Splitscreen-review Image de La chair et le sang de Paul Verhoeven

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La chair et le sang

Publié par - 22 avril 2022

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Il est fort enthousiasmant qu’un peu moins d’un an après la présentation de Benedetta au Festival de Cannes, Carlotta films choisisse d’ajouter à sa remarquable série de coffret Ultra Collector La chair et le sang de Paul Verhoeven. Ce qui est particulièrement réjouissant dans cette concordance des temps, c’est de constater et de noter la présence de nombreux liens et de passerelles qui existent entre le film qui a servi de trait d’union entre la carrière européenne de Verhoeven et son arrivée à Hollywood, La chair et le sang, et les films plus matures qui suivront sa période américaine (Black book, Elle et bien sûr Benedetta).

Revoir de nos jours La chair et le sang nous livre d’abondantes informations pour lire avec plus de justesse les films récents du cinéaste. Grâce notamment à la présence de certaines problématiques communes à La chair et le sang et à Benedetta (récurrentes dans l’œuvre globale) qui se mâtinent d’un film à l’autre de quelques éléments omniprésents. Le tout structurant la mise en place d’une pensée ou d’un regard singuliers sur le monde. Dans ce qui interagit entre les thématiques, le style et la présence de configurations scéniques spécifiques, trois sujets traversent le temps et l’œuvre de Verhoeven : le sexe associé à la possibilité de mesurer l’évolution d’une civilisation, la violence qui reflète les dysfonctionnements socio-politiques de notre temps et, enfin, la religion.

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Trois concepts qui font l’objet de crispation dès lors qu’une action réciproque intervient dans la dramaturgie. Car il est rassurant ou de bon ton de croire que le sexe, la violence et la religion sont des phénomènes distincts qui n’interfèrent jamais entre eux. C’est tout l’inverse selon Verhoeven. Dans l’interpolation des concepts les uns aux autres, une intention semble émerger. Celle qui consiste à évaluer l’humain en fonction des pulsions ou des faiblesses qui le gouvernent.

En ce point précis, la démarche du cinéaste n’est pas sans évoquer celle qui traversait l’œuvre hitchcockienne. Un film de Verhoeven a pour objet d’éveiller et de questionner ce qui sommeille en chaque spectateur. Pour interroger autant l’intellect que l’inconscient du public, Verhoeven use, au sens littéral du terme, de la caricature. Le cinéaste compose ainsi une série de figures de style qui relèvent toutes de l’exagération, de la disproportion, de la démesure. C’est alors que de manière inconsciente opère un processus qui prétend contraindre le spectateur à examiner inconsciemment sa propre vision du monde. Voir un film de Verhoeven, c’est accepter de passer ses propres certitudes au révélateur de nos incohérences intimes.

Ainsi, les anachronismes, les contradictions et la confusion qui règnent dans ses films en costumes comme La chair et le sang visent surtout à inspirer des sentiments qui, paradoxalement, en s’éloignant de la raison, invitent le spectateur à envisager une forme de justesse morale commune. Ce qui se diffuse alors n’est pas sans rappeler des impressions proches de celles qui étreignent l’observateur de peintures grotesques. Ce type de toiles (Bosch, Brueghel) constitue d’ailleurs, Verhoeven ne s’en est jamais caché, les inspirations visuelles de son œuvre. Verhoeven perçoit ces univers picturaux comme des incubateurs parce que s’y déploie l’intentionnalité de représenter, grâce à un réalisme brut teinté parfois d’extrapolations notables, le monde tel qu’il est. Là est finalement l’essence du cinéma de Verhoeven, montrer le monde dans tous ses états et exposer au regard d’un observateur un quotidien dépourvu de tabou.

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Au cœur de ce schéma qui travaille toute l’œuvre, Verhoeven explore à sa façon ce qui sépare la réalité objective des choses et la manière dont cette réalité est perçue et acceptée. C’est ici que l’approche du religieux prend tout son sens. Si Fellini en son temps dissociait la croyance individuelle de la superstition, il n’en est rien chez Verhoeven. Pour le cinéaste hollandais, les deux principes se répondent, se confondent, se superposent, se prolongent et même cohabitent parfois. Les images que le cinéaste crée sont-elles blasphématoires ou bien nous invitent-elles à repenser les petits arrangements métaphysiques que l’humain n’hésite pas à formuler intérieurement ? L’image de Benedetta, enfant, en train de téter le sein d’une statue de la Vierge est-elle le reflet d’une offense revendiquée ou la matérialisation de l’innocence ? Dans La chair et le sang, l’image d’une statue utilisée par certains afin d’imposer au groupe un chemin à emprunter est-elle sacrilège ou l’expression d’un calcul qui renseigne sur l’humain qui exploite son intelligence pour assujettir autrui ? En ce cas, il ne s’agit pas que d’une vision propre au cinéaste, il ne s’agit pas que d’un film, il s’agit surtout de nous, du public : que voyons-nous ou plutôt que voulons-nous voir dans les situations décrites plus haut ?

Dans la Chair et le sang, il est sans doute possible de trouver, en toute objectivité, quelques éléments de réponses à ces questions. Le religieux et les phénomènes superstitieux qui l’accompagnent inévitablement sont traités de manière frontale. Un groupe de mercenaires, accompagné de plusieurs femmes, erre sans but réel à travers l’Europe de l’Ouest. Le groupe s’est constitué sur le principe d’adjonction des contraires. Un leader se détache néanmoins de la troupe, Martin (Rutger Hauer). Il y a un autre individu important et intriguant dans ce groupe, le Cardinal (Ronald Lacey). Il est une sorte de garant moral et, surtout, celui qui légitime les exactions commises au nom d’une religion qui est en accord avec l’intérêt personnel de ceux qui dominent le groupe, Martin et lui-même, le Cardinal. Le rôle du Cardinal prend une autre ampleur lorsque le groupe découvre, à l’occasion de pluies diluviennes, une statue de St Martin.

Entre Martin, le leader, le Cardinal, le guide spirituel, et la statue du Saint s’établit très vite un jeu de correspondances. Les pouvoirs des deux hommes exercés sur les pillards s’équilibrent. Martin devient une allégorie. Martin partage son nom avec l’effigie du Saint consacré protecteur de la bande. L’humain est ainsi élevé au rang d’une divinité par un groupe de soudards. Le Cardinal traduit pour le groupe ce que la statue lui intime de faire ou de dire. Le Cardinal joue le jeu, Martin aussi. Les éléments mis en place, a priori grossièrement, ouvrent de nouveaux espaces de compréhension. À l’évidence, le film ne fera certainement pas l’économie d’un regard sur la considération du religieux mais il sera surtout question d’examiner avec combien de malignité l’humain est capable de calculs pour travestir toute forme de croyance afin que cette dernière serve ses propres intérêts.

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Souvent, pour ces raisons, Verhoeven fut qualifié d’iconoclaste. S’il n’a jamais dissimulé son athéisme, ce n’est sans doute pas cette simple idée ou cette idée simpliste de la destruction ou de la profanation d’une imagerie religieuse qui anime le cinéaste. Car tout le dispositif de la mise en scène est tourné vers une dynamique argumentative qui rejoint ce que nous décrivions en amont à propos des intentions du cinéaste. Il est toujours question de s’adresser aux spectateurs quant au regard que ces derniers posent sur les choses.

Prenons par exemple la construction des films de Verhoeven. Le cinéaste se plaît à développer des blocs de film. Nommons-les ainsi puisque ces « tableaux » échappent aux principes habituels du découpage d’un film en séquences et en plans. Dans ces blocs, les images ne sont pas forcément soumises au développement d’une problématique circonscrite à une unité de temps et de lieu. Ces ensembles d’images sont unifiés par des questions qui se déploient au-delà des limites du découpage traditionnel. Là encore, une interpolation agit et cela permet au cinéaste d’étendre ses réflexions à tout le paysage et à toute la faune que ses œuvres examinent. Ceci lui permet aussi de transcender les frontières qui existent entre certains concepts distincts. Ainsi, le trivial côtoie logiquement le philosophique et l’horreur absolue fraye naturellement avec le grotesque.

Cet aspect de la mise en scène de Verhoeven a souvent été interprété comme une façon cynique voire nihiliste d’observer les choses. Mais cette très belle édition de La chair et le sang nous autorise à envisager d’autres hypothèses. Ne serait-il pas plutôt judicieux de voir dans cette présence en apparence incongrue de la satire là où on ne l'attend pas une façon d’autoriser le spectateur à se détacher des événements peints pour déterminer les réels enjeux des films ? Le simple fait de formuler cette considération nous indique qu’il ne faut surtout pas se limiter aux impressions premières ou à une réaction épidermique pour qualifier le cinéma de Verhoeven. Bien au contraire. Il faut sans arrêt soupçonner que des idées naviguent de manière souterraine et que toutes sont guidées par la volonté de portraiturer la condition humaine.

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Crédit photographique : © 1985 Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved.

SUPPLÉMENTS (EN HD)*

. COMMENTAIRE AUDIO DE PAUL VERHOEVEN (VOSTF)

. RENCONTRE AVEC PAUL VERHOEVEN* (22 mn)
. ENTRETIEN AVEC GERARD SOETEMAN (18 mn)
. COMPOSER "LA CHAIR ET LE SANG" (13 mn)
. BANDE-ANNONCE*

* en HD sur la version Blu-ray Disc™

UN LIVRE DE 160 PAGES
(INCLUS 40 PHOTOS D’ARCHIVES)

"COMMENT SURVIVRE"
LA CHAIR ET LE SANG PAR OLIVIER PÈRE
AVEC LA COLLABORATION DE FRANÇOIS COGNARD POUR LES PHOTOGRAPHIES DE TOURNAGE

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