Splitscreen-review Image de Anatomy of time de Jakrawal Nilthamrong

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Anatomy of time

Publié par - 4 mai 2022

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

 

Comme un puzzle défait dont les pièces sont perdues, Anatomy of Time ne semble pas avoir de réelle fin (ni de début d’ailleurs…). Des scènes sans lien direct se succèdent et laissent au spectateur des bribes d’informations éparses. Dans le prolongement du précédent long-métrage de Jakrawak Nilthamrong, Vanishing Point (2015), nous retrouvons ici un des objets de réflexion préférés du réalisateur, le pouvoir du temps.

Le film se perd dans deux temporalités. La première, dans une ambiance crispée où le temps semble figé dans cette maison (comme si elle était bourrée de souvenirs), vit Maem, une femme âgée qui apporte seule les soins nécessaires à son mari alité et à l’article de la mort. Dans la seconde temporalité, une jeune femme se laisse courtiser par deux hommes. La société de cet espace-temps est moins développée technologiquement et la nature suscite l’émerveillement auprès de la jeunesse. On ne tardera pas à comprendre que ces deux femmes n’en constituent qu’une seule et unique, Maem. Bien qu’elle soit la même personne, l’atmosphère qui se dégage des deux temporalités souligne une vie pleine d’expériences mûrissantes pour Maem. Alors que la jeune Maem se laisse toucher par la fascination et la découverte, elle se permet de commettre des erreurs qui trahissent l’innocence de la jeunesse et l’inexpérience. Courtisée par Don qui lui fait rencontrer un chasseur de miel, elle se laisse attendrir par ce qui l’entoure sans se préoccuper du danger qu’elle encourt ou qu’elle fait encourir à Don. Cette mise en garde contre les abeilles reines qui tuent les mâles les approchant pour l’accouplement passe inaperçue pour Maem qui n’anticipe pas le danger qui menace Don en la fréquentant. Un officier sans scrupules n’hésite pas à “l’éliminer” pour acquérir sa reine.

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Anatomy of Time n’occulte rien de l’instabilité politique de la Thaïlande bien que Jakrawak Nilthamrong n'ait pas cherché à retranscrire les faits de manière objective pour ne pas obstruer la subjectivité associée au regard de Maem que le spectateur partage. L’officier qui a contribué à rendre instable l’univers de la jeune femme et ayant causé la mort de centaines de personnes se retrouve par la suite accablé par la honte au sein d’une population qui le rejette. La sérénité lui est impossible et malgré les efforts déployés par Maem pour l’aider, il ne parviendra jamais à trouver la paix.

60 ans plus tard, c’est pourtant avec cet officier, malgré les tourments causés par ce dernier, que Maem se retrouve. On ne saura jamais précisément ce qui l’aura poussé à faire ce choix. Pourtant, dans un amour disparu, Maem s’évertue malgré son âge à maintenir la santé de son mari. Nous pouvons supposer qu’elle se sent coupable de ce qui est arrivé à Don et qu’elle vit là une forme d’expiation. Les choix effectués par le passé sont les liens de causalité qui marquent le présent au fer rouge. Le temps, relié à l’évolution du personnage, semble s’être ralenti. Quand la jeune Maem se rend compte de ses erreurs, elle vient demander conseil à son père, horloger. Bizarrement, sa maîtrise du temps et son savoir sur les religions lui confèrent un état supérieur de sagesse, comme s’il avait aiguisé son regard sur le monde, comme s’il avait lui-même procédé à l’étude du temps (le sien) pour acquérir les réponses dont il a besoin.

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Bien que l’histoire s’ouvre sur une mort, à l’image de la vie, elle suit son cours. La répétition des naissances et des morts tout au long du film laisse le sentiment que l’existence ne périt pas lorsque l’être disparaît. Dans sa mort, le mari se transforme en bloc mémoriel et l’histoire se poursuit. Ancrée dans les valeurs bouddhistes, la nature prend une place prédominante au sein du développement personnel de Maem. De nombreuses séquences s’attardent sur l’observation détaillée et l’écoute de celle-ci.

Le réalisateur donne vie à la nature, celle-ci est traitée comme un personnage à part entière. La nature possède, selon Jakrawak Nilthamrong, « son [propre] langage, ses propres expériences et sa conscience ». Le rapport entre la nature et Maem devient finalement fusionnel, permettant un accès à la spiritualité et le personnage peut trouver des réponses à ses questions existentielles et se perdre dans les réflexions qu’elle lui inspire.

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Crédit photographique : Copyright Damned Distribution

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