Splitscreen-review Image de Hit the road de Panah Panahi

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Hit the road

Publié par - 29 août 2022

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Le cinéma iranien n’en finit pas de nous étonner par sa capacité à se renouveler. Nous ne cessons depuis quelques mois de louer les talents de cinéastes confirmés (Asghar Farhadi, Mohammad Rasoulof, Jafar Panahi) et nous ne cachons pas notre enthousiasme lorsque nous découvrons les travaux de jeunes cinéastes passionnants comme en témoignent les deux articles consacrés à Leïla et ses frères, le nouveau film de Saeed Roustaee. Nom auquel il conviendra d’ajouter, pour compléter notre engouement pour la nouvelle génération des cinéastes iraniens, celui de Panah Panahi. Le jeune réalisateur est l’auteur d’un premier long-métrage intitulé Hit the road qui nous a paru, malgré son sujet, pour le moins euphorisant.

Nous découvrons, dans une voiture garée au bord d’une route qui les mènera on ne sait où pour l’instant, une famille composée de quatre individus, le père, la mère, un petit garçon et un jeune homme. Et n’oublions pas le chien Jessy qui apparaîtra peu après et qui aura, au moins pour les échos narratifs que sa présence à l’écran convoque, un rôle important dans le déroulement de l’histoire. Dans la voiture, le père est assoupi, une jambe plâtrée. Première étrangeté du film, le plâtre a été posé sur le pantalon et non au contact de la peau comme il est d’usage pour ce type d’acte médical. L’enfant pianote sur un clavier dessiné au feutre sur le plâtre du père. Ses gestes sont raccords avec la musique que le spectateur entend. Il joue, il interprète, enfin il simule le geste, on joue avec le réel. La voiture, qui plus est parce que nous sommes en Iran, est associée à une réflexion sur la création filmique. Mais non, pas ici. Un mouvement de caméra va transformer la voiture en autre chose. Un panoramique à 360° réunit les 4 occupants du véhicule et laisse découvrir où ils se positionnent dans la voiture. Le véhicule n’est pas au centre du processus filmique. Devant, la mère, côté passager et à la place du conducteur, le fils aîné, mutique, derrière, nous l’avons dit, le père et l’enfant. La voiture ne sera pas une matérialisation des possibilités offertes par la cinétique car, par l’intermédiaire du panoramique, l’habitacle se transforme en espace de représentation. Le véhicule est un théâtre. Reste à savoir, à comprendre ou à deviner ce qui va s’y jouer.

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Hit the road s’ouvre sur une tonalité comique. Le gamin, insupportable et hilarant, envahit tout l’espace avec ses excès de langage, ses gesticulations ou ses ruses pour conserver son téléphone portable (mais pourquoi diable les parents souhaitent-ils enterrer le portable au bord de la route et le récupérer sur le trajet du retour ?). Le principe dilue les enjeux narratifs. On perd le sens de la réalité et les questionnements habituels se dissipent : que font-ils ici ? Où vont-ils ? Pourquoi le frère aîné ne dit-il rien ? Pourquoi cette musique classique mélancolique, extérieure au contenu filmique, s’invite-t-elle dans le discours ?

Et puis, mine de rien, des éléments informent le public sur quelques intentions. À titre d’exemple, tout semble opposer les deux frères. L’âge, d’abord. Et puis leur attitude, aussi, puisque l’un ne dit rien, l’aîné, et l’autre ne cesse de parler et de hurler, le plus jeune. Le plus âgé estime que son film préféré est 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (film par ailleurs cité explicitement dans Hit the road) tandis que le plus jeune ne jure que par Batman, le super-héros tourmenté. Cette cohabitation des contraires est exposée dès l’entame du film : l’enfant somme la voiture d’avancer, comme s’il était le capitaine d’un quelconque vaisseau, tandis que son frère aîné reculera par accident ou par esprit de contradiction.

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Le but du voyage se révèle au fur et à mesure. Parce que des phrases ou plutôt des bribes de phrases et des attitudes, des gestes filmés avec précision, des rictus, des regards renseignent sur la finalité du voyage et nous disent autre chose que la raison évoquée pour contenter les attentes de l’enfant qui s’interroge sur le but du périple. Il s’agit d’une fuite. Vers quoi ? Pour quelle raison ? Rien n’est précisé mais tout est suggéré. Les raisons données au plus jeune sont prononcées de telle manière que le spectateur adhère difficilement à l’explication fournie. Au bout du chemin, l’aîné doit retrouver une jeune femme dans le but de se marier. À voir. Le spectateur attentif peinera à croire ce qui est dit à l’enfant. Il faut alors accepter de se détacher du contenu afin d’observer la mise en forme du propos pour comprendre l’essentiel. C’est-à-dire comment, sans y paraître, le deuil d’une relation opère, comment la présence d’un proche se transforme en absence, comment la compagnie de l’autre s’atténue au fil des kilomètres jusqu’à s’habituer à la privation d’un être cher. À défaut, la mise en scène indique comment les personnages se résignent. Le spectateur comprend alors que la musique qui ouvre le film est une méditation mélancolique inconsciente qui touche tous les protagonistes. Le trajet est celui d’un apprentissage multiple qui consiste pour chacun à se passer de la présence physique de l’autre et à accepter la violence des sentiments qui en résultent.

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Peu d’intimité dans l’espace confiné de la voiture. En revanche, habilement, la mise en scène réserve des moments où le temps filmique semble suspendu. Comme pour freiner le temps et retarder le moment où l’inéluctable prend corps. Les personnages s’isolent du groupe en s’adressant directement au spectateur. Souvent, ils s’emparent du cadre filmique pour bien signifier au spectateur combien leur pensée interfère avec ce qui se déroule en arrière-plan. On ne voit qu’un individu qui nous impose de partager un temps intime en sa compagnie. Une pensée se dévoile, un état d’âme aussi lorsque par exemple des chansons issues du répertoire iranien (toutes antérieures à la révolution islamique de 1978/1979) sont soudainement chantées également dans l’habitacle du véhicule par un ou plusieurs personnages (notons que tous les interprètes originaux de ces chansons ont dû quitter l’Iran ; une coïncidence ? Nous n’y croyons guère). Ainsi, à titre d’exemple, le spectateur comprendra que l’insouciance qui caractérisait le plus jeune de la famille l’abandonne lorsqu’il reprendra les paroles d’une chanson en regardant la caméra après avoir vécu un moment émotionnel difficile. Il aura fait l’expérience de la souffrance. Car les paroles des chansons sont des échos plus ou moins directs de ce qui se joue dans et autour de cette voiture.

En réunissant plusieurs genres filmiques, Panah Panahi réussit à composer avec Hit the road un film symphonique qui se plaît à greffer sur une logique représentative habituelle au cinéma iranien un regard nouveau, un regard en biais qui, finalement, rejoint nombre de préoccupations déjà observées en d’autres temps. L’intérêt réside justement dans cette manière de prolonger, de contourner, d’agglomérer les strates esthétiques qui empruntent autant à la pensée iranienne qu’à une pensée occidentale pour finalement définir un style singulier. Celui de Panah Panahi. Et il nous faut alors garder en tête que, dès son premier film, Panah Panahi a su traduire des réflexions complexes tout en faisant le choix d’inscrire son œuvre dans des normes formelles universelles. La réussite de cette entreprise témoigne d’un talent évident que nous nous plairons d’observer à nouveau.

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Crédit photographique : Copyright JP Productions

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