Nous sommes dans les années 80 à New York. Lumières tamisées, bruits caractéristiques, Bette Gordon souligne la fascination éprouvée pour l’atmosphère new-yorkaise de ce temps et prend le temps de filmer l’ambiance des bas-fonds de la ville. C’est en découvrant New York et à travers les relations entre la photographe américaine Nan Goldin et la réalisatrice irlandaise Vivienne Dick, connue pour la photographie intitulée Vivienne in Green Dress prise durant le tournage, que Bette Gordon élabora Variety, sorti en 1974.
À une époque où le mouvement féministe commence à se faire entendre, Variety offre une perspective controversée liée aux thématiques de la sexualité, du désir et du pouvoir. Pour certains même, elle pourrait se montrer impudente quant au moyen d’expression utilisé : la pornographie. Ce sont d’ailleurs des sujets évoqués dans Empty Suitcases, réalisé en 1980. Un film qui se développait autour d’une vision de la sexualité et du pouvoir pour tracer sa propre voie en explorant des concepts particuliers comme le phénomène de représentation et de l’identification au cinéma.
Quant à Variety, la réalisatrice a cette fois-ci voulu se pencher sur la question du regard. Dans sa quête de cette représentation portant un point de vue féministe, la protagoniste Christine (à côté de laquelle se positionne le spectateur) prend le rôle d’une voyeuse intriguée par un mystérieux homme mais également par tout un univers caché et obscur, pornographique et dangereux dans lequel elle n’a jamais réellement mis les pieds.
Le fait de choisir comme héroïne une femme blonde, Christine (Sandy McLeod), renverse les codes du film noir hitchcockien dont Bette Gordon, qui admire le cinéaste, s’est inspirée. L’obsession pour cet homme plongé dans ce monde retranscrit la curiosité audacieuse et le désir inassouvissable de la protagoniste. L’idée principale derrière ce propos est d’inciter le spectateur à trouver une manière d’exploiter à sa manière ses désirs profonds non assumés, de matérialiser et de formuler une représentation du fantasme et du plaisir féminin. L’héroïne sert de guide.
Le générique d’ouverture annonce déjà l’intention première de la réalisatrice à travers une flaque miroitant les affiches rouges d’un magasin. La cinéaste installe une ambiance, elle définit un univers dans lequel le film s’inscrit. Mais il est également question ici d’interroger d’emblée le regard. Le reflet est un regard en biais, un regard de côté, indirect qui s’enrichit de ses propres réflexions.
L’aboutissant du film est au premier abord frustrant : Bette Gordon filme le vide qui existe entre le désir et la satisfaction. Une sorte de néant dans lequel le film s’installe, s’arrête et prive ainsi le spectateur de toute satisfaction normalement mise en scène pour créer au moins un climax (qui généralement est relativement facile à anticiper pour assurer l’attention et la satisfaction du spectateur). Le film entier repose alors sur une seule donnée de l’équation, celle du désir. Et ce désir ne sera jamais assouvi par la satisfaction de celui-ci. On pourrait même songer que Variety n’est, dans sa totalité, qu’une introduction à une suite de thrillers ou de films noirs où la protagoniste sortirait enfin de ses histoires pour les vivre. Et en conséquence, la réalisatrice promet l’insoumission de la protagoniste pour la suite du scénario.
La couleur rouge sert d’indice. Elle manifeste les désirs implicites du personnage. Même si la couleur est peu assumée, discrète, elle n’en est pas moins qu’elle est présente de manière implicite : le désir est présent, mais étouffé. Le film nous donne d’ailleurs à observer l’évolution de la conscience du désir de l’héroïne : au départ, rien n’indique clairement la volonté d’être regardée. Seulement quelques symboles qui prouvent que le désir vit dans les premiers plans, la protagoniste porte un maillot de bain crème aux rayures rouges qui convergent vers le bas. De plus, le lieu, une piscine, introduit discrètement la notion d’exhibition, de fantasme et de curiosité.
Dans cette séquence comme durant toute la durée du film, les plans sont disposés de manière à supprimer l’intimité du/des protagoniste/s : une porte, une fenêtre, un miroir ou même un simple reflet, jamais le protagoniste ne se retrouve seul avec lui-même. Cette proximité est telle qu’on pourrait mélanger le regard au toucher. Cela renforce ainsi l’omniprésence du fantasme et du désir dans un quotidien presque déterminé par ces sensations. On peut citer en exemple la cabine très étroite du caissier du Variety dans laquelle se trouve Christine. La jeune femme devient un objet de convoitise comme si elle était exposée en vitrine d’un magasin qui promet autant de suggestions que de fantasmes, que de projections.
Cette conception du désir exhibitionniste coexiste alors avec celle du voyeurisme et rappelle une des caractéristiques essentielles du cinéma dont l’objectif est de capter l’attention du spectateur et de susciter un intérêt plus ou moins conscient pour les acteurs ou les situations qui suscitent une attention particulière.
Bien que le film interroge sur la forme filmique et la question du regard et/ou du voyeurisme, cette histoire n’en est qu’une parmi tant d’autres, elle n’est que prétexte à des spéculations plus intellectuelles. La narration suit plusieurs directions différentes et chaque piste évoque un sujet ou un procédé propre à lui-même, comme les longs monologues d’anecdotes (finalement vraies ou fausses ?) de Christine et les commérages entre femmes dans le bar. Finalement, Bette Gordon joue avec le processus essentiel pour écrire un scénario : “Tu veux une histoire, je vais te donner une histoire.”
Crédit photographique : Copyright Les Films du Camélia