Splitscreen-review Image de Flee de Jonas Poher Rasmussen

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Flee

Publié par - 2 septembre 2022

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Flee, si on traduit ce titre, signifie la fuite. Flee, le film d’animation de Jonas Poher Rasmussen, aurait tout aussi bien pu s’appeler l’exil. Car c’est bien de cela dont il est question ici. L’exil d’un jeune Afghan, Amin, et de sa famille orpheline d’un père arrêté après le coup d’état pro-soviétique pour des raisons que le film ne divulguera pas. C’est que Flee assume une subjectivité, celle d’Amin. Le film ne nous montrera que ce que Amin dit, se souvient ou imagine. Le propos fluctue donc en fonction des souvenirs et de la compréhension des événements d’Amin. Flee rejoint un processus déjà aperçu, pour ne citer que le film le plus connu du genre, dans Valse avec Bachir d’Ari Folman. Il s’agit de coller à une réalité vécue par le biais du cinéma d’animation.

Le récit est celui d’un jeune garçon que les changements de régimes dictatoriaux contraignent à l’exil. Amin ne comprend pas tout car l’exil commence alors qu’il est encore enfant. Lorsqu’il raconte son parcours, le film s’appuie sur différents niveaux de mémoires qui se traduisent par différentes natures d’images : un dessin assez précis et très simple pour les souvenirs de l’enfance d’Amin, un dessin incomplet, aux traits rugueux, plus directs, plus vifs pour dire les peurs ou les incertitudes qui encadrent des moments précis et chaotiques de l’histoire d’Amin, des images d’archives en prise de vue réelle empruntées aux reportages et documentaires qui contextualisent le propos et un dessin plus fouillé et plus complexe pour le présent.

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Cette combinaison de différentes textures d’image souligne un point crucial du développement du film et rejoint le choix du cinéma d’animation : comment montrer l’irreprésentable ? Les différents traumas qui accompagnent la trajectoire d’Amin relèvent le plus souvent de l’indicible. Le contexte, les différents états du jeune homme (fatigue, peur, incompréhension, souffrances physiques et morales, etc.) ne peuvent se retranscrire avec justesse par la reconstitution, alors l’animation s’est imposée.

Le temps a passé et les témoignages qui font état d’un arrachement à une terre, à un lieu, à une culture, à une langue, à des proches sont hélas devenus monnaie courante. Ces phénomènes se sont propagés et le début du XXIème siècle est balisé par ces phénomènes pour lesquels nous avons trouvé un bien joli mot, la migration, pour cacher tout le sordide (nous l’oublions trop souvent) qui se cache derrière.

Derrière ce terme de migration, nous ne voyons que la volonté d’un individu ou d’un groupe d’individus à vouloir s’installer dans un autre pays parce que cet ailleurs semble plus agréable. Mais nous oublions que le terme de migration est conditionné par des raisons politiques, sociales ou économiques et que ces motivations sont à associer à la question de la survie. Dans le cas d’Amin, et de la très grande majorité des migrants actuels, la migration est donc aussi synonyme de déracinement.

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La juxtaposition des strates filmiques (la nature différente des images) fait que le film navigue, parfois de manière surprenante, entre différentes temporalités. Les sons du souvenir envahissent le présent et se superposent à la voix adulte d’Amin qui raconte son histoire et ce qu’il en a conservé pour devenir l’homme qu’il est aujourd’hui. Cette perméabilité des frontières temporelles nous invite forcément à établir des rapprochements avec les histoires tragiques d’individus qui décident, au péril de leur vie, de tenter de franchir les mers situées autour de l’Europe.

L’histoire d’Amin est une histoire parmi tant d’autres. Le drame singulier d’Amin traduit la tragédie collective. La mémoire d’Amin convoque des images. Les plus importantes sont sans doute les images manquantes, celles que l’esprit réinvente pour combler le vide d’un passé amputé de certaines situations, de certains affects. D’où la dureté du dessin en certaines séquences.

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Le film de Jonas Poher Rasmussen est le support d’une résurrection plurielle : celle des origines, celle du passé, celle des moments d’élection. Et puis Flee n’occulte rien de l’expérience du transfert. Déjà parce qu’Amin s’exprime en étant allongé et, le plus souvent, en ne regardant pas celui qui l’interviewe. Ici, un phénomène d’identification s’installe. Le spectateur est invité à intégrer le film par le biais de l’interlocuteur d’Amin. C’est-à-dire par l’écoute. La bande sonore de Flee encourage l’interprétation et, ainsi, crée un espace de communion entre les situations décrites à l’écran et les spectateurs. À force de mots, de sons, l’état des lieux de la mémoire d’Amin que le film formule envahit l’esprit du public invité à se réapproprier les émotions qui émanent de cette histoire.

Flee, par sa construction, parvient à entraîner le spectateur dans la reconstruction d’un sens commun, celui d’Amin, celui des Afghans et celui de l’Occident, qui doit nous permettre à tous de devenir héritiers de cette histoire. Car qu’on le veuille ou non, cette histoire est aussi la nôtre.

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Crédit photographique : Copyright Final Cut for Real

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