Splitscreen-review Image de Debout les femmes ! de Gilles Perret et François Ruffin

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Debout les femmes !

Publié par - 25 mars 2022

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Au début, avant le film de Gilles Perret et François Ruffin, avant Debout les femmes !, il y a une improbable mission parlementaire confiée à deux députés que tout oppose en apparence. La mission ? Rédiger un rapport assorti de propositions à soumettre à l’Assemblée nationale pour la reconnaissance des métiers du lien. Quatre professions sont au cœur de ce rapport : assistante maternelle, accompagnante d’enfants en situation de handicap, animatrice périscolaire et auxiliaire de vie sociale. Pour mener à bien cette mission parlementaire, un duo de députés est constitué : « l’insoumis » François Ruffin sera accompagné du « marcheur » Bruno Bonnell. Même si on se doute que l’étude associée à cette mission ne suscitera pas un grand intérêt de la part de nos députés (se poser la question du pourquoi de cette certitude), l’entreprise a le mérite d’exister. D’autant que ce rapport aurait pu être étouffé (on a bien tenté de le faire…voir le film pour comprendre le sort réservé aux propositions formulées par les deux députés) mais le film contredit la disparition programmée du rapport de François Ruffin et de Bruno Bonnell. Tout sépare les deux députés, nous l’avons dit. Il faudra pourtant faire cause commune, il faudra qu’ils écoutent, rédigent, agissent, débattent et proposent des solutions pour la reconnaissance (souhaitée, espérée parce qu’essentielle) de ces professions.Splitscreen-review Image de Debout les femmes ! de Gilles Perret et François Ruffin

Entre alors dans le processus un tiers, un observateur, Gilles Perret, auteur de quelques documentaires remarqués (L’insoumis, La sociale, De mémoires d’ouvriers, etc.). Si le rapport est mort avant d’avoir été débattu, un film existera. Et personne ne pourra effacer cette trace laissée par les images. La première surprise du spectateur arrive très tôt dans le film. Ruffin et Bonnell s’accordent. Ils s’entendent autour d’un projet commun. Ils laissent derrière eux le rôle que leur assigne leur groupe parlementaire pour redevenir des hommes, des citoyens chargés de formuler des propositions en leur âme et conscience sur un sujet qui ne devrait plus faire débat parce qu’il y eut les mots chaleureux (une promesse ?) de notre Président de la République : « Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays aujourd’hui tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Oui mais voilà, ces beaux principes rejoignent l’ensemble des propos politiques de notre époque et l’amnésie qui résulte de la multiplicité de propos similaires. Ce ne sont pas des promesses (ah ! finalement, non), ce ne sont que des annonces, des éléments de communication destinés à traverser l’espace public sans que personne ne les relève. C’est que la mémoire, celle du politique ou celle du citoyen, peu importe, est soluble dans le temps. Un temps de plus en plus court d’ailleurs.Splitscreen-review Image de Debout les femmes ! de Gilles Perret et François Ruffin

En dehors de l’hémicycle, les masques tombent. Une fois le théâtre politique derrière soi, les deux hommes (Ruffin et Bonnell) se lancent dans un travail qui relève d’abord de la collecte de témoignages. Le film enregistre des moments où la parole se libère. Tous les récits recueillis définissent un monde invisible, même au cinéma. Même si Ouistreham d’Emmanuel Carrère apparaît comme un lointain cousin de Debout les femmes !, même si quelques cinéastes (Brizé, Delépine et Kervern par exemple) tentent encore de faire exister une France occultée par une autre France. En Inde, il existe des groupes d’individus que l’on nomme les Intouchables, les Dalits. Ce sont des individus, hommes ou femmes, qui agissent en dehors du système des castes et qui sont affectés à des métiers jugés impurs selon des principes religieux. Un autre monde ? Au regard de l’attention prêtée aux femmes et aux hommes (majoritairement des femmes tout de même) qui occupent ces métiers du lien, le résultat est identique. En Inde, on méprise (même si on en a besoin) les Intouchables, on les ignore, on ne les regarde pas. En France, nous avons rendu invisibles les assistantes maternelles, les accompagnantes d’enfants en situation de handicap, les animatrices périscolaires et les auxiliaires de vie sociale. On ne les voit pas, on ne les montre pas. On n’y tient pas. On s’en fiche ? À ce point ? Lutte des classes, même sous un nouveau visage, pas morte.Splitscreen-review Image de Debout les femmes ! de Gilles Perret et François Ruffin

Il est étonnant de songer que nous considérons que les femmes que le film observe dans leur travail ou dans leur vie privée n’existent que par le travail qu’elles fournissent. Elles ont nettoyé, frotté, récuré. On sait qu’elles sont passées, on sait qu’elles ont officié mais on ne les a pas vues. Mais cela soulève une question fondamentale : notre attitude relève d’une déshumanisation de ces personnes. Sinon pourquoi ne pouvons-nous considérer ces professions dignes de bénéficier d’un statut minimal ? Car c’est bien ce qui se passe. Ici, pas en Inde ou ailleurs mais en France. Comment peut-on traiter l’autre ainsi ? Hélas, cette invisibilité planifiée nous renseigne sur ce que nous sommes. Et ce n'est pas glorieux.

Le parcours des deux députés et le contenu de leur rapport sont riches d’enseignements. Debout les femmes ! a le mérite de donner de la visibilité aux femmes qui occupent ces emplois dont personne ne parle mais qui nous concerne tous ou qui nous concernerons tous un jour ou l’autre. Des femmes ? N’y aurait-il pas dans ce simple constat un élément qui participe grandement à l’invisibilité évoquée ? Le film vaut également pour ce qu’il nous raconte du fonctionnement de nos institutions et de la considération du rôle du politique. Debout les femmes !, finalement, nous raconte des choses sur nous, sur notre société. Un peu comme prévu, il fut peu question de cinéma dans cette chronique. On s’en fiche. L’essentiel est ailleurs. Le film a su, qualité première ici, se faire humble et s’effacer devant les personnes filmées. Alors nous aussi, effaçons-nous.

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Crédit photographique : Copyright Erwan Lesné / Copyright Gilles Perret - Les 400 clous 001

Suppléments :
Rencontre avec Gilles Perret et François Ruffin (13 min)
Entretien avec Geneviève Fraisse, philosophe de la pensée féministe, directrice de recherche émérite au CNRS (27 min)
Scènes coupées
Clip de la tournée
Témoignages

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