Super Express 109 A.K.A The bullet train
Publié par Stéphane Charrière - 11 mars 2022
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
Dans les années 1970, le cinéma voit s’épanouir et se populariser un genre, le film catastrophe, qui répond à un ressenti global que l’on qualifiera de morose après le choc pétrolier de 1973. Les Américains donnent le ton. Que ce soit dans les airs (Airport de George Seaton, 1970 ; 747 en péril de Jack Smith, 1974), sur ou sous l’eau (L’aventure du Poséidon de Ronald Neame et Irwin Allen, 1972 ; Terreur sur le Britannic de Richard Lester, 1974) ou sur terre (La tour infernale de John Guillermin, 1974 ; Tremblement de terre de Mark Robson, 1974), les années 1970 sont versées dans un catastrophisme qui se répand sous toutes les latitudes.
Les Japonais ne seront pas en reste. Motivés par les succès financiers rencontrés par les films américains, la production japonaise tente d’imiter les succès US en ajustant le contenu des œuvres aux singularités locales. Un film marquera un tournant grâce au succès populaire rencontré, La submersion du japon de Shirō Moritani (1973) produit par la Tōhō. Il n’en fallait pas plus pour attiser la convoitise de la concurrence. Parmi les studios habitués à produire des films d’action, il en est un qui en a fait sa marque de fabrique, la Toei. Le studio compte quelques cinéastes considérés comme des spécialistes de certains genres comme le chanbara (Tomu Uchida) ou le film de yakusa (Kinji Fukasaku). Chez les cinéastes réguliers de la firme, certains sont touche-à-tout et parviennent à travailler de manière cohérente dans n’importe quel genre qui mêle l’action à différentes facettes du cinéma populaire. Parmi ces cinéastes, Jun'ya Satō.
C’est à ce dernier que la Toei confie le soin d’imaginer un film catastrophe qui se rapprocherait de quelques orientations empruntées par le film catastrophe américain. Outre-atlantique, on ne perd jamais de vue, lorsqu’il s’agit de mettre en péril un avion, qu’il faut bien prendre soin de souligner que le péril est humain alors que la machine échappe à tout défaut de fabrication, savoir-faire oblige et argument commercial de fiabilité placé. L’idée fait son chemin à la Toei qui charge donc Jun'ya Satō de trouver un sujet de film catastrophe qui reposerait sur des ressorts proches de ceux énoncés ci-dessus. Le cinéaste imagine un film qui se déroule à l’intérieur de l’un des fleurons de l’industrie japonaise, le Shinkansen, le train à grande vitesse qui fut inauguré en 1964. L’élément discordant ? Une bombe, mais pas n’importe laquelle. Une bombe qui se déclenchera automatiquement si le train circule à une vitesse inférieure à 80 km/h. Les amateurs auront reconnu un ressort scénaristique qui sera repris en 1994 par Jan de Bont dans Speed.
C’est ainsi que la Toei présente au public japonais en 1975 Super Express 109. Le film est habile, bien réalisé. Notons que quelques différences par rapport aux standards américains surprendront les spectateurs occidentaux. Dans le film de Jun'ya Satō, contrairement aux films américains, il existe peu, voire pas du tout, de passagers pour lesquels le spectateur occidental est susceptible d’éprouver un sentiment d’empathie. Mis à part les acteurs qui œuvrent à solutionner les problèmes (conducteur du train, responsable des chemins de fer japonais, responsable du terminal de contrôle de la circulation des Shinkansen, les enquêteurs ou le groupe de poseurs de bombe), les passagers du train ne bénéficient pas d’un traitement particulier. Point de caractérisation individuelle, ou très peu et uniquement en des circonstances qui tendent à prouver l’inquiétude des passagers du train, point d’approche psychologique ou encore aucune attitude singulière ou mystérieuse apte à séduire le public.
Super Express 109 repose sur d’autres logiques. D’abord, le film revendique une approche sociale de l’événement qui peut conduire à une catastrophe dans la mesure où le personnage le plus élaboré de Super Express 109 est le cerveau du groupe terroriste. Le cinéaste déploie, à partir des ressorts du film catastrophe, toute une ramification scénaristique sur les raisons qui ont poussé Tetsuo Akita (Ken Takakura) à se transformer en poseur de bombe méticuleux. Les liens de causalité se définissent par de surprenants flash-backs qui soulignent l’importance de la crise vécue par les Japonais lors du choc pétrolier de 1973. Déchéance, isolement, destruction du corpus social et familial, etc. Akita, entrepreneur ruiné et abandonné des siens, prend les armes. Pour ne pas abdiquer devant une situation que le gouvernement tente d’étouffer ou de modérer comptant sur la discrétion culturelle qui caractérise tout Japonais. Mais pas Akita. Il n’a plus rien à perdre. Changer de vie c’est d’une certaine manière mourir. Alors, réclamer de l’argent contre une méthode de désamorçage de la bombe passe du statut d’hypothèse à celui de solution. Quoiqu’il arrive, il ne sert à rien de vivre ou de survivre dans le cas d’Akita. Alors, pourquoi pas ? En cas d’échec, son cas servira à éveiller les consciences ou au moins à imposer un débat sur les déclassifications sociales.
Super express 109 se transforme alors tragédie des temps modernes. La figure d’Akita peint le portrait d’un homme banal, sans histoire qui décide de ne pas accepter le sort que la société lui réserve. Son geste, ainsi que celui de ses trois compagnons de forfaiture, est un message. Un cri. Le désespoir est une arme absolue. Derrière Akita se cache une très grande partie de la population. Le sort réservé à Akita concerne des millions d’individus. Alors Akita sera, contre toute attente pour nous, occidentaux, le personnage par lequel le spectateur habitera le film. Il y en a d’autres, bien sûr, qui seront autant de figures positives mais aucun ne sera aussi travaillé et développé que le personnage incarné par Ken Takakura.
Au-delà de cet inhabituel parti pris, pour le spectateur de l’époque, le film témoigne de qualités également étonnantes. Les scènes d’actions sont particulièrement réussies et notamment tout ce qui concerne les vues extérieures du train. Les transitions qui relient les prises de vue de véritables Shinkansen à celles effectuées sur des maquettes impressionnent. Le choix de filmer des maquettes a été déterminé par la nécessité de mieux contrôler le spectaculaire de quelques importantes péripéties liées au trajet de l’Hikari 109. Les mouvements de caméra sur des trains miniatures autorisent quelques prises de vue audacieuses comme ce plan où la caméra effectue un travelling descendant entre deux trains qui se croisent pour finir en contreplongée afin d’inscrire ce qui se trame dans une dimension héroïque.
Rien à redire, Super Express 109, réelle découverte, bénéficie d’une belle édition. Super Express 109, présenté dans sa version intégrale, est un film qui mêle astucieusement l’efficacité requise par le film catastrophe à un contenu aux accents sociaux et politiques des plus passionnants.
Crédit photographique : Copyright 1975 ToeiCompany, LTD. Tous droits réservés
SUPPLÉMENTS (EN HD*)
. UN EXPRESS POUPÉE RUSSE (20 min – HD)
. GROS FILM, GROSSE PANIQUE : JUNYA SATO À PROPOS DE "SUPER EXPRESS 109" (25 min – HD)
. "SUPER EXPRESS 109" [VERSION FRANÇAISE]** (100 min)
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• FAC-SIMILÉ DE EIGA CHIRASHI (PROGRAMME DE CINÉMA JAPONAIS)
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