cible parfaite dans la mesure où il n’a jamais caché ses penchants marxistes ou trotskistes glanés pendant ses études de médecine.

Lorsqu’il passe à la réalisation cinématographique, Losey s’est essayé à la mise en scène théâtrale, il a rencontré Brecht et il est devenu un décorateur réputé. Toutefois, c’est à la fin des années 1940 que Losey acquiert une réputation internationale avec des films comme Le garçon aux cheveux verts (1948), Le rôdeur (1951) ou encore le trop sous-estimé remake du film de Lang, M (1951).

En 1952, Losey tourne un film en Europe lorsqu’il apprend qu’il doit répondre aux questions que souhaite lui soumettre le Comité des activités anti-américaines. Le cinéaste choisit l’exil. Il se réfugie en Angleterre où sa réputation de sympathisant communiste le poursuit. C’est donc sous différents noms d’emprunt qu’il réalise, entre 1952 et 1957, date de sortie de Temps sans pitié, deux long-métrages (La bête s’éveille en 1954, L’étrangère intime, 1956) et un court-métrage (A man on the beach, 1955).

Temps sans pitié est en soi une curiosité. Un mélange étonnant de naïveté, d’absence apparente de subtilité scénaristique et d’une direction d’acteurs inégales. Mais ces défauts présumés sont vite évacués dès lors que des scènes d’une maestria impressionnante s’invitent dans le découpage pour propulser le film dans le meilleur de la production britannique de l’époque. Inégalités assumées donc pour mieux illuminer certaines scènes qui articulent le récit.

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Contrairement à la pièce d’Emlyn Williams, l’adaptation de Losey se distingue dès le début de l’intrigue en éludant toute la dimension policière du sujet et le suspens qui pourrait en résulter. Au cœur du projet de Losey, les rapports humains et plus particulièrement ce qui tourne autour de l’idée de la filiation. David Graham (Michael Redgrave) sort d’une cure de désintoxication et il apprend la condamnation à mort de son fils, Alec (Alec McCowen), convaincu du meurtre de sa petite amie alors que tous deux se trouvaient chez les Stanford. David rejoint Londres seulement 24h avant l’exécution de son fils. De fil en aiguille, David Graham comprend que son fils est accusé à tort. Le spectateur n’est pas surpris puisque lui le sait depuis l’ouverture du film qui ne dissimule rien du crime, surtout pas le coupable.

Ce qui intéresse Losey, c’est le cheminement rédempteur de David Graham. Son parcours, véritable chemin de croix, est habité par le désir de retrouver une dignité abandonnée dans les vapeurs d’alcool. Les deux visites de David Graham à son fils sont significatives de l’évolution de sa relation avec Alec. Lors de la première visite au parloir, une vitre sépare le fils du père. Mais l’espoir d’une réconciliation existe. La mise en scène se charge d’alimenter la flamme. Losey se sert des reflets pour contredire ce que la logique de la situation impose aux personnages, le fils est emprisonné et le père est en liberté, pour réunir dans le même cadre les deux personnages. Même si ce n’est qu’un reflet, l’image rapproche les deux hommes. Lors de la seconde rencontre, il n’y a plus d’interférence entre les deux protagonistes. Un contact physique est possible. Le père et le fils, présents dans la même pièce, renouent l’un avec l’autre. Le procédé renseigne avant tout sur la progression de David Graham. Ce dernier avance petit à petit et retrouve la part d’humanité que lui avait ôtée l’alcool.

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L’image d’amour filial qui en résulte tranche avec celle qui sévit dans la famille Stanford puisque Robert Stanford (Léo McKern), le père, est craint de tous, sans que l’envie de trouver grâce aux yeux des siens n’effleure le personnage. D’ailleurs Robert Stanford est, dès l’ouverture du film, associé aux forces du mal par analogie avec la gravure de Goya qui trône dans le salon des Stanford (mouvement de caméra qui superpose l’image de Robert Stanford à celle d’un taureau, emblématique incarnation des forces obscures). Dès lors, nous le comprenons, les relations qui sévissent entre les membres de la famille Stanford sont représentatives d’un rapport au monde qui se définit par l’emprise ou le pouvoir que l’individu est susceptible d’exercer sur un autre. L’évolution des considérations entre les Graham et celles qui se dispensent chez les Stanford est inversement proportionnelle. Là où la lumière pointe à l’horizon chez les uns, ce sont plutôt les ténèbres qui attendent les autres.

L’attention que Robert Stanford accorde aux autres relève du néant. La nature de ce rapport à autrui se matérialise dans la séquence où Stanford se livre à l’essai d’une voiture de course. Les tests s’effectuent sur un circuit ourlé de statues, autant de spectateurs immobiles et dociles, placés là pour admirer en silence les exploits virils de Robert Stanford.

À ce moment précis de l’intrigue, les deux figures paternelles sont deux figures de l’échec. Chacun à sa manière. L’un, Stanford, n’est admiré que de lui-même tandis que l’autre, Graham, ne parvient à retrouver grâce aux yeux de personne. Et surtout pas de lui-même. D’où la dimension rédemptrice que chacun des deux pères devra accepter ou non. Le chemin est pavé d’embûches pour Graham mais la sincérité qui émane du personnage lui permet de gagner l’admiration de tous. Lorsque David Graham fait acte de contrition en devançant la pénitence, le repentir est à ce point sincère qu’il touche au sublime, tout comme le film qui, dans ses imperfections, se construit autant par ses fulgurances que par ses moments faibles. Ne serait-ce que parce qu’il nous rappelle et affirme que la question du sacré n’est pas affaire que de religion, Temps sans pitié mérite plus que de l’attention, ce film mérite le respect.

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SUPPLÉMENTS (EN HD*) :

. UNE ÉPOQUE SANS PITIÉ (21 mn)
Entretien avec Michel Ciment, directeur de la publication de la revue Positif et auteur du Livre de Losey.
. BANDE-ANNONCE 2020
* en HD sur la version Blu-ray Disc™

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