Splitscreen-review Image de Metronom d'Alexandru Belc

Accueil > Cinéma > Radio Metronom

Radio Metronom

Publié par - 17 janvier 2023

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Sorti en début d’année, Radio Metronom, le premier long-métrage de fiction du roumain Alexandru Belc est venu s’ajouter à la liste des films remarquables qui nous arrivent de Roumanie depuis quelques années maintenant. Le film fut projeté au Certain Regard en toute fin de Festival de Cannes 2022. À cette occasion, Radio Metronom n’a laissé personne indifférent. Parfaitement adapté au Certain Regard, sélection pensée originellement pour présenter les œuvres d’auteurs, reconnus ou non, qui affichent certaines ambitions formelles, Radio Metronom fit l’objet d’un engouement immédiat et unanime.

Si le film d’Alexandru Belc s’intègre parfaitement au Certain Regard, c’est déjà parce que le film se scinde en deux parties aisément identifiables qui témoignent de volontés narratives et formelles différentes et, toutes deux, assez éloignées des standards du cinéma contemporain. Au regard de la trajectoire professionnelle du cinéaste, cela ne surprendra personne. Belc, après des études de cinéma à Bucarest, a très vite intégré les équipes qui ont participé au renouveau du cinéma roumain. Belc a travaillé avec Corneliu Poromboiu ou Cristian Mungiu avant de réaliser quelques documentaires qui précèdent ce premier long-métrage de fiction intitulé Radio Metronom.

Splitscreen-review Image de Metronom d'Alexandru Belc

Le contexte narratif est singulier. Nous sommes en Roumanie, en 1972. La jeunesse roumaine rêve de liberté sans savoir exactement ce que cela signifie. L’idée que les jeunes Roumains se font de la liberté vient de l’étranger et se diffuse par l’intermédiaire de Radio Free Europe qui émet depuis Munich. Un programme en particulier attire l’attention de la jeunesse roumaine. Il s’agit de Metronom, une émission produite et animée par Cornel Chiriac, un journaliste roumain réfugié en Allemagne. L’idée de liberté est contenue là, dans le rock occidental. C’est en tout cas ce que pensent les jeunes gens que nous observons. 1972 est une année particulière en Roumanie car elle syncrétise quelques principes nouveaux énoncés l’année précédente. En 1971, Ceaucescu (alors Secrétaire Général du Parti Communiste Roumain), influencé par un séjour en Chine et en Corée du Nord, formule les « Thèses de Juillet », un discours dans lequel il appelle à un durcissement du régime. Rigueur qui se vérifie d’abord par un regard plus sévère porté sur la création artistique et un contrôle plus strict des activités pratiquées par la jeunesse roumaine.

Splitscreen-review Image de Metronom d'Alexandru Belc

Metronom, dans sa première partie, séduit par l’usage de quelques procédés documentaires chers à l’auteur employés ici pour crédibiliser la reconstitution d’une époque assez proche historiquement et pourtant si lointaine. Très vite, le film prend des allures de récit initiatique. Le personnage central de Radio Metronom est Ana (Mara Bugarin). La caméra suit ses gestes, observe ses attitudes, guette ses regards, étudie la moindre variation dans ses attitudes pour percer à jour le mystère de ce qui se trame dans son esprit. À ce titre, l’évolution des sentiments d’Ana passe par une maîtrise du jeu que l’usage d’une caméra à l’épaule magnifie. Car ce qui se filme et qui se raconte ici, c’est la durée des apprentissages et de l’incertitude qui les accompagne, c’est la naissance d’émotions nouvelles, c’est l’émergence de troubles et des interrogations existentielles de la jeune fille.

Une séquence, superbe, cristallise tous les enjeux de la mise en scène. Les jeunes se regroupent dans un appartement pour écouter Metronom, pour s’imaginer, ne serait-ce que pendant quelques heures, vivre comme la jeunesse de l’Ouest, pour oublier la réalité, pour danser, pour s’aimer, bref, pour vivre son temps et s’ouvrir au monde. Mais la réalité roumaine n’est jamais très loin. La grande idée du film est ici de choisir les morceaux de musique en fonction des sensations éprouvées par le groupe et plus particulièrement par Ana. Les chansons affirment et résument ce que le langage des corps laisse deviner. La mise en scène fait aussi subtilement usage du plan-séquence pour donner de la matérialité aux instants vécus et à la palette d’émotions qui s’y développent.

Splitscreen-review Image de Metronom d'Alexandru Belc

Il y a comme une insistance sur la question de la durée qui se manifeste par des moyens que nous venons d’évoquer mais également par un procédé assez rare. Les chansons du programme musical de l’émission Metronom s’écoutent dans leur durée intrinsèque. Les actes et les mouvements des comédiens s’indexent alors sur le rythme des morceaux de musique pour créer une atmosphère et une dynamique propres à générer une forme de suspens. Puis Radio Metronom, le film, bascule. Un autre monde surgit. Un monde que nous savions là (les chansons nous préparaient à son surgissement), jamais éloigné des réalités montrées et dont on se demandait bien à quel moment il s’inviterait dans le schéma structurel du film. L’usage de la caméra à l’épaule, déjà mentionné, outre l’idée de partager l’intimité d’Ana, traduit l’inconfort de l’incertitude amoureuse mais également les frissons de l’inquiétude et de l’instabilité des situations vécues au regard des réalités roumaines. Le format image du film (1 :33, une image presque carrée donc) prépare également au changement de paradigme du film lorsque ce dernier aborde sa seconde partie (perspectives obstruées, rappel et omniprésence de figures patriotiques, etc.).

L’omniprésence d’Ana dans la construction des séquences du film unifie les deux parties de Radio Metronom. Le récit est bel et bien celui d’un apprentissage mais celui-ci ne se limite pas aux jeux de l’amour. La fin de l’innocence est multiple. Car ce dont il est question ici ne relève pas uniquement de sensations corporelles ou de sentiments. Il faudra pour Ana apprendre à déterminer ce qui est affaire de morale et à composer avec. Quitte à considérer qu’assouvir ses désirs porte atteinte à toute forme d’intégrité morale.

Splitscreen-review Image de Metronom d'Alexandru Belc

Crédit photographique : Copyright Pyramide Distribution

Partager