Splitscreen-review Image de Giant de Mickaël

Giant

Publié par - 30 octobre 2022

Catégorie(s): Bande dessinée

New York City. Une ville tant décrite et ancrée dans l’imaginaire collectif que sa seule évocation éveille des images, des sons, des odeurs… même chez ceux qui n’y sont jamais allés. New York City semble être, dans une vision mythique, l’éternelle porte d’accès à l'Amérique et au rêve d’une nouvelle vie, attirant à elle des vagues de migrants. Chant d’espoir ou chant des sirènes ? Chaque artiste qui s’est penché sur le cas de New York a son avis là-dessus. De Martin Scorsese à H.R. Giger, de Sidney Lumet à Edward Hopper, la liste est longue. À celle-ci s’ajoute l’illustrateur de bande dessinée Mikaël qui depuis 2017 a entamé une série de diptyques centrés sur la célèbre mégalopole. L’introduction à ce voyage dans la ville qui ne dort jamais suit les pas de ces nombreux migrants débarqués en quête d’une vie meilleure. Et en particulier l’un d’entre eux qui donne son nom au premier de ses diptyques : Giant.

En 1931, la grosse pomme a des airs de fruit pourri. La crise de 1929 rarifie le travail et un bidonville se dresse dans Central Park. Pourtant, les migrants continuent d’arriver, à l’image de Dan Shackleton, Irlandais à l’optimisme contagieux. Il est plus chanceux que d'autres car il parvient à être engagé sur le chantier du Rockefeller Building tout juste entamé. C’est là qu’il va faire la connaissance d’un compatriote colossal et mutique surnommé Giant.

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Aucun personnage n’a de grand rêve ou d’aventure épique à vivre. Ils ne cherchent qu’à survivre au jour le jour dans leur bidonville crasseux et sur ce chantier où Dan est engagé peu après la chute mortelle de son prédécesseur. Entre la mafia italienne et le vide toujours plus grand à mesure que le chantier progresse, New York semble bien dangereux. Les onomatopées associées aux pistolets à rivet sont d’ailleurs les mêmes que celles attribuées traditionnellement aux mitrailleuses dans le langage de la bande dessinée.

L’exposition de la ville se fait toujours à hauteur d’homme, au ras du sol ou, tout au plus, du haut d’un toit. Le lecteur reste aux côtés des habitants. On déambule pour voir les épouses étendre du linge, les ouvriers partager leur déjeuner ou les communautés chanter autour d’un feu improvisé. On parle parfois des bars clandestins où coulerait à flot l’alcool et où les femmes sont belles, mais on n’y met jamais les pieds, car ce n’est pas l’univers de Dan et de sa communauté d’Irlandais sans le sou. Ce New York semble présenté par Steinbeck entre deux chapitres des Raisins de la colère.

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Une seule exception à cette règle existe. Une plongée qui affiche le chantier du Rockefeller Center et son voisin, la cathédrale Saint-Patrick. Au fil du temps, le plan de l’ensemble architectural est réutilisé et montre ce géant de béton et d’acier surpasser petit à petit l’édifice religieux. La cathédrale néo-gothique a pour ambition d’atteindre le ciel afin que les croyants accèdent à Dieu. Sur le chantier, les Irlandais et les Italiens se disent eux-même dans la même galère. Ils reconnaissent prendre les mêmes risques. Leurs efforts et leurs sacrifices pour porter toujours plus haut le drapeau américain s’imprègnent dans le bâtiment qui caractérise le citoyen américain. L’union entre les individus autrefois construite autour des valeurs chrétiennes se traduit désormais dans le travail et l’espoir d’élévation économique et sociale qu’il fait naître. L'architecture n’est pas qu’utilitaire. Elle est le témoignage de la métamorphose d’une ville et de la pensée de ses habitants, unis dans le rêve américain.

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Ce rêve semble ainsi dériver d’un matérialisme paradoxalement idéaliste. La motivation qui galvanise Giant et ses compatriotes, celle qui les a motivés, lui et d’autres, à quitter leur Irlande natale, c’est l’espoir. Ce mot revient souvent. Il semble empêcher ce bidonville, baptisé le Purgatoire, de s’écrouler sur lui-même. L'Amérique, c’est la possibilité d’envoyer de quoi survivre à ceux qui sont restés au pays, d'espérer gagner assez pour continuer d’avancer et même d'aller plus haut. Les Irlandais parlent de la misère et de la guerre dans leur pays, de l’échec apparent de leur nation et de la religion à maintenir l’unité nationale. Giant cache son passé, mais il semble logé à la même enseigne. Giant, c’est l’archétype de l’Américain en devenir. C’est cet homme venu d’ailleurs, désabusé par les idéaux du passé, et qui cherche à vivre un jour de plus, à se laver de ses péchés et à s’élever vers une condition meilleure.

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Crédit images : Copyright Dargaud

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