L'année cinématographique 2022
Publié par Stéphane Charrière - 28 décembre 2022
Catégorie(s): Cinéma
Lorsque le plaisir de la découverte cède le pas à la mémoire, l’amateur de cinéma conserve des images, des séquences, des plans et quelque fois des films entiers. Ce sont ces films-là que nous avons souhaité évoquer ici.
12 films pour 12 mois.
Chronologiquement.
Le 5 janvier 2022 est sorti sur les écrans le nouveau film de Paul Thomas Anderson, Licorice Pizza. Aussi étrange que son titre (Pizza à la réglisse…), le film de Paul Thomas Anderson a su conquérir un public large. Il s’est installé sans bruit, venu de nulle part. Ou presque. Un film clandestin en quelque sorte. Et Licorice Pizza, dès sa brillante ouverture, emporte tout. Tout y est de la mise en scène à l’écriture. Rien ne manque, alors on le garde.
Le 19 janvier, de manière surprenante, est sorti un film sans grand renfort de publicité. Dans ce cas de figure, l’absence de débats en amont de la présentation du film étonne. Car l’auteur de l’œuvre est un personnage qui s’est affranchi depuis longtemps des frontières qui existent entre un cinéma étiqueté « grand public » et un cinéma dit « d’auteur ». Le cinéaste, c’est Guillermo del Toro. Le film, c’est Nightmare Alley, remake d’un film noir réalisé par Edmund Goulding en 1947. Surtout, Nightmare Alley reconsidère les codes du film criminel américain classique en les combinant avec des éléments prélevés dans le néo-noir. Confirmation : Guillermo del Toro est un cinéaste susceptible, sans renier sa vision du cinéma, de déployer son imaginaire dans des genres très éloignés de ceux qui l’ont révélé.
Au fil des visionnages, début février, le 2, s’est imposée une autre œuvre inattendue. The Souvenir de Joanna Hogg, film en deux parties écrites en même temps et pourtant si distinctes. L’esthétique, le rythme et la mise en forme des deux parties suivent le parcours de Joanna Hogg. La vie intime de la cinéaste et l’évolution de son regard sur le cinéma conditionnent le traitement narratif et formel de The Souvenir.
Le 16 février 2022 est sorti sur les écrans Un autre monde de Stéphane Brizé. Si on observe distraitement le cinéma de Stéphane Brizé, il serait tentant de croire et de penser que ses films sont les mêmes, inlassablement. Qu’ils s’acharnent à débusquer ce qui ressemble encore de près ou de loin à un semblant de lutte des classes qui évoquerait des combats d’un autre temps. Oui mais ce constat n’est que superficiel et méprisant. Parce que justement, le cinéma de Stéphane Brizé est tout ce que l’on veut : militant, engagé, politique, social, etc. Oui tout ça, pourquoi pas, mais il n’est jamais, lui, méprisant ou condescendant, nous lui devons au moins cela et c’est beaucoup. Car il sait justement où dénicher les traces d’une lutte des classes qui auraient encore à nous en apprendre sur le monde et sur nous-mêmes. De plus, sans manichéisme, même les salauds des films de Stéphane Brizé ont des raisons de l’être et ne sont pas jugés. Stéphane Brizé s’intéresse à l’homme et à ses comportements qui ne sont, pour l’auteur, que le résultat d’un conditionnement qui échappe au bon vouloir de chacun. Autre intérêt du film, l’envie de filmer et donc de montrer une classe moyenne en cours d'extinction. Le film est donc aussi un document sur cette partie intermédiaire de la société qui participe d’un équilibre qui sera bientôt rompu.
En mars sont sortis deux films passionnants. Le premier, le 16 mars, fut largement abordé sur ce site pour ne pas trop s’appesantir dessus. C’est L’Histoire de ma femme de la cinéaste hongroise Ildiko Enyedi. L’autre en revanche, sorti une semaine plus tard, le 23 mars, avait échappé, par manque de temps, à notre volonté de traiter et de rendre compte de l’essentiel de l’actualité cinématographique. Nous en reparlerons plus bas dans un chapitre qui nous permettra de contourner le principe qui régit cette liste afin de l'enrichir de six titres supplémentaires. Plaisirs coupables et assumés du classement cinéphilique donc.
En juin, le 29, est sorti Decision to leave de Park Chan-wook découvert au Festival de Cannes. La maîtrise affichée par le cinéaste impressionne. Sa construction hitchcockienne en fait également une réussite scénaristique. Rarement Park Chan-wook nous aura semblé parvenir à réaliser un film qui associe aussi bien recherches formelles, développement narratif et contrôle des capacités démonstratives de la machinerie. Finies les débauches esthétiques sensées rattraper les manques d’une écriture superficielle, Park Chan-wook est passé à autre chose.
Avant la rentrée scolaire est sorti Leïla et ses frères de l’Iranien Saeed Roustaee. Là aussi, comme avec Park Chan-wook, nous sommes en présence d’un cinéaste virtuose. Mais le savoir-faire de Roustaee est toujours soumis à des conditions d’existence et d’émergence qui ne peuvent se soustraire aux réalités culturelles et sociales iraniennes. La virtuosité est donc toujours au service d’un discours, d’un propos.
L'automne est, par tradition, le moment de l'année où les grands films, à de rares exceptions près, aperçus à Cannes ou à Venise, arrivent sur les écrans. Cette année, il fallait s’organiser pour découvrir coup sur coup Sans Filtre (curieux titre pour l’exploitation française du film) de Ruben Östlund le 28/09 puis RMN de Cristian Mungiu le 19/10 ou encore Armageddon Time de James Gray le 9/11. Et nous faisons ici abstraction de trois œuvres également incontournables que nous évoquerons plus bas.
Cette fin d’année ne fut pas moins riche. Deux films nous ont séduits : Godland de l’Islandais Hlynur Pálmason (voir article sonore récent dans la rubrique Cinéma) et Les Banshees d’Inisherin de Martin Mac Donagh (article à venir en fin de semaine).
Vivement 2023 !
6 Films que nous aurions aimé vous présenter sur Splitscreen-review :
Bruno Reidal de Vincent Le Port sorti le 23 mars. La radicalité du propos rejoint la radicalité de l’acte commis. Un jeune homme de 16 ans, Bruno Reidal, commet un crime atroce. Il ne s’en cache pas, il se dénonce le soir même. La mise en scène, épurée, évite de surcharger l’image de signes extérieurs qui ajouteraient à la complexité de la réflexion qui gagne le spectateur. Car après les aveux, vient le temps l'instruction puis celui de la compréhension. L’insistance sur l’émergence des pulsions sexuelles qui étreignent Reidal lorsque des pensées criminelles envahissent son esprit invite à penser le film selon une grille psychanalytique. Certes. Mais le film ne fait jamais l’économie de l’exposition des différents contextes dans lesquels baignaient Reidal : sociétaux, familiaux, socio-éducatifs, religieux, etc. Rien n'est explicité et pourtant tout est là.
Autre film troublant sorti cette année. Un film qui revient sur les moyens utilisés par les régimes autocratiques d’Europe de l’Est pour asservir les populations. C'est Varsovie 83, une affaire d’état de Jan Paweł Matuszyński (sorti le 4 mai). Toute ressemblance avec des fonctionnements étatiques contemporains n’est pas fortuite. La mise en scène est méticuleuse, précise. Elle s’accorde ainsi avec l’attitude des fonctionnaires zélés chargés de collecter nombre d’informations sur tout le monde. On ne sait jamais, ça peut servir. Sauf que la mise en scène, si elle décrit le fonctionnement de l’administration polonaise, se plaît à révéler les failles d’un système qui vit ses dernières heures.
La nuit du 12, le nouveau film de Dominik Moll, est sorti un 13. Le 13 juillet. Comme un lendemain de fête qui tourne mal, le film se déploie autour d’un fait divers sordide et tragique. L’enquête policière qui suit le drame se transforme en longue plongée dans la conscience collective mais aussi dans les tourments occasionnés par le sentiment d’impuissance qui habite le responsable de l’enquête. La nuit du 12 n’épargne personne.
Revoir Paris d’Alice Winocour (sorti le 7 septembre) fut une confirmation (le talent de la cinéaste). Le film décrit avec une certaine évidence les conséquences des traumatismes collectifs sur l'individu. À partir des événements terroristes de novembre 2015 perpétrés sur le territoire français, la réalisatrice envisage une étude de cas qui lui permet de faire le portrait d'une société française désormais affublée de nouvelles plaies bien difficiles à suturer.
EO de Jerzy Skolimovski (sorti le 26 octobre) est une fable sur la condition humaine. En prenant pour principal personnage un âne, Skolimovski parle de l'humain. Nos comportements vis-à-vis de l’animal en disent long sur ce que nous sommes et renseignent sur la manière dont nous pouvons considérer autrui. Le film s’offre à nous comme un miroir dans lequel il est possible, sans grand mal, d’observer ce que nous sommes et qui nous sommes.
Enfin, en conclusion de ce complément de cette sélection initiale de 12 films pour 12 mois, un film ukrainien. Non pas pour succomber aux appels du politiquement correct mais parce que le film est une réussite. Le Serment de Pamfir de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk mélange les genres. Le film associe une tradition cinématographique à un regard nourri par des esthétiques occidentales et asiatiques.
Et en bonus…
Pour les inconditionnels de la série TV, trois ont retenu notre attention. 1883 créée par Taylor Sheridan se permet le luxe de parcourir habilement les territoires du Western qui tient autant du phénomène historique que de la mythologie. La série se transforme même en étude sur cette catégorie de films lorsque les auteurs assemblent et analysent les codes d’un genre qui a participé à la naissance des États-Unis.
Toujours en provenance des États-Unis, We own this city, série créée par David Simon, prolonge d'une certaine manière la réflexion sur les réalités nord-américaines évoquée à propos de 1883. David Simon reprend ce qui a fait le succès de The Wire. Il est question dans cette mini-série de coller au plus près d’une violence sociétale qui manifeste dans le rapport qui existe entre les forces de police et les criminels.
Enfin, citons Tokyo Vice du revenant Michael Mann qui s’inspire de l’autobiographie de Jake Adelstein devenu, au début des années 1990, journaliste pour le Yomiuri shinbun, un quotidien japonais qui est également le journal le plus lu au monde. La série s’attarde sur les apprentissages journalistiques de Adelstein et de son intérêt croissant pour le crime organisé. Comme toujours chez Michael Mann, la progression identitaire ou psychologique de son personnage principal se traduit par le rapport que le cinéaste sait instaurer entre l’espace urbain, ses lignes, ses lumières et l’individu qui s’y confronte.
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