Splitscreen-review Image de L'annonce faite à Marie d'Alain Cuny

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L’annonce faite à Marie

Publié par - 6 octobre 2022

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Attention sortie Salle (12 octobre) et vidéo (4 octobre)

L’annonce faite à Marie d’Alain Cuny (adaptation de la pièce de Paul Claudel) est un film comme on n’en voit plus, un ovni. Sans doute encore plus aujourd’hui qu’en 1991, date de sa sortie. Si se dessinent en creux les raisons qui ont poussé Cuny à réaliser ce film, rien, dans le projet, ne nous informe en revanche sur ce qui a pu motiver la production d’une telle œuvre (l’entretien avec Hugues Desmichelle, le producteur, en supplément de disque est à ce titre fort instructif). Certes pas l’appât du gain. L’envie de voir un film comme celui-ci enfin réalisé (le projet a une gestation de près de 30 ans) ? Des affinités électives avec son auteur ? Un amour immodéré pour le texte de Claudel ? Une communion d’intérêts autour de sujets précis ? Sans doute un peu de tout ceci. Et puis aussi et peut-être surtout un amour inconditionnel pour le cinéma. Avec le recul, il est tout de même intriguant de voir ce qu’un intellectuel singulier (Alain Cuny), formé par le théâtre, a été en mesure de créer pour le cinéma à partir de la pièce d’un auteur réputé complexe. À ce titre, par extension, on ne peut que s’extasier, que l’on aime le film ou non, qu’une démarche d’un autre temps nourrisse le désir éditorial qui anime Potemkine Films. L’édition est osée, avouons-le.

Alors qu’est-ce donc que ce film ? Première surprise, la facture profondément cinématographique de L’annonce faite à Marie. Ce qui étonnera d’emblée le spectateur contemporain, c’est d’observer comment Cuny a œuvré pour imager un texte constitué pour l’essentiel de considérations métaphysiques. Construit en trois parties, trois temps, aisément distincts grâce au choix de différentes esthétiques et aux différents rythmes imposés par le montage, L’annonce faite à Marie se lit, se comprend et se ressent d’abord et avant tout à travers ses images. L’œuvre use de tous les moyens visuels et auditifs pour éveiller les sens du spectateur. Dans cette logique, le film cherche et trouve quelques idées pour répondre au texte de Claudel. L’annonce faite à Marie s’envisage comme la restitution des idées ou des images qui expriment le ressenti de l’auteur (Alain Cuny) à l’écoute ou à la lecture du texte de Paul Claudel. Le film sert de support à un débat initié entre plusieurs formes artistiques et plus particulièrement entre le cinéma et le théâtre.

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Cuny, fin connaisseur de Claudel, sait mieux qui quiconque ce qui se trouve au cœur du propos du dramaturge. La pièce de Claudel, entre autres, invite à la transformation de la réalité historique en vision subjective. Claudel, dans sa pièce, prête plus de vertus à l’acte créatif qu’à la reconstitution d’une époque. Peu importe que les faits décrits soient plausibles ou historiquement vérifiables, ils n’ont d’intérêt que lorsqu’ils nourrissent la dynamique de la création. D’où le naturel avec lequel les visions apparaissent. Les visions et ce qu’elles impliquent ont plus d’importance que la vraisemblance. La confiance ou la croyance immodérée de Claudel dans le pouvoir évocateur du verbe rejoint les possibilités métaphoriques offertes par l’image. Ce principe sera donc l’un des fondements de l’œuvre filmique. Car, pour Cuny, cette adaptation, cette interprétation du texte de Claudel n’a de sens qu’à partir du moment où des pensées, ses pensées, s’incarnent en images pour instaurer un dialogue intérieur entre lui et Claudel. Le film regorge de plans qui servent de contrepoint au propos. Il faut donc se laisser entraîner par les analogies les plus folles, les rapprochements visuels, les superpositions d’images qui viennent déstabiliser la quiétude du spectateur pour accéder au propos du cinéaste. Les successions de plans où l’activité humaine alterne avec des plans d’une nature insensible aux occupations des hommes relèvent autant d’une poétique visuelle que d’une musicalité relayée par le traitement sonore des voix associées aux bruits du monde.

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Dans le film de Cuny, comme dans la pièce de Claudel, la matière de l’œuvre se trouve dans la mise en forme de la réflexion de l’auteur. Cuny se livre de manière étonnante à des parallèles entre l’agitation des humains et celle des animaux. Les analogies visuelles alors créées, sortes de télescopages poétiques, répondent aux accords sonores (voix, bruits de la nature) et nourrissent l’argumentaire formulé dans le débat initié entre le cinéma et le théâtre.

Si la pièce de Claudel est affaire de mort et de résurrection, c’est ce qui relève du vivant qui motive l’acte créatif de Cuny. Il en va de même avec la foi traitée dans le film comme un matériau organique. Le rapport qui s’installe entre le divin et le terrestre s’accomplit dans les mouvements verticaux de la caméra. Le cinéaste n’a de cesse de décrire le cheminement intérieur de chacun par une mise en relation des espaces terrestres et célestes qui traduit inlassablement l’état de la condition métaphysique de chacun. C’est-à-dire de la croyance des êtres mais aussi de la progression de la recherche individuelle d’un sens à donner à la marche du monde et à la finalité de l’existence. L’individu est un microcosme. L’annonce faite à Marie est un acte cinématographique qui, finalement, consiste à matérialiser ce qui relève de l’invisible et qui donne du sens à la vie. Il faut certainement considérer que ces intentions habitent l’unique réalisation cinématographique d’Alain Cuny qui mourra trois ans plus tard. Un peu plus de trente ans après sa sortie, L’annonce faite à Marie surprend toujours par la liberté de ton et par son audace formelle. L’annonce faite à Marie est un chant d’amour composé pour rendre grâce à la vie, aux arts et au cinéma. Idée qui éclaire sans aucun doute l’initiative de Potemkine Films car le travail consenti sur ce film en dit long sur ce qui anime l’éditeur.

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Crédit photographique : Copyright Potemkine Films

Suppléments :
Entretiens :
Hugues Desmichelle, producteur (23’)
Anne Le Moal, costumière (11’)
Caroline Champetier, directrice de la photographie (19’)
Françoise Berger-Garnault, monteuse (8’)
François Angelier, essayiste et producteur radio (28’)

Retour sur le lieu du tournage avec Alain Cuny (INA, 1992, 7’)
Livret de 20 pages

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