Splitscreen-review Image de la rétrospective Jiri Menzel, la comédie est une arme !

Accueil > Cinéma > Jiří Menzel, la comédie est une arme !

Jiří Menzel, la comédie est une arme !

Publié par - 22 février 2022

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

En ces temps difficiles, il est bon de garder un certain sens de l’humour. Parmi les opportunités aptes à nous permettre de sortir de la grisaille, Malavida propose une programmation de trois films du réalisateur tchèque Jiří Menzel, décédé en septembre 2020. La rétrospective a pour sous-titre la comédie est une arme !. En effet ces films, qui découlent plus ou moins directement de la nouvelle vague tchèque, ont un fond particulièrement grave (Seconde guerre mondiale, communisme, industrialisation) mais la critique est présentée sur le ton de l’humour, comme si le rire émancipait de toute oppression. Ces films sont également un moyen de découvrir les différents changements de société que la Tchécoslovaquie d’alors (et combien d’autres) a dû subir en moins de cinquante ans. Ces trois films sont des adaptations d’ouvrages homonymes écrits par Bohumil Hrabal qui a participé à leur adaptation scénaristique.

Dans Trains étroitement surveillés, la Tchécoslovaquie est sous occupation nazie. Milos (Václav Neckář), un jeune cheminot, démarre sa carrière dans une petite gare de province. Alors que la situation à l’Ouest s’intensifie (débarquement de 1944), le régime maintient sa propagande et renforce la surveillance de possibles factions résistantes dans la province. Mais la guerre est le cadet des soucis de Milos qui s’inquiète surtout de son statut d’homme et de son rapport aux femmes. Timide, il ne sait comment satisfaire une jeune contrôleuse qui semble pourtant l’apprécier également. Il sera tiraillé entre les conseils de son chef de gare Max (Vladimír Valenta), sympathisant du parti nazi, et de son collègue Hubička (Josef Somr), dont le comportement libertaire laisse supposer des liens avec la Résistance.

Splitscreen-review Image de la rétrospective Jiri Menzel, la comédie est une arme !
Trains étroitement surveillés

Alouettes, le fil à la patte quant à lui se situe après la guerre (années 50). La Tchécoslovaquie est désormais aux mains des marxistes-léninistes. Dans un gigantesque dépôt de ferraille, des femmes y sont emprisonnées pour avoir tenté de fuir le pays et des hommes y travaillent, soupçonnés de n’avoir aucune sympathie pour le nouveau régime.  Comme l’explique un représentant du Parti Communiste, ces « bourgeois » (un saxophoniste, un professeur de philosophie, un médecin…) sont dans ce camp pour une fin similaire à la ferraille qui y est déposée : une refonte des humains, selon les critères du Parti. Très vite on se rend compte que ce « recyclage » ne fonctionne pas vraiment chez les détenus qui conservent une forme de bonhomie. Malgré la situation carcérale et la séparation des hommes et des femmes, le jeune Pavel tente par divers moyens de séduire la belle Jitka.

Sorti à l’origine en 1969, le film censuré par l’administration ne connaîtra les salles obscures qu’à la chute du mur de Berlin en 1989. On peut en comprendre les raisons…

Nous revenons à la Tchécoslovaquie des années 20 dans Une blonde émoustillante. Comme le titre et l’affiche le laissent supposer, le personnage principal est une jeune femme, Maryška, dont la plastique, la cascade de boucles blondes et la sensualité ne laissent pas indifférents les hommes de Nymburk, un petit village dont l’activité principale est la brasserie de Francin, l’époux de Maryška. Ce dernier n’ignore pas l’effet que sa femme peut produire chez les hommes. Bien que dans les affaires, cela attendrit les actionnaires de la brasserie, dans le quotidien cela nourrit davantage la jalousie du jeune marié. Ce qui pouvait rester refoulé se voit mis à l’épreuve une fois que le frère de Francin, Pépin, vient provisoirement habiter dans la demeure du couple. Au contraire de Francin, taciturne et dévoué dans son travail de comptable, Pépin est extravagant, chante et parle si fort que cela vient à déconcentrer les employés de la brasserie.

Comme nous pouvons le voir, les films sont hétéroclites quant à l’époque pendant laquelle ils se déroulent. Nous pouvons néanmoins noter que tous partagent le thème d’individus qui souffrent d’une forme d’oppression et qui tentent de s’en émanciper. L’oppression la plus évidente reste celle des détenus dans Alouettes, le fil à la patte, qui subissent cette « refonte » ouvrière pensée par le pouvoir en place. Leur moyen de résistance est le maintien d’habitudes « non-productives » selon le Parti : ils jouent aux cartes, parlent de politique ou chantent. On peut retenir notamment une scène ou les hommes disent aller « au cinéma », ce qui signifie aller contre la clôture et épier les femmes en petite tenue sur le point de se coucher.
Dans Trains étroitement surveillés, on supposerait que l’oppression est évidemment l’occupation de la Tchécoslovaquie par les nazis. Cependant cet aspect n’est que secondaire dans l’intrigue. Il se pose comme la toile de fond entre les personnages secondaires, entre le sympathisant qui cherche les honneurs de la part des représentants du Reich et le libertaire qui trouve tous les moyens pour provoquer l’autorité politique et morale. Milos, lui, est davantage inquiété par sa timidité et sa relation aux femmes. Comme tout jeune homme, la peur du passage à l’amour physique l’effraie. Pour lui, ne pas savoir « honorer » une femme n’est pas digne d’un homme. Ce problème sexuel devient une telle préoccupation qu’il ne semble pas voir tout ce qui se passe autour de lui.

Cette oppression de type sensuel est aussi présente dans Une Blonde émoustillante et se double d’une oppression sociale. D’une part, Francin est sur la sellette du conseil d’administration et pourrait perdre son emploi si l’entreprise ne s’adapte pas à ce que l’ère moderne demande. L’arrivée de Pépin dans la brasserie ne fait que rendre les choses plus complexes. D’autre part, la jalousie de Francin envers sa femme séduisante était compensée par les moments complices qu’ils partageaient dans leur intimité. Une fois de plus, la présence de Pépin vient perturber cette intimité et envahit le couple.

Splitscreen-review Image de la rétrospective Jiri Menzel, la comédie est une arme !
Une blonde émoustillante

Ceci nous amène à l’autre aspect du cinéma de Jiří Menzel. Les échappatoires à ces différentes formes d’oppression sont la sensualité et le comique. Ces deux thèmes sont aussi récurrents dans l’œuvre de Hrabal. La sensualité, voire l’érotisme, sont présents dans chacun des films. Notamment grâce à l’importance prêtée aux personnages féminins. Loin d’être reléguées à un statut de potiche, elles sont essentielles à la continuité de l’intrigue et brillent par leur singularité dans chacun des films. Comme ce fut dit précédemment, Máša (Jitka Bendová), à l’instar des trains qu’elle contrôle, apparaît de manière passagère dans la trame du film, mais elle réapparait à plusieurs reprises pour rappeler à Milos son objectif principal. La relation qu’ils entretiennent évoque celles que l’on représentait dans le comique muet, d’une courtoisie chaste et presque enfantine. Cette forme de relation souligne également l’entrée dans l’âge adulte où les jeunes amoureux doivent se confronter au concret de l’amour physique… et des frustrations qu’il peut provoquer.

Comme de nombreux adolescents, Milos tente de savoir quelle serait la meilleure « méthode » affective à appliquer et se tourne vers les deux modèles opposés qui lui sont donnés : Max et Hubička. Jiří Menzel fait preuve d’audace dans le rapport qu’entretiennent ces deux possibles mentors avec les femmes. On remarque que cela découle de leur rapport à l’autorité nazie. Le désir de pouvoir du premier ne se limite pas à son ascension sociale. Marié à une femme aveugle, le pouvoir, la position hiérarchique et la posture moralisatrice sont les moyens qu’il mobilise pour séduire les usagères en transit à la gare. Paradoxalement, le second est beaucoup plus transgressif dans ses rapports aux femmes. Célibataire, il se plaît à séduire ces mêmes usagères et les entraîner dans un libertinage presque provocateur pour l’époque. On prendra pour exemple l’une des scènes les plus iconiques du film au cours de laquelle une standardiste de la gare se retrouve tamponnée de sceaux officiels sur les fesses.

Splitscreen-review Image de la rétrospective Jiri Menzel, la comédie est une arme !
Trains étroitement surveillés

Dans les deux autres films, le féminin et le sensuel sont également présents mais radicalement différents dans leur traitement. Le personnage de Maryška dans Une Blonde émoustillante est l’élément central de l’intrigue en plus d’être quasiment le seul personnage féminin du film. Dans plusieurs scènes, on peut voir l’effet que produit Maryška sur les hommes qui l’entourent. Les hommes s’arrêtent dans leurs activités respectives et tous les faits et gestes les plus ordinaires de la jeune femme deviennent motifs à contemplation. L’environnement lui-même dans sa lumière et ses couleurs ressemble à une scène de genre. Plus qu’une femme, elle est comme une sirène qui envoûte tous les hommes qui l’entourent. Cette comparaison est d’ailleurs évoquée visuellement dans une scène ou Maryška se baigne dans une cuve de la brasserie, sa longue chevelure détachée, et son corps nu exposé à la vue de tous les voyeurs. Pour Francin, elle passe d’un statut de femme à celui d’une idole à qui on se doit d’offrir des présents pour rester dans ses bonnes grâces. L’érotisme dans cette représentation presque outrancière devient une soumission dont la seule issue est la destruction de tout ce qui crée cette idolâtrie.

Alouettes, le fil à la patte se trouve aux antipodes dans son traitement du féminin et de l’érotique. Il n’y a plus un mais plusieurs personnages féminins, et leur situation ne facilite pas la sensualité. Leur uniforme de détenue limite grandement la mise en avant de leurs charmes, elles sont séparées des détenus masculins et l’environnement fait de ferrailles qui envahissent l’espace les réduit à un état de déchets. Une scène marquante du film montre une visite d’écoliers dans la prison au cours de laquelle l’institutrice désigne les prisonnières tout en récitant les litanies du Komintern contre la bourgeoisie.

Et pourtant, le contexte carcéral n’enlève pas la sensualité qu’apprécie le cinéaste ; elle n’en est que plus subtile. Ce ne sont plus les parties « libidineuses » de l’anatomie qui sont exposées à l’écran. Les choses les plus simples que peuvent partager les détenus sont sublimées. Le regard sert énormément à communiquer ces petits moments de grâce. On peut noter une scène particulièrement touchante dans laquelle les femmes sont autorisées à aider leurs camarades masculins à jeter de lourds objets. L’alternance de plans rapprochés sur les mains et sur les visages fait ressortir une beauté que l’on n’aurait pas supposée de prime abord. À croire que le beau se trouve plus dans l’authentique que dans la plastique.

Splitscreen-review Image de la rétrospective Jiri Menzel, la comédie est une arme !
Alouettes, le fil à la patte

Enfin il y a le comique qui est récurrent dans les trois films. Dans la veine des comédies des années 30, Menzel parsème la trame de ses films par des situations incongrues et des gags visuels qui sont caractérisés par les deux grands tabous : le sexe et la violence. Comme une forme de boucle, le caractère érotique voire sexuel que dégagent certains personnages féminins devient également un retour de flamme contre les autorités. Quand les fesses et les cachets souillés sont exposés aux juges, ces derniers sont moins choqués par l’outrage qu’ils ne sont médusés devant le somptueux postérieur de Zdeňka (Jitka Zelenohorská). Ce comportement est similaire dans Une Blonde émoustillante. Le montage illustre l’association mentale que font les actionnaires de la brasserie entre Maryška et la nourriture : la libido devient un appétit et la nourriture caractérise un acte sexuel. Comme dans un cartoon, certains personnages secondaires sont là en tant que gag visuel sans incidence sur l’intrigue. On peut citer par exemple un employé de la brasserie dont l’intégrité physique va empirer tout au long de la trame à cause de diverses chutes provoquées (involontairement) par le perturbateur Pépin. À l’instar de l’érotisme, l’humour est moins présent dans Alouettes, le fil à la patte probablement compte tenu du propos premier. Néanmoins certains pieds de nez envers le pouvoir seront très vite mis en avant, notamment l’hypocrisie d’une autorité qui se revendique « ouvrière ». On prendra pour exemple la visite d’un représentant du Parti qui, une fois sorti de sa voiture, troque son chapeau de feutre contre une casquette gavroche avant de visiter la décharge.

Bien d’autres aspects seraient à considérer dans cet hommage à Jiří Menzel tant son œuvre est riche en qualités comme en quantité. Par ailleurs, deux de ces films furent remarqués et récompensés à l’internationale : Trains étroitement surveillés fut récompensé en 1966 de l’oscar du meilleur film en langue étrangère, tandis que Alouettes le fil à la patte fut récompensé de l’Ours d’Or à la Berlinale de 1990, après la chute du mur de Berlin. Dans une période où une certaine morbidité viendrait à s’installer dans les esprits, il est bon de redécouvrir des films dont les traits majeurs sont le désir charnel et le rire, pulsions de vie par excellence.

Splitscreen-review Image de la rétrospective Jiri Menzel, la comédie est une arme !
Une blonde émoustillante

Crédit photographique©Malavida

Partager