Splitscreen-review Image de Les passagers de la nuit de Mikhaël Hers

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Les passagers de la nuit

Publié par - 9 septembre 2022

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Les passagers de la nuit, le quatrième long-métrage de Mikhaël Hers, s’inscrit dans la continuité d’une œuvre placée sous le signe de la délicatesse. Que ce soit lorsqu’il filme le deuil (Ce sentiment de l’été, Amanda), la mélancolie (Memory Lane) ou plus globalement les cassures de l’existence (ce sera encore le cas dans Les passagers de la nuit), Mikhaël Hers s’ingénie à fuir les excès d’effusions en tous genres. Les crises sont là, elles ne sont jamais ni minimisées, ni occultées mais le cinéaste en fait le socle d’un nouveau départ et non la finalité de son propos. Il y a dans son cinéma un attrait pour les êtres capables de surmonter tous types d’écueils afin de se reconstruire. Ce qui touche, ce qui émeut dans le cinéma de Mikhaël Hers, c’est la croyance sans borne du cinéaste dans le pouvoir d’adaptation de l’humain à la marche chaotique de la vie.

C’est sans doute grâce à cette qualité que les films de Mikhaël Hers ne versent jamais, quel qu’en soit le sujet, dans le pathos. Aussi, même lorsque le cinéaste regarde dans le rétroviseur comme ici avec Les passagers de la nuit (les années 1980), les épanchements nostalgiques sont absents des débats. Pourtant tous les éléments sont là : changements de formats d’image, musiques, citations filmiques, etc. Mais le regard porté par la mise en scène sur les années 1980 ignore le regret et la tristesse. Il s’agit de regarder cette époque pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle préfigure de notre temps.

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Les passagers de la nuit s’ouvre sur l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République en 1981 et suit le parcours de différents personnages pendant les sept années du premier mandat du candidat socialiste. Une femme, Élisabeth (Charlotte Gainsbourg), la quarantaine bien sonnée, vient d’être quittée par son époux. Elle va donc devoir s’occuper seule de l’éducation de ses deux enfants Matthias (Quito Rayon Richter) et Judith (Megan Northam). Élisabeth doit trouver un emploi alors qu’elle n’a plus travaillé depuis quelques années. Elle se présente dans les locaux de Radio France afin de postuler comme standardiste pour une émission de radio. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Talulah (Noée Abita), une jeune SDF venue témoigner pour l’émission.

Dans la construction de l’intrigue, notons que les personnages auxquels le film s’attache le plus sont ceux qui se construisent identitairement et affectivement (Matthias) ou ceux qui redéfinissent les contours de leur personnalité (Élisabeth et Talulah). Les autres protagonistes, s’ils ont de l’importance, font l’objet de moins d’attention de la part de la mise en scène. C’est le cas par exemple de Judith dont l’existence, à cette époque, suit une logique immuable (études, départ de l’appartement familial et engagement politique). Il est d’ailleurs curieux de constater que cette période de notre histoire, l’arrivée de la gauche au pouvoir dans les années 1980, incitait et motivait les individus à différentes actions de nature politique comme cela semble être le cas de Judith. Or, les personnages autour desquels gravite la mise en scène n’affichent aucun engagement particulier. La politique, pour eux, se vit au quotidien et elle se manifeste à travers des gestes, des propos, des attitudes qui disent ce qu’ils sont et comment ils s’intègrent à la société de ces années 1980.

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L’habileté de Mikhaël Hers se vérifie aussi par l’attention que le cinéaste prête à l’image du film. Les passagers de la nuit retrouve un grain, une luminosité qui rappellent inévitablement l’esthétique des années 1980. Les citations filmiques, nombreuses et plus ou moins directes, balisent le film. Les présences citationnelles de Rivette, filmé dans le métro, de son film, Le Pont du Nord (extrait et surimpression de Noée Abita sur la carte de Paris) ou encore Les Nuits de la pleine lune d’Éric Rohmer définissent un horizon plastique. Le panorama couvert par Mikhaël Hers est vaste. À travers le personnage interprété par Noée Abita, par exemple, le film s’enrichit à la fois de la présence fantomatique de Pascale Ogier (égérie intellectuelle des années 1980) et de la révélation choc de Sandrine Bonnaire dans Sans toit ni loi d’Agnès Varda. Ces évocations ou ces présences spectrales participent de l’intégration d’atmosphères propres aux cinéastes ou aux films évoqués qui sont ainsi convoqués implicitement dans le film. Ainsi, Les passagers de la nuit accepte d’être à la fois léger, ludique, cérébral et plus grave.

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De la même manière, les strates formelles et narratives s’imbriquent les unes dans les autres. Ainsi, le film mêle habilement des formats d’image hétérogènes : images d’archives (journaux télévisés, reportages), images filmiques diverses (fiction, documentaire) et le format du film. Et puis, pour faire le lien entre la réalité et la fiction, des images tournées par Mikhaël Hers au format 1.33 qui rappellent le super 8 familial ou la vidéo qui remplacera ce support. Il s’agit donc bien de lier l’intime à l’histoire d’un temps, d’inscrire les événements qui constituent la chronique de la vie d’une famille dans une histoire collective. Les images d’archives apparaissent alors comme des respirations qui chapitrent les péripéties rencontrées par Élisabeth, Matthias, Judith et Talulah. Mais aussi et surtout, elles servent à contextualiser le récit. Car la grande qualité de Mikhaël Hers, nous l’avons dit, est de faire de cette histoire quelque chose qui appartient à notre temps actuel. Cela se passe dans les années 1980 mais ce qui rend l’action du film profondément contemporaine, ce sont les émotions qui émanent des situations montrées et l’atemporalité des sentiments exposés.

Ce qui frappe avec Les passagers de la nuit, c’est que rien dans son sujet, a priori, ne prête à la légèreté et pourtant le film diffuse un sentiment de bien-être. Mikhaël Hers conjugue les éléments formels et narratifs en les exonérant de la lourdeur pathologique que les situations auraient pu induire. Les sentiments ne sont jamais absents, niés ou cachés, simplement, ils sont interprétés dans la retenue. Les passagers de la nuit confirme la délicatesse et la prévenance qui caractérisent le cinéma de Mikhaël Hers qui parvient à faire de la pudeur l’objet principal de son œuvre.

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Crédit photographique : Copyright Pyramide Distribution

Suppléments :
- L'apprentissage d'un regard / la fabrique du souvenir : Analyses de Marilou Duponchel
- Polaroïd / Roman / Photo - Ruth réinterprétée (scène additionnelle - Maison de la radio)
- Musique Originale
- Livret: Entretiens avec Mikhaël Hers et Charlotte Gainsbourg

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